Les dinoscures apparaissent autrias
La dislocation de la Néopangée, amorcée à la fin du Jurassique, se poursuit rapidement pendant tout le Crétacé inférieur. La Téthys et l’Atlantique Central sont ouverts des Caraïbes à la Chine. De nouvelles ouvertures océaniques, dès le début du Crétacé, séparent l’Afrique et l’Amérique du Sud du bloc Australie-Antarctique-Inde-Madagascar.
La mer ouralienne se retire un moment durant cette période, puis se réinstalle jusqu’à la fin du Crétacé.
Isolée depuis le milieu du Jurassique, la faune mésoasiatique montre encore un taux d’endémisme élevé au Crétacé inférieur. L’arrivée massive d’immigrants euraméricains en provenance d’Europe, lors d’une régression de la mer ouralienne, modifie les écosystèmes mésoasiatiques.
Après ce court épisode d’échange, la merouralienne isole à nouveau l’Asie ; de nouvelles familles se développent alors, dont certaines auront un succès évolutif considérable, comme les tyrannosauridés, apparus en Mésoasie avec Siamotyrannus de Thaïlande.
A l’ouest de la mer ouralienne, l’Europe et l’Amérique du Nord constituent le royaume euraméricain dont la faune assez homogène est représentée par des dinosaures comme les nodosauridés, les dromaeosauridés et les iguanodontidés. Au sud de la Téthys, deux royaumes originaux se développent : le Gondwana occidental (Afrique et Amérique du Sud) et le Gondwana oriental (Australie, Antarctique, Inde, Madgascar). Le Gondwana occidental recèle une faune très homogène en Amérique du Sud et en Afrique : les dinosaures titanosauridés, dicraeosauridés, carcharodontosauridés, etc., sont endémiques au royaume gondwanien occidental.
Toujours au sud, la faune du Gondwana oriental diffère de la précédente, avec d’étranges dinosaures australiens comme Minmi et Muttaburrasaurns et l’apparition des premiers monotrèmes, ancêtres des ornithorynques et des échidnés actuels d’Australie.
Le gondwana occidental
Au sud de la Téthys, la faune ouest-gondwanienne s’épanouit au début du Crétacé. Elle comprend une part d’animaux néopangéens (iguanodontidés, titanosauridés) et des formes endémiques comme les dicraeosauridés, de grands dinosaures herbivores aux hautes vertèbres bifurquées ou les abelisauridés, des dinosaures carnivores de grande taille aux pattes antérieures incroyablement réduites, tel Carnotaurus .Amargasaurus d’Argentine, avec ses immenses vertèbres aux épines neurales bifurquées, ressemble beaucoup au Dicraeosaurus du Jurassique africain. A la fin du Crétacé inférieur, des formes comme les spinosauridés sont connues sur le Gondwana occidental, avecIrritator challengeri, un animal brésilien dédié au héros du Monde Perdu de Conan Doyle par ses découvreurs.
Comme son cousin européen Baryonyx, cet animal longirostre devait être piscivore. La faune africaine du Crétacé inférieur est en tout point semblable à celle de l’Amérique du Sud, avec des iguanodontidés, des titanosauridés, mais aussi des crocodiles géants comme Sarcosuchus, qui mesurait plus de dix mètres de long.
C’est en particulier au Niger que des équipes françaisesont découvert de très riches gisements de vertébrés fossiles. La parfaite identité des faunes africaine et sud-américaine montre que l’océan Atlantique Sud était encore fermé au début du Crétacé inférieur.
Le gondwana oriental
En Australie, les rares fossiles du Crétacé inférieur sont bien différents de leurs contemporains ouest-gondwaniens. L’on y trouve en particulier les ancêtres des monotrèmes actuels (des mammifères très primitifs qui pondent des œufs : on ne les connaît qu’en Nouvelle Guinée et en Australie).
Parmi les dinosaures australiens de cette époque, de petites formes néopangéennes comme les hypsilophodontidés témoignent d’une adaptation aux hautes latitudes australes.
Ces animaux possédaient de très gros yeux et devaient ainsi être adaptés aux longues périodes d’obscurité de l’hiver austral (l’Australie était alors bien plus au sud qu’aujourd’hui).
Un autre dinosaure australien est un ankylosaure baptisé Minmi, qui paraît très différent de ses cousins euraméricains (les nodosauridés) et laurasiatiques (les ankylosauridés). Isolé d’eux pendant des dizaines de millions d’années, il a probablement suivi une évolution endémique.
La méoasie
Le retrait de la mer ouralienne avait marqué la fin du royaume mésoasiatique. Après sa réinstallation, de nouvelles formes comme les psittacosauridés (les « dinosaures-perroquets ») apparurent en Asie aux côtés des immigrants euraméricains (iguanodontidés, titanosauridés) et des animaux mésoasiatiques survivants (parmi lesquels les tyrannosauridés).
Cet assemblage constitue le royaume laurasiatique, qui s’étendra en Amérique du Nord au Crétacé supérieur.
Ces formes mésoasiatiques du début du Crétacé sont particulièrement bien connues en Thaïlande où elles sont étudiées par l’un des auteurs de cet ouvrage. Les riches gisements thaïlandais ont révélé une faune bien différente de la faune jurassique de Chine, avec des tyrannosauridés primitifs comme Siamotyrannus, des ornithomimidés (dinosaures carnivores dépourvus de dents) mais aussi des iguanodontidés qui sont probablement des immigrants euraméricains.
L’EURAMERIQUE
Les faunes d’Europe et d’Amérique du Nord sont à peu près identiques au début du Crétacé. Certaines familles comme les titanosauridés, les spinosauridés et les iguanodontidés sont peut-être d’origine néopangéenne, car elles sont aussi répandues sur le Gondwana occidental. D’autres, comme les dinosaures nodosauridés (de lourds animaux recouverts d’une armure de plaques osseuses) semblent caractéristiques de l’Eiiramérique. C’est surtout en Angleterre qu’ont été découverts les représentants des faunes euraméricaines.
Dans les années 1870, les mines de charbon belges de Bernissart, près de la frontière française, ont livré une impressionnante quantité de squelettes complets du dinosaure Iguanodon. Plus tard en 1878, des mineurs annoncèrent une découverte remarquable : des troncs d’arbre remplis d’or ! On se rendit compte assez vite qu’il ne s’agissait « que » de grands ossements fossilisés contenant de la pyrite, un minerai de fer de couleur jaune. Les autorités belges alertées firent procéder à l’extraction de ces restes de dinosaures : vingt-neuf squelettes furent finalement découverts et envoyés à l’institut Royal des Sciences Naturelles de Bruxelles, où l’on peut encore les admirer aujourd’hui.
Du côté américain, seul un petit nombre de gisements fossilifères du début du Crétacé sont connus ; ils contiennent des restes à’Iguanodon, de nodosauridés, de titanosauridés et on peut s’attendre à y trouver aussi des spinosauridés comme Baryonyx.
Cet animal découvert en Angleterre dans les années quatre-vingt témoigne d’une adaptation originale de certains dinosaures carnivores qui avaient généralement des mâchoires hautes leur permettant d’écraser les os et de déchirer les chairs. La mâchoire de Baryonyx était allongée, comme celle d’un crocodile, et ses dents coniques indiquent qu’il se nourrissait de poissons. Cela est confirmé par le fait que l’on a retrouvé de nombreuses écailles de Lepisosteus, un poisson d’eau douce, dans la région de sa cage thoracique. Baryonyx possédait à la patte une énorme griffe décrivant un arc de cercle de 30 cm, alors qu’il mesurait environ 9 mètres de long, d’où son nom qui signifie «la grosse griffe»; peut-être l’utilisait-il à la manière des grizzlys actuels pour harponner des poissons dans les cours d’eau afin de s’en repaître.
L’echange euro-Asiatique
Au cours du Crétacé inférieur, durant une période de temps appelée le Barrémien (116-114 M.A.), un événement géographique d’une portée considérable s’est produit : le niveau des mers a énormément baissé, entraînant le retrait (ou régression) de la mer ouralienne. Les animaux euraméricains et mésoasiatiques, isolés depuis 50 millions d’années, ont pu alors étendre leurs domaines sur l’ancien emplacement de la mer ouralienne et se rencontrer.
Cette rencontre de deux écosystèmes complètement différents ne s’est pas faite sans heurts : des animaux d’espèces différentes qui occupaient auparavant les mêmes niches écologiques des deux côtés de la mer ouralienne se sont retrouvés en concurrence. De nombreuses espèces ont alors disparu, victimes de la sélection naturelle. Lorsqu’une remontée du niveau des océans a permis la réinstallation de la mer ouralienne, beaucoup de choses avaient changé. Les faunes mésoasiatiques avaient été décimées par les colons euraméricains et des animaux comme les iguanodontidés, les titanosauridés, etc., s’étaient implantés en Asie.
La mise en évidence de cet événement biologique est très récente et son étude encore à ses débuts. Mais elle devrait permettre de mieux comprendre ce qui se passe lorsque deux écosystèmes complètement isolés se trouvent soudain en contact.
Les vissicitudes d’iguanodon
L’un des dinosaures les plus abondants en Euramé- rique, Iguanodon, est aussi le premier dinosaure étudié scientifiquement au début du dix-neuvième siècle. Cet animal herbivore a été reconstitué de nombreuses fois depuis 1820, et le moins que l’on puisse dire est que ces reconstitutions sont fort différentes les unes des autres. Elles illustrent remarquablement l’évolution de notre conception des dinosaures depuis 170 ans. Le découvreur d’Iguanodon, Mantell, imagina un gigantesque lézard. Le grand anatomiste britannique Richard Owen (par ailleurs l’inventeur du mot dinosaure qui signifie « terrible lézard »), considéra à partir de restes incomplets qu’Iguanodon devait être un lourd quadrupède avec une corne nasale, assez semblable somme toute à l’énorme rhinocéros. La découverte de squelettes complets à Bernissart modifia complètement la vision owenienne : Iguanodon devint bipède (ses pattes antérieures étaient plus courtes que les postérieures) et ce qui avait été considéré comme une « corne » nasale retrouva sa véritable place, sur sa main. Dans les années 1980, de nouvelles études anatomiques ont permis d’abandonner l’image en vigueur depuis le début du siècle d’un Iguanodon ressemblant à un kangourou. C’était finalement un animal quadrupède, mais à l’allure bien différente de ce qu’avait imaginé Owen
La découverte d’Iguanodon, en Amérique du Nord et en Europe, est riche d’enseignements biogéographiques. Elle atteste l’existence de l’Euramérique tandis que sa présence en Asie témoigne d’un événement d’une portée considérable survenu au cours du Crétacé inférieur : le retrait momentané de la mer Ouralienne qui a permis des échanges entre l’Europe et l’Asie.