Hommes et femmes au travail : pauvreté, chômage et exclusion
Il n’y a pas de crise de la production, on l’a vu ; en revanche, il existe bien une crise de la répartition des richesses et des biens pouvant être créés en abondance avec de moins en moins de labeur humain. « Nous passons d’un monde où la pauvreté était à la marge de la société, vers un autre monde où les pauvretés sont structurées par le développement socio-économique. L’enjeu de la décennie 1990 est bien celui des exclusions. »x II y a, au niveau mondial, une nouvelle question sociale, qui n’est plus seulement celle des horaires et des salaires, mais fondamentalement celle du manque de travail et de la misère, qui excluent littéralement une partie de l’humanité du reste des hommes.
Une nouvelle question sociale, l’exclusion
L’exclusion est tout d’abord exclusion de fait, opérée par la « main du marché » : privé des systèmes de protection légale et conventionnelle des salariés que les politiques néolibérales se sont ingéniées à démanteler au cours des années 80 et 90, le marché du travail fabrique en masse des exclus, exclus de l’emploi, exclus de la protection sociale, privés de revenus stables et suffisants, tous ces « nouveaux pauvres », qui avec les golden boys auront été les figures emblématiques, bien que strictement opposées, de la fin du siècle. Les exclus se trouvent le plus souvent relégués dans des ghettos qui ne disent pas leur nom, où la « galère » et le béton servent de cadre à une vie privée de sens.
De cette exclusion, les plus démunis sont évidemment les principales victimes. Et parmi eux, les populations immigrées, venues des pourtours de la Méditerranée ou d’Afrique, soutiens de la croissance économique des Trente Glorieuses (1945-1975). Mais, par un renversement qui fait partie des mécanismes mentaux propres au racisme, la victime se mue aux yeux de certains en coupable du malheur collectif. Car l’exclusion n’engendre pas seulement la pauvreté matérielle, elle suscite tout aussi bien l’angoisse de ceux qu’elle menace et la rage impuissante de ceux qu’elle a déjà frappés, les mobilisant les uns et les autres dans la recherche et la chasse de boucs émissaires. Angoisse et rage, xénophobie et racisme, qui peuvent déboucher sur les pires exactions, telles celles des
Ainsi se trouvent réunies les conditions pour passer de l’exclusion de fait à l’exclusion de droit. Poussées par les accords de Schengen, les portes d’Europe se ferment au nez des populations extra-européennes, tandis que, partout, les législations se durcissent à leur égard, faisant de celles déjà installées dans les murs du monde industrialisé un vivier de clandestins potentiels. Et la pauvreté se double d’une exclusion croissante qui en accentue les conséquences. Certes, disposer de faibles revenus — définition simple mais incontournable de la pauvreté — est toujours une certaine manière d’être mis à l’écart, surtout dans une société « de consommation ». Mais le plus souvent le fait de « tirer le diable par la queue » n’impliquait pas autrefois la rupture des relations sociales. Au contraire même, puisque cette pauvreté-là touchait des couches sociales relativement homogènes, au sein desquelles pouvaient se développer des formes de solidarité et d’entraide constitutives d’une « culture du pauvre ».
Le mécanisme essentiel et neuf de cette production de pauvreté est l’accès à l’emploi. Pour chaque poste de travail qui se crée, les candidats sont pléthore.
Les employeurs n’ont donc que l’embarras du choix et ils trient, redoutant particulièrement le chômeur de longue durée, dont le chômage stigmatise : à la façon d’un marquage indélébile, il contribue à transformer ceux qui en sont victimes en exclus. Plus le chômage dure, plus il devient difficile de se « reclasser ». D’autant que, peu à peu, le candidat éconduit développe une psychose de l’échec et intériorise le fait que, s’il n’est pas retenu, c’est sans doute parce qu’il li- mérite… Il est guetté par le découragement : à quoi bon chercher un emploi si, de toute façon, je n’ai « aucune chance » d’en trouver un ? Les chômeurs découragés » sont légion : ils continuent d’être inscrits, en France, à l’ANPE, car il le faut pour bénéficier d’une couverture sociale et, souvent, pour obtenir ici ou tel avantage ou prestation spécifiques (allocation de solidarité, accès à un stage rémunéré…), mais ils ne cherchent plus d’emploi.
Que la croissance, à son tour, faiblisse ou disparaisse, et la précarité se transforme en exclusion et marginalisation. Le processus de paupérisation, jusqu’alors caché parce que des emplois — précaires, non qualifiés — étaient créés au rythme de la croissance, se découvre en pleine lumière. Dans tous les pays où la crise frappe, la « nouvelle pauvreté » s’étend. D’autant plus que, sous le poids du libéralisme ambiant, les programmes sociaux sont réduits, se transformant en filet de sécurité, qui ne permet pas de remonter. De plus la pauvreté qui s’étend pose le problème du « droit à l’emploi », dans un monde tendu vers la modernité et l’efficacité. Le chômage de longue durée n’est pas le seul facteur d’exclusion. L’école, aussi, joue un rôle essentiel. L’absence de diplôme, la filière de formation, l’âge de sortie de l’école jouent comme autant de signaux pour le recruteur.
Plus largement l’exclusion, c’est la décomposition du lien social, ce sont des trajectoires de « désaffiliation » vis-à-vis de la société (via l’école, le chômage de longue durée, l’immigration, les classes d’âge, etc.), une crise d’identité qui réunit toutes sortes de pauvres qui n’ont rien de commun, pauvres sans toit ni revenu, pauvres salariés, pauvres d’esprit, non-salariés payés occasionnellement, clochards classicmes et «nouveaux na livres ». « accros » de la rue. marginaux volontaires comme involontaires, familles trop nombreuses et pauvres sans famille. Bien sûr, l’exclusion conduit à la ségrégation résidentielle, à renfermement de millions de Noirs américains dans les « hyper ghettos » par exemple.
L’exclusion et les pauvres sont désormais mis en scène à travers les images. Mais on doit se demander si ce spectacle sert à déranger ou, au contraire, à conforter un certain ordre, à réconforter des sortes d’« inclus », à leur faire accepter un sort qui n’est souvent pas très enviable. On estime que le dixième de la population française est victime d’une forme ou d’une autre d’exclusion : deux millions de handicapés physiques et mentaux, les personnes âgées invalides, trois à quatre millions d’inadaptés sociaux, drogués, malades mentaux, alcooliques, suicidaires, marginaux, délinquants.
Premières victimes de la violence urbaine, les laissés-pour-compte de l’exclusion aspirent à un travail, à une utilité sociale et à un statut de citoyen à part entière. A la fin des années 90, dans la plupart des pays industrialisés, le nombre de demandeurs d’emploi s’est stabilisé. Il tend même à ciécroître. Mais l’augmentation de la précarité des emplois et la détérioration des conditions du chômage interdisent toute euphorie. Le problème principal n’est-il pas dans une expansion de l’inégalité sociale ?
Vidéo : Hommes et femmes au travail : pauvreté, chômage et exclusion
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