Proche et Moyen-Orient
Citant comme illustrations le soulèvement du Kurdistan et l’embargo imposé par les Etats-Unis à l’Irak, exemples auxquels on pourrait ajouter surte ni l’inexistence d’un Etat palestinien, Ignacio Ramonet, dans « La poudrière c. monde », écrivait : « Six ans après la fin de la guerre du Golfe, aucune des grandes questions du Proche-Orient n’a trouvé un début de solution. terminait ainsi : « Quoi qu’il en soit, l’homme fort de Bagdad reste au pouvoir ; l’autocratie se maintient également en Arabie Saoudite ; la démocratisation j . Koweït et dans les émirats du Golfe paraît plus chimérique que jamais Quant aux Kurdes irakiens, ils ont été, une fois encore, sacrifiés au nom 01 réalisme politique. »
La guerre du golfe et ses suites
L’invasion du Koweït et la guerre du Golfe (1990-1991)
La Guerre du golfe Persique se produisit après la longue guerre (huit ira ruineuse entre l’Iran et l’Irak, mais pourquoi les pays occidentaux ne se s« -t. ils pas alarmés de l’utilisation par l’Irak d’armes de destruction massive :
La crise
En juillet 1990, l’Irak menace le Koweït, comme lui ancien territcmd ottoman qui avait été disjoint du mandat irakien d’après la Première GuerJ mondiale, et qu’il avait échoué à annexer en 1961. Comment expliquer la pas*# vité du Koweït et des Etats-Unis pendant la gesticulation de Bagdad ? Pourc les Etats-Unis n’ont-ils pas clairement signifié à Bagdad qu’une solution milita au conflit l’opposant au Koweït ne resterait pas impunie ? A la fin du roc Washington annonce un boycottage économique total de l’Irak et décide renforcer sa présence aérienne et navale dans la région du Golfe. Mov: suspend toute livraison d’armes à Bagdad. Dans les capitales arabes, où F souhaite privilégier une « solution arabe » au conflit, les réactions sont pj prudentes. Les prix du pétrole croissent fortement.
L’opération « Tempête du désert » (17 janvier 1991-28 février 1991)
Pbur épargner la vie d’un maximum de combattants au sol, la guerre se gagne-t-elle depuis le ciel ? C’est, en tout cas, de tradition, la théorie aux États- Unis, illustrée par la célèbre technique du « tapis de bombes » chère au général Curtis Le May, père fondateur de l’aviation stratégique. Le conflit du Golfe est presque un modèle d’école. Très tôt, en même temps qu’il fait savoir qu’il autorise son secrétaire d’Etat, James Baker, à rencontrer Tarek Aziz, ministre irakien des Affaires étrangères, entre le 15 décembre 1990 et le 15 janvier 1991, George Bush fixe secrètement sa ligne de conduite définitive au général Norman Schwarzkopf, chargé du commandement suprême des troupes sur place. On est presque à la Noël 1990.
L’opération « Tempête du désert », mise au point à partir d’octobre et finalement retenue, est prévue dès l’origine en deux phases : d’abord aérienne, ensuite aéroterrestre, avec le secret espoir que la première étape sera suffisante pour contraindre Saddam Hussein à abandonner. Du point de vue de ceux qui l’ont alors conçue, une attaque aérienne à haute densité (entre 2 500 et 3 000 sorties par jour) a un double avantage : détruire l’infrastructure de base en Irak,
Après quoi, l’assaut terrestre, appuyé par l’aviation, les hélicoptères et l’artillerie, est le moyen de symboliser — quasi physiquement — sur le terrain la reconquête du Koweït et sa libération, comme l’exigeaient les Nations unies. En règle générale, on considérait en Occident qu’une troupe qui serait paralysée au tiers de son potentiel de départ n’est plus en état de continuer les hostilités. Cela a été l’un des objectifs — avec la destruc- tion des centres gouvernementaux et des usines stratégiques dans la profondeur de l’Irak— de la phase aérienne de la campagne qui s’étend entre le 17 janvier et le 24 février.
Mais, précisément, cette phase plus spécialement aérienne a duré davantage que prévu, sur décision du commandement américain qui l’a rallongée de deux semaines environ. Pour deux raisons. L’une est connue : les conditions atmosphériques, avec la pluie et des tempêtes de sable, ont ralenti les raids aériens.
L’autre l’est moins : les alliés ont accusé du retard, au fil des jours, dans l’analyse du résultat de leurs actions à cause du mauvais temps, de l’enfouissement et du camouflage des cibles qui ont gêné les interprétations du renseignement et le choix de nouvelles opérations. L’inévitable allongement du conflit aérien, permettait à l’Irak de riposter par des envois de missiles contre un territoire proche et relativement vulnérable, celui d’Israël. C’était mettre Israël face à la tentation de la riposte missiles Patriot contre Scud). D’où les contorsions américaines exhortant l’Etat hébreu à la « patience » : le « zéro mort » n’était pas pour tout le monde.
A partir du 24 février débute l’opération terrestre, sur les détails de laquelle il sera passé délibérément. Il existe du côté américain un véritable « syndrome vietnamien » pour la guerre du Golfe, la peur de voir le conflit s’éterniser, s’embourber, sans solution évidente et avec des pertes relativement nombreuses. Beaucoup de décisions militaro-politiques s’expliquent par cela.
Le cessez-le-feu intervient très rapidement : pourquoi, réellement, la guerre a t-elle été arrêtée aussi vite ? C’est une question capitale, encore maintenant mal élucidable. L’Irak ayant accepté les résolutions de l’ONU, les armées alliées arrêtent les hostilités le 28 février 1991. Un cessez-le-feu définitif intervient un peu plus de deux mois plus tard, le 3 avril. Le Conseil de sécurité vote alors, par douze voix contre une (Cuba) et deux abstentions (Équateur, Yémen), la résolution 687, qui fixe les conditions d’un cessez-le-feu définitif dans la guerre du Golfe. Bagdad accepte, le 6, cette résolution en 34 points, qui prive l’Irak de toute capacité d’agression et le contraint à payer des dommages de guerre grâce au prélèvement d’une partie de ses recettes pétrolières. Tandis que l’embargo sur les denrées alimentaires est levé, l’Irak est contraint de détruire toutes ses armes non conventionnelles et ses fusées à moyenne et longue portée. Une mission d’observation des Nations unies (UNIKOM) doit se déployer dans une zone démilitarisée entre le Koweït et l’Irak.
Tentative de bilan : une leçon pour 1rs guerres du xixe siècle ?
Des « dessous » de la guerre du Golfe « Dès le printemps 1982, dix-huit mois après le début de l’agression irakienne contre l’Iran, Washington décidait d’accorder une aide substantielle a Bagdad. Un rapport du Congrès vient de confirmer que des firmes américaines ont aidé à la mise sur pied du programme nucléaire de Saddam Hussein. Ces révélations, comme d’autres ayant directement trait à la crise du Golfe, jettent une lumière nouvelle sur ce que furent la politique et la stratégie des États-Unis dans cette région riche en pétrole.
Première question : Washington aurait-il volontairement poussé Saddam Hussein à la “faute” de façon à briser une puissance régionale qui risquait de menacer l’équilibre de tout le Proche-Orient ? Les propos du porte parole du département d’État, Margaret Tutwiller, ceux d’April Glaspie, ambassadrice américaine à Bagdad lors de son entretien du 25 juillet 1990 avec le Président irakien, ou encore ceux de John Kelly, sous-secrétaire d’État chargé du Proche-Orient, à la fin de ce même mois, suggérant que “les États-Unis ne souhaitaient pas se mêler des disputes territoriales entre le Koweït et l’Irak”, ont semé le doute. Ces signaux ambigus n’ont-ils pas laissé croire à Saddam Hussein qu’il pouvait se permettre d’envahir son voisin sans risquer la vindicte américaine ?
Quelques révélations troublantes viennent a posteriori enrichir les soupçons et appuyer la these selon laquelle les Etats-Unis ne cherchaient qu’un prétexte pour entreprendre une action militaire contre l’Irak. D’après Bob Woodward, journaliste au Washington Post, le 30 juillet 1990, deux jours avant l’invasion du Koweït, un officier de la Défense Intelligence Agency (DIA) aurait informé son directeur, Harry Soyster, des intentions de Bagdad et demandé une intervention urgente pour dissuader le président irakien de passer à l’action. Depuis la fin de juillet 1990, les services de renseignement, grâce notamment aux satellites espions, avaient pris la mesure de la concentration des forces et des préparatifs militaires irakiens. Pourtant, la Maison-Blanche n’a exprimé, publiquement, aucune préoccupation face à cette situation.
Des données convergentes, recueillies après la guerre auprès du Pentagone, confirment que, depuis 1989, la menace irakienne suscitait des inquiétudes. […] Pendant la première partie de l’année 1990, le général Schwarzkopf, commandant en chef de l’US Central Command, aurait mis au point différents plans stratégiques pour riposter à une éventuelle invasion du Koweït. Le 15 juin 1990, lors d’un nouveau voyage à Ryad, il informait les autorités saoudiennes d’une telle menace. A la fin juillet, il organisait […] d’importantes manœuvres militaires […] destinées à évaluer la rapidité de déploiement et la mobilité des forces américaines. Mais son principal objectif était : tester comment les États-Unis réagiraient à une invasion du Koweït par l’Irak.
( eux qui rejettent l.i llieone de l.i conspiration mettent plutôt l’accent l’ineohereiiee île la politique de la Maison Blanche. Absorbes alors par le retrait soviétique de ITuropc de I’I si et par la réunification de l’Allemagne, les dirigeants américains auraient eu l’esprit ailleurs et se seraient peu préoccupés du sort du Koweït. N’ont-ils pas pris au sérieux le déploiement militaire de l’Irak et ses mises en garde contre l’émirat ?
Jean Kdward Smith, de l’université de Toronto, dans son essai George Bush’s Waret Bob Woodward dans The Commanders, insistent sur la place qu’occupe, à la Maison-Blanche, un cercle restreint, gravitant autour du Président, en dehors de tout contrôle parlementaire. Cette équipe formée d’une dizaine de personnes, d’amis de longue date, d’hommes d’affaires obsédés par leur carrière et leur réputation. En l’absence de projet politique, ils considèrent la guerre comme un instrument rationnel de la politique étrangère, capable d’infléchir le cours des événements dans le sens des intérêts américains. Ils sont persuadés que les restrictions imposées par la Constitution, et les prérogatives du Congrès, risquent de nuire à la suprématie des États-Unis dans le monde. Ils se méfient des débats publics, des médias, de l’opinion, qui, selon eux, altèrent la rationalité d’un choix politique.
En parfait accord avec le Président, ces conseillers ont privilégié, dès les premiers jours du mois d’août, l’option militaire. Le 3 août 1990, à l’issue d’une réunion d’urgence à la Maison-Blanche à laquelle assistaient Brent Scowcroft, conseiller de Bush pour les questions de sécurité, Richard Cheney, secrétaire à la défense, et Lawrence Eagleburger, sous-secrétaire d’État, ils avaient conclu que le seul moyen de répondre à l’invasion était de repousser les troupes irakiennes hors de l’émirat.
Une étude de la CIA soulignait que l’action de Bagdad représentait “un danger pour l’ordre international et allait avoir un effet dévastateur sur l’économie mondiale”. La question primordiale était de savoir qui contrôlerait le pétrole : bien avant la morale, la défense du droit et de la liberté, le président Bush insistait sur cette question. Le déploiement des forces américaines dans le Golfe a pris rapidement une tournure offensive et a entraîné l’Irak dans une escalade qui devait ruiner toutes les possibilités d’un règlement pacifique. Avec ses menaces de recours à la force et ses discours incendiaires ; en diabolisant et en humiliant son adversaire, le président George Bush a contribué à attiser l’intransigeance de Saddam Hussein.
Pourquoi les États-Unis ont-ils attendu six mois avant de se lancer dans le combat? En fait, dès le début, certains membres de l’administration n’avaient vu dans les sanctions et les démarches diplomatiques qu’un prélude nécessaire à la guerre. Pour eux, il fallait détruire le potentiel militaire de l’Irak. Un retrait de Saddam Hussein du Koweït avec ses armes intactes était perçu comme un “scénario de cauchemar”. C’était aussi l’idée du Président, pour qui seule une action armée était en mesure d’“éradiquer le mal” et d’éliminer la source d’instabilité engendrée par l’agression irakienne.
Cependant, certains militaires, comme Colin Powell ou même Norman Schwarzkopf auraient préféré une poursuite de l’embargo (quitte à attendre encore un ou deux ans) pour allàiblir l’adversaire cl s’assurer une meilleure préparation militaire sur le terrain, mais ils ont fini par se rallier a l’avis qui préva lait à la Maison-Blanche. George Bush était pressé d’en finir avec le dictateur irakien. Ses proches collaborateurs pensaient à sa réélection. John Sununu, alors secrétaire général de la Maison-Blanche, aurait fait remarquer qu’une guerre courte et victorieuse serait un extraordinaire atout politique pour le Président ei assurerait sa réélection. De plus, ses conseillers l’avaient averti que le temps ne jouait pas en sa faveur pour de multiples raisons. Outre les impératifs climatiques et religieux, qui poussaient à avancer la date du combat, il était difficile de main tenir indéfiniment sur pied de guerre autant d’hommes en plein désert, en attendant l’hypothétique effet de l’embargo. Au risque de démoralisation des soldats s’ajoutait le coût financier et politique d’un tel dispositif.
Un rapport du département d’Etat américain, révélé par le Congrès en mai 1991, confirme que, jusqu’à la veille de la crise, Washington était fermement décidé à aider Saddam Hussein à maintenir son système de terreur. La Maison-Blanche avait autorisé les compagnies américaines à vendre du matériel militaire devant servir à protéger le régime et le chef de l’Etat contre les mouvements de contestation. Le conflit du Golfe fut la première crise internationale de l’après-guerre froide. Dès le début de janvier 1990, les Etats-Unis avaient procédé à la restructuration de leur politique de défense : l’URSS n’était plus la cible privilégiée. Bien avant l’invasion du Koweït, les responsables du Pentagone, avec leurs alliés européens, avaient cherché à préciser les contours des nouvelles menaces.
Pour le président Bush, l’ennemi n’est plus le communisme mais l’instabilité . Saddam Hussein était le modèle parfait du “renégat” sur la piste duquel l’OTAN s’était lancée juste avant la crise. Il a permis à la puissance américaine de regrouper l’Occident autour d’elle. Par ses ambitions hégémoniques, son expansionnisme et sa propension à proférer des menaces contre les intérêts économiques et stratégiques du “monde libre”, le Président irakien réunissait toutes les caractéristiques requises pour être la cible idéale. Sa défaite avait un avantage supplémentaire : elle décourageait toute révolte et toute contestation à l’égard du “nouvel ordre international” et confirmait la prééminence des États-Unis dans un monde dégagé de l’emprise soviétique.»
Dernière question, sanglante. Alors que l’offensive terrestre battait son plein, l’Irak intérieur s’embrasa, les Kurdes irakiens se soulevant au nord du pays, les chiites manifestant vigoureusement contre le pouvoir, sunnite, double soulèvement écrasé par les forces militaires que S. Hussein avaient gardées intactes, sans les engager contre les alliés. Bush prit la décision délibérée de laisser procéder à l’écrasement des rébellions kurdes et chiite, qui, aux yeux de l’administration américaine, comportait le risque d’une « libanisation » de l’Irak. C’est un coup d’Etat contre Hussein qui était souhaité, pas le morcellement du pays.
La guerre du Golfe en chiffres
Les effectifs des trente pays coalisés qui ont envoyé des troupes dans le Golfe (armées de terre et de l’air, marine) se sont élevés jusqu’à 750 000 hommes. Sur le champ de bataille, 550 000 Irakiens, dont 110 000 pour la garde républicaine, font face à plus de 600 000 alliés, dont 400 000 Américains, 60 000 Saoudiens et 30 000 .mires Arabes du Golfe, 36000 égyptiens, 20 000 Syriens, 29000 Britanniques, 12 000 Français.
Suites et conséquences à long terme
Est ce pour que l’Irak « tombe comme un fruit mûr » que George Bush a imposé que l’armée irakienne ne soit pas anéantie ? Ce qui est frappant, avec le recul du temps, c’est d’une part que le conflit n’a rien réglé et c’est peut-être pour cela qu’il a été délibérément arrêté comme il a été stoppé, et d’autre part la facilité avec lesquelles la guerre du Golfe a été oubliée sur une grande échelle, telles les guerres de 1984 d’Orwell. La guerre du Golfe aura eu pour effet de livrer le Proche-Orient, et principalement la région du Golfe, aux Etats-Unis, dont l’influence, après l’effondrement de l’Union Soviétique et en l’absence de PUnion européenne, est non seulement politique, mais aussi militaire et économique. Washington essaie en outre d’étendre la politique des sanctions, à l’Iran en particulier.
Il n’est pas question pour les pays concernés par la guerre du Golfe et pour tout le Proche-Orient d’un « nouvel ordre », stable et paisible. « Dernière en date des expéditions coloniales, la croisade menée en 1990-1991 contre l’Irak n’a abouti qu’à la dislocation de ce pays et à l’accroissement des tensions dans le Golfe. Cette région stratégique, aux immenses richesses pétrolières, vit sous la férule de monarchies archaïques, soutenues à bout de bras par les États- Unis. La contestation interne qui s’y développe pourrait, demain, remettre en question un ordre fondé sur l’injustice et la violence. » L’Irak, le « diable » dont l’Amérique a besoin, est maintenu entre guerre et paix. Le déluge de bombes de l’opération « Tempête du désert », puis l’embargo pétrolier imposé par l’ONU, ont dévasté et ruiné l’Irak, pénalisé et affamé sa population, mais n’ont pu venir à bout du régime de Saddam Hussein. Chargée de contrôler l’élimination des armes de destruction massive, l’UNSCOM a vu sa mission entravée et les États-Unis ont préparé plusieurs opérations militaires. Année après année, l’histoire a semblé bégayer.