Chômage et fracture sociale en France
Chômage et exclusion en france
Tout le monde sait l’existence d’une « crise » économique sans recul de la production — tant s’en faut — mais la situation sociale est profondément marquée par un chômage qui atteint une ampleur inédite et une exclusion qui frappe les citoyens et leur entourage.
La « barre » des 10 %
Chiffre mythique et vite retenu par la population, la « barre » des 10 % de chômeurs par rapport à la population active est franchie en 1992 ou en 1993, le 26 mai 1992 selon certains calculs, en février 1993 selon d’autres. Autre chiffre frappant, un nombre absolu. En février 1993, le nombre des chômeurs dépasse la barre des 3 millions, avec 3 024 000 demandeurs d’emploi en données corrigées. Ce qu’on appelait autrefois la « question sociale » revient en force depuis quelques années, elle est visible dans les marches de chômeurs, la mobilisation en faveur des sans-papiers, l’émergence de nouvelles organisations syndicales, dans le mépris évident a l’égard des questions politiques. En 1981, le gouvernement Mauroy avait décidé de régulariser les étrangers en situation irrégulière. En 1986, alors que le FN est entré à l’Assemblée nationale, le gouvernement Chirac fait de l’immigration l’un de ses chevaux de bataille. Une première version d’un projet de « loi Pasqua » (du nom du ministre de l’intérieur), qui prévoit l’expulsion des délinquants étrangers qui ont grandi en France, est adouci après des grèves de la faim. Le texte finalement voté restreint les conditions de séjour et facilite les reconduites. En 1991, confronté à une longue grève de la faim de Kurdes de Turquie, le gouvernement d’Édith Cresson finit par accepter la régulariser des demandeurs d’asile victimes des lenteurs de l’administration. 20 000 houles du droit quotidienneté des papiers. Mais, peu après, président .lu groupe RPR du Seu.it, Charles Pasqua présente une proposition de loi sur l’immigration destinée a répondre aux émeutes dans les banlieues. Il y suggère la li x il ion annuelle par le gouvernement de « quotas d’immigration avec ventilation par nationalités ». J.-P. Chevènement estime que cette proposition cons- i n ut- une approche tout à fait réaliste parce qu’elle correspond aux besoins du pays l ai 1993, est votée peu après la formation du gouvernement Balladur la loi Pasqua. Ce texte, combattu par les associations humanitaires, durcit notablement la législation en contestant le droit des étrangers à un séjour stable en rendant plus difficiles les régularisations. Ce texte crée plusieurs catégories d’étrangers ni régularisations ni juxtaposables. Une grève de la faim pendant la campagne présidentielle de 1995, puis celle de l’église Saint-Bernard en 1996, i (induisent le gouvernement Juppé à amender la législation.
Il est impossible d’échapper à la « question Sociale », inextricable, dont la prégnance et la durée s’imposent, à l’évidence. Elle fait mentir le pronostic de t leorges Pompidou au début des années 70 : « A un million de chômeurs, ça explose ! » On est arrivé à 13 ou 14 %…
Jean-Pierre Bultez, directeur du secteur « Action en France et Europe » du Secours catholique, a écrit : « Nous passons d’un monde où la pauvreté était à la marge de la société, vers un autre monde où les pauvretés sont structurées par le développement socio-économique. L’enjeu de la décennie 1990 est bien des exclusions. »Comment, en conséquence, les Français pourraient-ils si- satisfaire de la classique division vie politique/économie et société/culture, puisque leur vie — tout court — est profondément affectée par le chômage et l’exclusion ? Et comment le monde politique a-t-il réagi ?
« Depuis vingt ans, la question du chômage domine la vie politique française et façonne les comportements électoraux. À l’élection présidentielle de 1995, «S 1 % des votants ont déclaré avoir fait leur choix en tenant compte de ce critère. Aux législatives de 1997, ils sont 77 % à avoir agi de la sorte. » Le mouvement des chômeurs tel qu’il s’est manifesté, spécialement pendant tous les mois de décembre et janvier, à la fin des années 90, témoigne du fort potentiel protestataire de ce nouveau groupe social et des particularités de son vote : les chômeurs sont « entrés en résistance » .
Inégalités : pauvretés et richesses
À l’évidence, la France est face à un flot montant d’inégalités. Comment recréer l’échange social en France ?« Depuis longtemps, la France s’est engagée dans une lutte contre la pauvreté et la précarité. Dès 1983, les stratégies se précisent. Mais l’évolution est inexorable : de tous côtés, les difficultés s’aggravent, l u 1087, le rapport du Père Joseph Wresinski au Conseil économique et social marque mi tournant. Le chiffre de 2,5 millions de personnes vivant dans la grande pauvreté esi établi, reconnu, largement repris par la classe politique. Avec la loi sur le revenu minimum d’insertion (RMI), en décembre 1988, s’affirme l’objectif prioritaire de la lutte contre la misère. La mise en œuvre du dispositif révèle des situations inat tendues : l’existence de nombreuses personnes désocialisées (vivant souvent “chez quelqu’un”) et l’état d’isolement de 75 % des bénéficiaires. Allocation subsidiaire (versée en complément d’autres ressources), le RMI cherche à faire face à l’urgence et à préparer les voies d’une insertion-réinsertion.»
Denis Clerc complète ainsi : « L’une des grandes surprises du suivi du RMI est l’importance du nombre de jeunes adultes isolés, inconnus jusqu’alors des services sociaux et qui, de “plans jeunes” en stages plus ou moins “bidons”, entrecoupés d’un peu d’intérim, ont réussi vaille que vaille à survivre, le plus souvent avec l’aide de leur famille. Désocialisés, persuadés par leur longue galère qu’ils sont sans avenir, ces adultes isolés constituent les nouveaux pauvres que sécrète notre société : exclus du travail, ils sont aussi, peu à peu, exclus de la société — puisque celle-ci ne les reconnaît pas — et de la communauté — puisque leur famille, et encore pas toujours, constitue leur seul lien social.
Depuis 1973 — date à partir de laquelle se fait sentir le ralentissement de la croissance économique , le produit intérieur brut français a augmenté d’environ 1 500 milliards de francs (en francs constants 1990, c’est-à-dire après élimination de l’inflation), soit, à peu de chose près, l’équivalent de la hausse mesurée entre 1954 et 1973, sur une période de temps équivalente. La pauvreté n’est pas le signe d’une société en panne de création de richesses, mais le produit d’une société qui veut maximiser la richesse que chacun est capable de créer et qui rejette les autres. C’est en ce sens que production de marchandises et production de pauvreté vont de pair : la dynamique sous-jacente est la même dans les deux cas. Les jeunes des banlieues paupérisées sont mis en “relégation”, et le cercle vicieux de l’exclusion peut se développer. »
Les réactions de l’État
Les inégalités entre Français ne cessent d’augmenter en termes de patrimoine, et les écarts entre revenus ont cessé de se réduire depuis 1990. Selon l’INSEE, dans Données sociales du 1er mars 1996, 50 % des ménages ne possèdent que 8 % du patrimoine, la moitié du patrimoine est au contraire détenu par 10% des ménages. Le flot montant des inégalités signifie la crue de la pauvreté. Précisions quant à la pauvreté et à l’action de l’Etat, grâce à deux auteurs, Philippe Lagouanelle et Daniel Druesne , qui trouvent étonnant « l’étonnement de ceux qui, avec la publication de l’étude du Centre d’étude des revenus et des coûts le tournant des .mm «s 80″ , découvrent subitement qu’en France l’écart entre riches ci puisages n’était que s’accroître durant cette dernière décennie. En 1980 déjà, le Secours catholique alertait l’opinion et les pouvoirs publics L’Etat dut prendre, en octobre 1984, des dispositions d’urgence pour répondre à cette montée de l’exclusion. Un hiver rigoureux sensibilisa le public.
Retards et dysfonctionnements administratifs sont aussi causes de pauvreté. Depuis dix ans, un dossier sur quatre traités par le Secours catholique révèle une anomalie administrative, une mauvaise application de la réglementation, la lourdeur de mécanismes sophistiqués. Les mêmes causes produisant les mêmes ellèts et l’habitude étant pour l’administration une seconde nature, presque rien de neuf n’a permis de faciliter l’accès aux droits des populations les plus défavorisées. La bonne volonté ne manque pas, mais l’intention ne vaut pas le fait.
Depuis [1980], les réponses à la pauvreté ont été élaborées en termes de “nouvelles” prestations, de “nouveaux” dispositifs, de “nouveaux” statuts, le tout fonctionnant sur le principe des strates successives des politiques, des décrets et des circulaires.Un peu comme si l’on préférait corriger le tir en lonction des circonstances que d’opérer une nouvelle évaluation des politiques île l’Etat. Le revenu minimum d’insertion (RMI) est la plus récente illustration de ce mode de fonctionnement. .
L’une des leçons à tirer du décalage, voire du mur d’incompréhension, qui existe entre les faiseurs de lois et réglementations sociales et ceux qui en sont les destinataires potentiels, n’est-elle pas d’ordre culturel ? Mieux connaître, prendre en compte, respecter et intégrer la culture des familles en difficulté devrait être le point de départ de tout projet social. »
Vidéo : Chômage et fracture sociale en France
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