Vers le partage de la Méditerranée : 1350 à 1500
Florence réprime avec violence la révolte des Ciompi (1378) et devient une puissance maritime en annexant Pise d’abord (1406) puis Livourne (1421), avant de passer sous la coupe des Médicis qui unissent ainsi la direction de la banque familiale et celle de l’Etat. Malgré les interventions des rois de France, qui cherchent à faire valoir leurs droits sur Gênes et ceux des Angevins sur Naples, les puissances italiennes concluent en 1454 la paix de Lodi qui fige pour plusieurs siècles la géographie politique de la péninsule : des petites principautés qui, à la fin du XVe siècle, recherchent fort imprudemment l’alliance des rois de France, appelés à intervenir militairement dans les affaires italiennes.
En Méditerranée orientale, la progression ottomane constitue le fait majeur. Passés dans la péninsule Balkanique dès 1354, les Turcs sont arrêtés au début du XVe siècle par leur défaite face à Timur (Ankara, 1402), mais grignotent à partir de 1421 les lambeaux qui subsistent de l’Empire byzantin. La prise de Constantinople le 29 mai 1453 sanctionne l’échec de l’union des Eglises conclue au concile de Florence (1439) et celle de la croisade de Varna qui s’efforçait de porter secours à l’Empire agonisant. Les Ottomans absorbent ensuite les débris des possessions latines et grecques dans les Balkans et tentent même de passer en Italie.
Ils sont repoussés à Otrante mais constituent désormais un danger majeur pour l’Europe chrétienne que seule soulagera la victoire de Lépante remportée sur la flotte turque en 1571. En Méditerranée orientale, les sultans mamelouks bahrites, d’origine turque, qui avaient tenté de restaurer l’État syro-égyptien et de l’agrandir en s’emparant de la Petite Arménie (1375), sont renversés par des Mamelouks originaires du Caucase, les Bourjites. Parmi eux se distinguent les sultans Barqûq (I382-1399) et Barsbay (1422-1437), qui s’efforcent de s’approprier les bénéfices du commerce oriental, au détriment des marchands d’épices musulmans, les karimis, et des hommes d’affaires occidentaux, étroitement contrôlés.
C’est pourtant au XVe siècle que s’observe la plus grande prospérité du commerce du Levant. Celui-ci bénéficie de nombreuses innovations techniques. Les contrats notariés, souvent conclus pour un seul voyage, font place à des associations durables, sociétés ou compagnies, qui étendent leur réseau de facteurs et de représentants à l’ensemble du monde méditerranéen : celle du marchand de Prato Francesco di Marco Datini et, au XVe siècle, celle des Médicis, devenue concessionnaire de l’alun de Tolfa (près de Rome), sont restées célèbres. Elles mettent sur pied un réseau d’informations développé, manient les lettres de change et des techniques bancaires sophistiquées, utilisent les assurances maritimes pour se protéger des aléas du transport sur mer. L’outil naval ne cesse de se perfectionner.
A côté des galées du marché, utilisées par le Sénat vénitien, les « coques » (cocchè) ont envahi la mer : lourds navires ronds au gréement carré, devenus le navire marchand par excellence, au point que le mot cocha disparaît pour être remplacé par celui très général de navis, évoluant vers les lourdes caraques de la fin du XVe siècle. La Catalogne reste fidèle à la nau d’une ou de deux couvertes et d’une portée de trois cents à sept cents botti. La course aux gros tonnages avantage Gênes, plus encline que Venise au transport de pondéreux (alun, métaux), de céréales et de matières premières. Divers types de moyens et de petits tonnages (ligna à Gênes, marano à Venise, leny à Barcelone) constituent les moyens des navigations côtières qui redistribuent les produits à partir des grandes métropoles portuaires.
Celles-ci commandent en effet le grand trafic maritime méditerranéen, devenu d’une complexité croissante. Les interdits pontificaux du commerce avec les Sarrasins ont été progressivement levés par la papauté, à mesure que se fermaient les routes mongoles de la soie et des épices dans la seconde moitié du XIVe siècle. Les licences pontificales, d’abord accordées pour un an à quelques hommes d’affaires, deviennent générales vers 1400 : Venise l’obtient pour vingt-cinq ans en 1399 et prend en Syrie et en Egypte la tête des nations occidentales. Les muàe d’Alexandrie et de Beyrouth deviennent régulières chaque année et sont parfois complétées par des convois de « coques » pour charger le coton syrien. Eliyahu Ashtor considérait les dernières décennies du XVe siècle comme l’âge d’or du commerce du Levant pour Venise : la Sérénissime envoie une moyenne de sept galées par an vers Alexandrie et Beyrouth et investit plus de cinq cent mille ducats en achats d’épices, plus de cent cinquante mille en achats de coton.
Les autres nations ont une moindre part dans le commerce du Levant. Les Génois, tout en ne négligeant pas Alexandrie, s’intéressent davantage à Chio, au commerce de l’alun et du mastic. Leur présence est massive en Méditerranée occidentale, à Séville et à Cadix, relais vers les Flandres et l’Angleterre. L’agressivité des Catalans vis-à-vis du sultan mamelouk porte préjudice à leur commerce du Levant, pour lequel suffisent deux à trois vaisseaux par an. Quant aux autres trafics occidentaux (Français de Jacques Cœur, Provençaux, Montpelliérains, Florentins, Napolitains, Siciliens, Ancônitains, Ragusains), ils restent très modestes et irréguliers d’une année à l’autre. La conquête de Constantinople par les Ottomans réduit à un mince filet le commerce romaniote et pontique, que les Génois surtout assurent jusqu’à la prise de Caffa et de leurs autres colonies de Crimée en 1475.
À ces échanges directs entre l’Orient et l’Occident, il faut adjoindre des trafics Nord-Sud, tout aussi essentiels : laine et céréales de Berbérie, sel d’Ibiza, de Sardaigne et de l’Adriatique, fruits et huile d’Andalousie, vin de Calabre, blé de Sicile, or du Soudan arrivant jusqu’aux franges de la mer. Matières premières et produits alimentaires sont échangés contre les produits fabriqués à haute valeur ajoutée : un « échange inégal » qui, pour certains, serait à l’origine du sous-développement de maint pays musulman. Pour s’en assurer les bénéfices, les républiques marchandes d’Occident passent des traités avec lés Hafsides d’Ifriqiya, les Mérinides du Maroc ou les souverains aragonais de Sicile. Elles créent de petites colonies marchandes dans toute la Méditerranée occidentale. Venise instaure de nouvelles mude, du « Trafego », de Barbarie et d’Aigues-Mortes, tandis que les Génois font de Séville le centre de leurs affaires en Méditerranée occidentale et le point de départ vers une colonisation des îles de l’Atlantique.
Le commerce n’est pas la seule raison des déplacements de populations. Avant même la prise de Constantinople par les Ottomans, de nombreux lettrés grecs ont trouvé refuge en Occident, souvent avec leurs manuscrits ; ils ont suscité en Italie un renouveau de l’étude du grec, qui n’est pas étranger à la naissance de l’humanisme et à la transmission à l’Occident d’une partie de l’héritage classique. Dans la péninsule Ibérique, l’achèvement de la Reconquista, avec la prise de Grenade par les Rois Catholiques, a pour conséquence l’expulsion de populations musulmanes et la fuite des communautés juives, obligées de partir ou de se convertir. De nouvelles diasporas bouleversent à la fin du XVe siècle l’équilibre ethnique de la Méditerranée.
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