Le problème palestinien
Non seulement la guerre des Six Jours ne règle rien, mais elle déstabilise toute la région, désormais en proie à une violence plus ou moins contenue. En outre, elle accélère l’affirmation de la résistance palestinienne qui se développe depuis la création en mai-juin 1964, lors du premier Congrès national de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dont la charte révisée en juin 1968 récuse le partage de la Palestine et la création de l’État d’Israël.
Le problème palestinien n’est pas né en 1967, mais il s’exacerbe considérablement à partir de la guerre des Six Jours. Jusqu’à 1967, en effet, la Jordanie détenait une partie de la Palestine, la Cisjordanie. En 1967, la Jordanie la perd, ainsi que Jérusalem. Elle est ainsi limitée à une frontière longeant le lac de Tibériade, le Jourdain, et la mer Morte. Or c’est en Jordanie que s’étaient déjà réfugiés la plupart des Palestiniens ayant fui Israël. Les militants de la nation palestinienne s’organisent pour lutter contre Israël et instituer la subversion en Cisjordanie. Ils lancent des coups de main, préparent des attentats ; ils finissent par constituer un État dans l’État et menacer l’autorité de la dynastie Hachémite (du nom de la famille qui a régné sur les lieux saints de l’Islam pendant un millénaire et dirige le royaume de Jordanie).
En septembre 1970, le roi Hussein décide d’utiliser l’armée pour rétablir ire dans les camps palestiniens. C’est l’opération « Septembre noir ». Les heurts sont sanglants et les arrestations nombreuses, malgré un début d’intervention de la Syrie. La répression est si forte que beaucoup de Palestiniens Eut la Jordanie pour le Liban, la Syrie et même Israël, et que le régime du roi Hussein est mis en quarantaine par les autres pays arabes.
Palestiniens chassés de Jordanie, étroitement surveillés en Israël, se «dent au Liban et multiplient les actes de terrorisme dans les aéroports ou de piraterie aérienne. Un commando palestinien sème la terreur en s’attaquant à l’équipe israélienne aux Jeux olympiques de Munich, en septembre 1972.
Les bouleversements internes:
De la guerre des Six Jours à celle du Kippour, le Proche-Orient est secoué par des coups de force qui bouleversent l’échiquier régional. Mettant à profit le désengagement américain dû au processus de la détente et à la guerre du Viêt-nam, l’Union soviétique y marque des points, même si elle n’enregistre pas uniquement des succès.
Au Soudan, un coup d’État en mai 1969 amène au pouvoir le général Nemeiry qui met fin aux bonnes relations qui existaient avec l’URSS. Les 2 000 conseillers soviétiques sont chassés du pays et les communistes soudanais pourchassés. Malgré une tentative de coup de force de ceux-ci en juillet 1971, le général Nemeiry se maintient au pouvoir.
En Irak, en juillet 1968, le général Aref est renversé par le général Bakr, à la grande satisfaction de l’Union soviétique. Le parti Baas, laïc, socialiste et nationaliste revient au pouvoir. D’ailleurs, l’un des dirigeants du Baas, Saddam Hussein, va négocier à Moscou un rapprochement important qui aboutit à la signature d’un véritable traité d’alliance entre l’Irak et l’URSS, le 9 avril 1972. Aux termes de cet accord, l’URSS s’engage à fournir à l’Irak des armes soviétiques et à lui acheter son pétrole pour faire pièce à la puissante Irak Petroleum Company, que le gouvernement irakien décide de nationaliser le 1er juin 1972.
En Syrie, le coup d’État du 13 novembre 1970 amène au pouvoir Hafez el- Assad qui élimine des dirigeants prosoviétiques. Toutefois, les Soviétiques font tout pour maintenir de bonnes relations avec Damas en fournissant en quantité des armes à la Syrie, ainsi que des MIG 21 et des fusées SAM. Et les Soviétiques s’entremettent pour réconcilier les frères ennemis du Baas, l’Irak et la Syrie.
En Égypte, le colonel Nasser, qui meurt le 28 septembre 1970, est remplacé par son adjoint, Anouar el-Sadate. Les bonnes relations soviéto-égyptiennes se poursuivent, grâce à la livraison de MIG 23 et d’engins SAM et à l’envoi de conseillers militaires qui atteignent le chiffre de 20 000. En 1971, le président Podgomy vient inaugurer le barrage d’Assouan. Et le 27 mai 1971, un traité d’amitié soviéto-égyptien est signé au Caire, aux termes duquel les deux pays s’engagent à une non-ingérence réciproque dans leurs affaires intérieures, à l’accroissement de leur coopération militaire et de l’aide économique soviétique, en échange de facilités de relâche pour la flotte soviétique de Méditerranée dans les ports syriens et égyptiens. Toutefois, l’Egypte s’inquiète d’une trop grande dépendance à l’égard de l’URSS. Elle soutient la lutte du général Nemeiry au Soudan contre le coup de force communiste. Le 18 juillet 1972, elle chasse les conseillers soviétiques et annonce une « fusion totale » avec la Libye et la Syrie.
En Libye, l’armée fomente un coup d’Etat qui chasse du pouvoir le 1er septembre 1969 le roi Idris et proclame la République libyenne. Le colonel Kadhafi devient le chef du gouvernement. Cette révolution nationaliste de type pronassérienne est d’abord anticommuniste. Au sommet des pays non engagés à Alger en 1973, Kadhafi attaque violemment Fidel Castro, accusé d’être l’allié de l’URSS et de ne pas être en état de participer à une conférence de non-engagés.
L’Union des Républiques arabes entre l’Egypte et la Libye, amorcée en 1971 et confirmée en 1972, se heurte à de nombreux obstacles, dont la dissymétrie entre un pays de 3 millions d’habitants et un autre de 40 millions. En 1973, alors que Sadate fait savoir son manque d’enthousiasme, Kadhafi organise une marche de Libyens sur l’Egypte. Des incidents se produisent à la frontière, près de Marsa-Matrouk. L’affaire est sans suite.
La guerre du Kippour:
En 1973, l’occasion d’une guerre paraît propice au successeur de Nasser, Anouar el-Sadate. Israël est désapprouvé par plusieurs Etats européens, dont la France, en raison de son obstination à garder les territoires conquis en 1967. Son isolement diplomatique est croissant. Malgré les efforts du nouveau Premier ministre israélien, Mme Golda Meir, qui voyage partout, les pays arabes réussissent à obtenir de nombreux pays, en particulier africains, qu’ils rompent leurs relations avec Israël.
Les efforts de l’ONU sont dans l’impasse. Le Conseil de sécurité se prononce le 26 juillet 1973 sur un texte vague mentionnant l’évacuation des territoires occupés par Israël, voté par treize Etats, la Chine s’abstenant et les Etats-Unis mettant leur veto. Le monde arabe a retrouvé une certaine unité, voire une certaine puissance. Il a acquis le concours de l’URSS, qui soutient plus que jamais la cause arabe.
L’attaque égypto-syrienne est déclenchée le 6 octobre 1973, en plein Ramadan (fête musulmane), le jour même de Kippour (fête juive). La surprise est donc totale. Les Egyptiens bousculent la défense israélienne, franchissenl le canal et avancent dans le Sinaï sur un front de 180 km, tandis que les Syriens pénètrent dans le Golan, s’emparent du mont Hermon et de la ville de Kuneitra. Les premières contre-attaques israéliennes sont infructueuses, cai elles se heurtent à une forte résistance des Syriens et des Egyptiens, très bier équipés en armes modernes. Néanmoins, à partir du 12 octobre, les Israéliens regagnent du terrain. Le 19 octobre, non seulement ils ont reconquis tout le Golan, mais ils avancent jusqu’à 30 km de Damas. Le redressement israélier est plus lent au Sinaï, les forces égyptiennes étant plus nombreuses. Toutefois dès le 8 octobre, une division israélienne, commandée par le général Ariel Sharon, s’enfonce entre la deuxième et la troisième armée égyptienne, atteint le canal de Suez le 15, et établit même une tête de pont sur la rive ouest.
Chacune à son tour, les grandes puissances s’efforcent de parvenir à un cessez-le-feu. Le 19 octobre, Brejnev invite Kissinger à Moscou et c’est dans la nuit du 21 au 22 que le Conseil de sécurité par 14 voix et une abstention (Chine) vote la Résolution 338 : cessez-le-feu dans les douze heures, application de la Résolution 242, négociations pour une paix juste et durable. Mais les Israéliens poursuivent les opérations jusqu’au 23 pour achever d’encercler la troisième armée égyptienne et avancent jusqu’à 70 km du Caire. Aussitôt, les Soviétiques menacent d’intervenir pour voler au secours de Sadate et les Américains mettent leurs forces stratégiques en alerte. La guerre atomique est évitée car la collaboration globale américano-soviétique découlant des accords SALT est plus importante que la confrontation régionale. De leur côté, les Américains poussent fortement les Israéliens à négocier directement avec les Égyptiens. Ces négociations du kilomètre 101 vont aboutir à un premier accord, le 11 novembre, puis à un second plus complet en janvier 1974.
La guerre du Kippour a plusieurs conséquences importantes. En premier lieu, elle révèle une chose totalement nouvelle : l’égalité de valeur sur le champ de bataille entre Arabes et Israéliens. Même si Israël a remporté la victoire, les Arabes ont bien combattu, à la fois sur le plan humain et sur le plan technique. L’humiliation de juin 1967 est bien loin. La deuxième leçon de la guerre, c’est la vulnérabilité d’Israël, qui incite l’État hébreu à une prudence encore plus grande en ce qui concerne le sort des territoires occupés. La troisième leçon, c’est que la guerre ne résout rien. Elle incite donc à la négociation. L’initiative diplomatique revient aux États-Unis, seuls susceptibles de faire pression sur Israël. Mais les Arabes continuent de refuser la conclusion de toute paix séparée. La question palestinienne apparaît désormais comme le problème n 1.
La portée essentielle de la guerre du Kippour est d’avoir poussé les États producteurs de pétrole riverains du golfe Persique à utiliser un formidable moyen de pression sur le monde occidental, l’augmentation du prix du pétrole, qui quadruple en trois mois. Cette décision est la cause immédiate de la crise économique dans laquelle le monde bascule en 1973, et qui change radicalement le contexte international. Alors que les deux Grands imposent aux belligérants un arbitrage qui met fin à la guerre et qu’ils confirment ainsi un véritable condominium américano-soviétique sur les affaires mondiales, sous le signe de la détente la déstabilisation gagne peu à peu pour aboutir à une « nouvelle guerre froide ».
Le bilan des années de détente est impressionnant. La question allemande paraît réglée. La Chine populaire entre dans le concert des nations. La paix revient au Viêt-nam. Et les deux Grands mettent fin de concert à la guerre du Kippour. La conférence d’Helsinki, qui consacre le triomphe de la détente, en est aussi la dernière manifestation, car depuis 1973, le monde est entré dans une ère d’instabilité et les Occidentaux constatent que les Soviétiques ont davantage qu’eux profité de la détente, en faisant reconnaître le statu quo territorial en Europe et en étendant leur influence en Asie et au Proche-Orient.