Les femmes sur le marché du travail :
Le « retour à la normale » avec la fin des hostilités est de courte durée. Les femmes investissent de nouveaux secteurs du marché du travail : en 1926, le taux d’activité des femmes est de 36 % ; les femmes mariées résistent au retour au foyer : en 1921, elles sont 35,2 % à travailler, 41,4 % en 1936. Durant l’entre-deux-guerres, la syndicalisation des femmes progresse (de 39 000 en 1900 à 239 000 en 1920, soit une sur sept), favorisée sans doute paila loi de 1920, qui autorise une femme mariée à se syndiquer sans l’accord de son conjoint, et par l’amalgame de syndicats féminin et masculin d’une même branche. Mais les syndiquées accèdent rarement à des postes de direction, y compris dans la Fédération unitaire de l’enseignement, par choix des hommes et réserve des femmes, liée à leur éducation et au poids de la double journée de travail; en 1922, la féministe Marie Guillot devient la première femme secrétaire confédérale d’une importante organisation syndicale, la CGTU.
L’usine détrône le travail à domicile :
La crise du travail à domicile :
Les secteurs traditionnels de l’emploi des femmes sont en déclin : le travail à domicile est le plus touché (perte de la moitié des effectifs entre 1913 et 1931), en liaison avec la crise du textile (passementerie, broderie) et la plus grande mécanisation et standardisation qui privilégient l’usine, ce aux dépens de la famille-cellule de production et des personnels qualifiés : l’ouvrière en confection sans vraie formation remplace la couturière. Le travail à domicile tombe souvent, lorsqu’il perdure, dans une clandestinité qui échappe aux statistiques et ne se prête qu’à des estimations (un million de femmes en 1936).
Des ouvrières sans qualification :
Les ouvrières des usines de l’entre-deux-guerres sont embauchées sans formation, à bas salaires donc, l’acquérant sur le tas : acquisition de gestes simples, répétitifs, rapides. Leur « dextérité naturelle », que loue le patronat, leur vaut d’être employées dans les industries de la seconde révolution industrielle (électricité, petite mécanique, automobile : un quart des effectifs de Renault). Souvent, les femmes sont encore payées à la pièce, d’où de fortes cadences. L’ébauche de rattrapage de leurs salaires n’a pas permis une remise à niveau : l’écart entre les sexes est de 31,1 % en 1920; il tombe à 19 % en 1930, la crise de 1929, qui touche la France surtout à partir de 1932, porte un coup d’arrêt à ce réajustement, et la différence entre les salaires féminins et masculins s’accroît de nouveau (23 % en 1936), en même temps que la débauche des femmes. Les féministes (la LFDF) réclament en vain l’égalité salariale.
Alors que la crise des années 30 affecte tous les secteurs, les hommes continuent de crier à la concurrence déloyale des femmes. Certes, des patrons profitent du contexte pour utiliser la main-d’œuvre féminine pour s’adapter aux fluctuations économiques; de fait, les chômeurs sont plus nombreux que les chômeuses, expression logique du déséquilibre numérique de l’emploi selon les sexes et de la tentative de certains industriels de remplacer les ouvriers qualifiés par des ouvrières sans qualification. Dans cette catégorie, elles sont les premières, avec les immigrés, à être mises au chômage en temps de crise. Les femmes n’en gardent pas moins le souvenir d’avoir alors beaucoup travaillé, multipliant pour remplacer le manque à gagner les « petits boulots » (repassage, ménage, garde d’enfants…), d’autant plus que les aides consenties aux chômeuses sont inférieures à celles perçues par les hommes et que les domestiques en sont exclus (en 1932, 68,5 % des femmes reçoivent une aide, contre 81,9 % des hommes); les femmes mariées sans emploi ne reçoivent pas d’allocation, leur mari est censé pourvoir à leurs besoins. Les féministes dénoncent les raisonnements fondés sur les préjugés antiféministes et non sur des réalités et l’absurdité qui consiste à vouloir lutter contre le chômage en mettant une catégorie au chômage, ce qui suppose que ladite catégorie n’a pas le droit de bénéficier du droit au travail.
La politique du Front populaire est mitigée à l’égard des femmes : l’augmentation des salaires les plus bas leur profite de facto, mais les conventions collectives établies par les accords de Matignon consentent un abattement des salaires féminins de 20 à 30 %, ce qui, au demeurant, incite le patronat à embaucher les femmes pour réduire le coût de la masse salariale.
L’usine, un pôle attractif :
Malgré les inconvénients (monotonie, fatigue, lourdeur des horaires, long trajet depuis que l’usine et le domicile se sont éloignés l’un de l’autre), le travail en usine, sa régularité, sa vie collective, ses congés (dimanche, parfois semaine anglaise c’est-à-dire samedi et dimanche, vacances à partir de 1936), attirent les femmes, même celles qui sont rémunérées à la pièce, car elles espèrent ainsi augmenter leurs gains. Leur entrée en usine se fait par nécessité économique, le salaire du conjoint étant insuffisant; mais elle est souvent vécue comme une promotion sociale. A l’évidence, elle sort les femmes du foyer, crée des liens sociaux, les rend visibles et actrices économiques et sociales.
L’explosion du tertiaire, une chance pour les femmes :
En 1931, les employées sont plus d’un million, leur part dans la population active féminine a triplé depuis 1906. Elles sont engagées dans le commerce (un tiers des emplois), dans les administrations, dans les bureaux. Leur présence, souvent vécue par les hommes comme une invasion, résulte de la conjonction de trois facteurs imbriqués : l’incapacité des classes moyennes à doter leurs filles substitue le métier à la dot ; une meilleure scolarisation des jeunes filles (loi de juillet 1925 : programmes scolaires identiques pour les filles et les garçons) les éloigne des emplois sans formation, méprisés par leurs milieux, et leur fait parfois souhaiter une indépendance; la sténographie puis la dactylographie débouchent sur des métiers propres, assis, dans l’ombre d’un homme, conformes à la « nature féminine » et donc compatibles aussi à la bienséance qui sied aux femmes mariées. La dure condition ouvrière fait souhaiter aux parents que leurs filles échappent au monde industriel pour garder « les mains blanches » par la tertiarisation. Mais on est encore loin de la notion de carrière. Ainsi naît la secrétaire, dont l’image se précise : la « bonne secrétaire » est discrète, disponible, soignée, dévouée, soignant tout autant la présentation du courrier, les fleurs du bureau et le café de son patron. En se féminisant et en désignant les employées de bureau, le mot « secrétaire » a perdu sa superbe d’antan, il ne retrouve son prestige qu’affecté à des fonctions exclusivement masculines (secrétaire d’ambassade, secrétaire d’Etat). Les banques et les assurances, en plein essor, les administrations jouent un rôle majeur dans la bureaucratisation des femmes, laquelle est considérée comme une subordination incompatible avec la fierté masculine. Mais les services ne sont pas épargnés par la crise économique et débauchent les employées, appliquant des critères qui défavorisent les femmes : en 1934, 90 % des emplois supprimés dans les PTT sont féminins, la part des femmes dans l’administration ne croît plus, malgré les protestations des féministes et de la CGT, et la création sur l’initiative du CNFF d’un Comité de liaison pour la défense du travail féminin, réaction à la suppression des indemnités de résidence pour les fonctionnaires mariées, en 1935.
Les percées réalisées avant guerre s’étendent : dans la santé (infirmières – l’École de la Salpêtrière ne peut répondre à toutes les demandes -, assistantes sociales, médecins), dans l’enseignement (les élèves institutrices sont plus nombreuses en 1930 que leurs homologues masculins) – métier considéré bientôt comme idéal pour les femmes car supposé, par ses horaires, permettre de concilier vie professionnelle et vie familiale -, dans le juridique, et ce malgré les grincements de dents des misogynes attachés à leurs prérogatives (8,3 % d’avocates en 1921, 18 % en 1931). Les inscriptions des femmes à l’université progressent, malgré les résistances. La présence des femmes dans le monde du travail et dans celui du savoir s’affirme donc, mais l’un et l’autre demeurent sexués, au désavantage des femmes. Les Lettres plus que les Sciences acceptent leur présence, et la possession d’un diplôme supérieur permet rarement aux femmes d’accéder à l’emploi correspondant à leur qualification ; les réussites spectaculaires de femmes dans tous les domaines – dans les sciences (Irène Joliot-Curie, 1897-1956), dans les lettres (Colette. 1873- 1954), mais aussi dans l’aviation (Hélène Boucher, 1908-1934) et les voyages aventureux (Alexandra David-Neel, 1868-1969), dans le théâtre et le cinéma qui s’affirme comme le septième art (Edwige Feuillère L1907-1998J et les toutes jeunes Michèle Morgan et Danielle Darrieux) – modifient ponctuellement le genre, même si la réussite de certaines s’accompagne d’un antiféminisme paradoxal (Rachilde [1860-1953] et son Pourquoi je ne suis pas féministe, 1928; les journalistes de l’Action française, Henriette Charasson et Marthe Borely). La presse féminine, consciente de la modification de la condition féminine, se renouvelle : en 1937, Jean Prouvost crée Marie-Clciire, et Marcelle Auclair, de retour des Etats-Unis, lui donne le contenu d’un journal féminin « moderne », dépourvu d’un contenu féministe; le succès est immédiat (800000 lectrices).