L'éocéne
A l’Eocène, les grandes tendances paléogéographiques observées au Paléocène se poursuivent avec l’isolement croissant des continents issus du Gondwana.
L’Australie est définitivement séparée de l’Antarctique et l’Afrique, sans connexion terrestre avec l’Eurasie, reste séparée des autres continents. L’isolement de l’Amérique du Sud s’accentue. L’Inde, poursuivant sa dérive vers le nord, devient de plus en plus partie intégrante du continent asiatique.
En ce qui concerne les régions laurasiatiques, l’ouverture de l’Atlantique Nord étant encore incomplète, une liaison terrestre subsiste entre l’Amérique du Nord et l’Europe, via le Groenland.
En revanche, l’Europe est séparée de l’Asie par une mer située dans la région de l’Oural et reliant la Téthys à l’Arctique, qui subsistera pendant tout l’Eocène.
Les températures demeurent généralement élevées, avec des flores et des faunes indiquant des climats chauds à de hautes latitudes, tant dans les régions arctiques qu’antarctiques.
L’Amérique
Au début de PEocène, les ressemblances entres les faunes nord-américaines et européennes sont particulièrement étroites, au point que l’on peut parler, pour cette époque, d’une région zoogéographique euroaméricaine. Sur 60 genres de mammifères connus en Europe à l’Eocène inférieur, 34 étaient aussi présents en Amérique du Nord. Ces similarités remarquables s’expliquent par la persistance d’une liaison terrestre entre les deux continents au niveau de l’actuel Atlantique Nord. Les terres émergées qui assuraient cette connexion se trouvaient en grande partie à des latitudes polaires, mais il n’existait pas de barrière climatique aux échanges de faunes et de flores, car les températures étaient élevées même dans ces contrées. Cela a été confirmé de la façon la plus claire par la découverte de vertébrés fossiles éocènes sur l’île d’Ellesmere, dans l’Arctique canadien. Parmi les restes découverts figurent ceux d’alligators, animaux qui ne peuvent en aucun cas supporter un climat polaire. Les données concernant la végétation du début du Tertiaire dans ces régions polaires (au Spitzberg par exemple), confirment le caractère chaud du climat.
Les mammifères trouvés dans les nombreux gisements éocènes d’Amérique du Nord et d’Europe révèlent la coexistence de formes archaïques et de représentants de groupes plus modernes, dont les descendants prendront une importance croissante dans les faunes des périodes ultérieures. Parmi ces précurseurs figure par exemple le « cheval » primitif Hyracotherium, qui est connu aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe au début de l’Eocène, et que l’on place à la base de lignées buissonnantes qui évolueront ensuite dans des directions différentes en Europe et en Amérique du Nord, après la disparition de l’isthme nordatlantique
Parmi les animaux communs à l’Europe et à l’Amé-rique du Nord durant cette période figurent aussi de grands oiseaux incapables de voler, dont le plus connu est la forme nord-américaine qui a reçu le nom de Diatryma. Ces oiseaux sont représentés en Europe par Gastornis, connu dès le Paléocène, et des comparaisons approfondies suggèrent que Diatryma et Gastornis ne sont probablement qu’un seul et même genre d’oiseaux.
Des restes en ont été trouvés à l’île d’Ellesmere, témoignant d’une voie de migrations nord-atlantique pour ces oiseaux géants. On a souvent voulu y voir de grands prédateurs ayant évolué après la disparition des dinosaures et avant le développement de grands carnivores mammaliens, mais une réinterprétation récente suggère que ces oiseaux se nourrissaient plus vraisemblablement de végétaux.
Si les ressemblances étroites entre certains éléments des faunes européenne et d’Amérique du Nord à l’Eocène s’expliquent aisément par l’existence de la connexion terrestre nord-atlantique, il est plus difficile de rendre compte de la présence en Europe à cette époque d’animaux aux affinités sud-américaines. C’est le cas d’un fourmilier, Eurotamandua, découvert dans l’exceptionnel site de Messel, en Allemagne, où les dépôts d’un ancien lac de l’Eocène moyen ont conservé les restes magnifiquement préservés d’innombrables animaux. Ce fourmilier européen ressemble étonnamment à l’actuel tamandua d’Amérique du Sud, et l’on s’interroge sur les voies de migration par lesquelles cet animal typiquement sud-américain a pu parvenir en Europe, alors qu’à l’Eocène l’Amérique du Sud était un continent isolé. La présence de marsupiaux, comme la célèbre « sarigue de Montmartre », décrite par Cuvier, est moins surprenante car ce groupe de mammifères est connu aussi en Amérique du Nord.
L’Amérique du sud
Durant cette période, l’Amérique du Sud forme elle aussi un continent isolé qui n’a pas de connexions terrestres avec d’autres terres émergées. Il s’y passe ce que l’on a appelé une expérience naturelle d’évolution, avec le développement et la radiation évolutive de divers groupes endémiques de mammifères.
Les couches éocènes de Patagonie, spécialement, ont livré de nombreux restes de ces animaux bien particuliers.
Dans l’Amérique du Sud isolée du Tertiaire, les mammifères carnivores étaient des marsupiaux, les borhyaenidés. Quant aux herbivores, il s’agissait soit d’édentés, apparentés aux fourmiliers et paresseux d’au-jourd’hui, soit de représentants de deux groupes bien précis d’ongulés, les litopternes et les notongulés, qui ne connurent un grand développement que dans cette région du monde, même si on en a trouvé des représentants sur d’autres continents (Amérique du Nord, Asie) dans des roches datant du début du Tertiaire.
Ces curieux mammifères sud-américains dont certains ressemblaient, conséquence de phénomènes de convergence évolutive, à des animaux d’origine bien différente et vivant sur d’autres continents, furent découverts dès le xixc siècle par des paléontologues européens (dont Charles Darwin) et argentins. L’un des plus célèbres de ces derniers fut Florentino Ameghino, qui décrivit de nombreux types de mammifères endé-miques sud-américains.
Ameghino avait pour habitude de nommer les nou-veaux genres de mammifères qu’il décrivait en l’honneur d’éminents paléontologues de son temps. C’est ainsi, par exemple, qu’il appela Thomashuxleya un notongulé éocène, qui devait ressembler quelque peu à un phacochère, en l’honneur du célèbre évolutionniste britannique Thomas Huxley.
En plus des mammifères que nous avons cités, les couches éocènes d’Amérique du Sud contiennent aussi les restes de crocodiles terrestres, les sebecidés, dont les dents tranchantes et crénelées ressemblent tant à celles de dinosaures carnivores, que trouvées isolément, elles furent autrefois prises à tort pour celles de dinosaures du Tertiaire.
L’Antarctique
A l’Eocène, du fait de la séparation de l’Australie, le continent antarctique se trouve lui aussi isolé, mais la proximité de l’Amérique du Sud, au niveau de la Péninsule antarctique, persiste. La calotte glaciaire qui recouvre actuellement ce continent n’a pas encore commencé à se former, et le climat permet l’existence, sans adaptation particulière au froid, d’une flore et d’une faune. Parmi les fossiles trouvés dans l’Eocène de l’Antarctique figure un marsupial qui a des affinités avec ceux d’Amérique du Sud. Cela témoigne des liens fauniques entre les deux régions au début du Tertiaire.
L’Australie
Le continent australien est désormais complètement isolé des autres masses continentales, car il est séparé de l’Antarctique par l’ouverture d’un océan. Cet isolement
est propice à l’évolution de toute une faune endémique, d’où sont absents les mammifères placentaires, mais où les monotrèmes (connus dès le Crétacé et représentés de
nos jours par l’ornithorynque et l’échnidé), et surtout
les marsupiaux vont se développer et se diversifier considérablement. Cependant, faute de gisements fossilifères, la faune australienne du début du Tertiaire est
encore fort mal connues. Les débuts de la radiation évolutive des marsupiaux australiens demeurent .
L’Afrique
A l’Eocène, l’Afrique encore séparée de l’Eurasie par la Téthys est aussi un « continent-île » sans connexions terrestres avec les autres terres émergées. 11 s’y développe une faune particulière, connue principalement grâce aux fossiles trouvés dans divers gisements nord-africains, du Maroc à l’Egypte en passant par l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Parmi les mammifères propres à cette époque à l’Afrique, figurent les proboscidiens, avec notamment Numidotherium trouvé dans l’Eocène inférieur d’Algérie. Il n’était sans doute pas beaucoup plus gros qu’un cochon actuel et possédait probablement une courte trompe.
Un autre proboscidien primitif, trouvé d’abord en Egypte, puis dans divers autres gisements africains, est Moeritherium, bas sur pattes et au corps allongé, aux mœurs probablement semiaquatiques. Les siréniens, mammifères marins représentés aujourd’hui par le lamantin et le dugong, sont apparentés aux proboscidiens, et il a également découvert des restes de très anciens représentants de ce groupe dans l’Eocène d’Egypte.
On trouve aussi dans l’Eocène d’Afrique du Nord des primates relativement avancés. Ils annoncent le développement ultérieur de ce groupe de mammifères sur le continent africain.
L’Asie
Si, pendant toute la durée de l’Eocéne l’Asie se trouva séparée de l’Europe par la mer située au niveau de l’Oural actuel, en revanche elle fut en contact avec l’Amérique du Nord au niveau du Pacifique Nord, dans la région de l’actuel détroit de Béring qui a fonctionné comme un pont continental entre le nord-est de l’Asie et le nord-ouest de l’Amérique à de nombreuses reprises au cours des temps géologiques.
La faune asiatique de l’Eocène est bien connue grâce à de nombreux gisements en Mongolie, en Chine et en Asie du Sud-Est, et illustre bien les ressemblances avec l’Amérique du Nord.
On trouve par exemple en Asie des représentants des uintathères, gros mammifères primitifs au crâne orné de plusieurs paires de cornes, qui sont aussi présents dans l’Eocène d’Amérique du Nord. De même, les brontothères, des périssodactyles ressemblant superficiellement à des rhinocéros à cause de leurs cornes nasales, sont bien représentés tant en Asie qu’en Amérique du Nord dès le milieu de l’Eocène.
Les faunes éocènes de l’Asie du Sud-Est sont connues depuis longtemps grâce aux découvertes faites sur le site de Pondaung, en Birmanie, mais l’exploitation récente des gisements de Krabi, dans le sud de la Thaïlande, a beaucoup amélioré notre connaissance des vertébrés de l’Eocène supérieur de cette région du monde.
Dans les lignites de Krabi, on trouve en abondance des restes d’anthracothères comme Bothriodon, artiodactyles apparentés probablement aux hippopotames, qui se diversifièrent considérablement en Asie à l’Eocène, avant de parvenir ultérieurement en Europe et en Afrique. Tant à Pondaung qu’à Krabi on a aussi découvert des restes d’anthropoïdes primitifs qui montrent que, dès cette période, ces primates étaient présents et se diversifiaient hors d’Afrique.
Divers gisements au Pakistan et en Inde nous renseignent sur la faune de vertébrés du sous-continent indien à l’Eocène.
Les affinités asiatiques des mammifères de cette région, avec par exemple la présence de brontothères, ne laissent aucun doute quant à l’existence de connexions terrestres bien établies avec le reste de l’Asie.
Parmi les animaux les plus intéressants trouvés dans l’Eocène de cette région figurent des cétacés très primitifs, aux membres encore incomplètement transformés en nageoires, qui nous renseignent sur les stades les plus anciens de l’évolution de ces mammifères marins.