De la parole féminine à la revendication « féministe »
Contre l’exclusion politique des femmes :
Le droit de cité des femmes :
Le philosophe Condorcet (1743-1794) qui, dès 1787, avait défendu le droit politique des femmes, dénonce leur exclusion comme une violation des principes mêmes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le philosophe se signale ainsi comme l’un des premiers théoriciens du féminisme – mot qui apparaît au XIXe siècle, utilisé ici pour désigner toute réflexion ou acte qui travaille à la défense des droits des femmes et/ou à l’instauration de l’égalité entre les sexes -, mais Condorcet ne défend pas son projet à l’Assemblée.
La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne :
Plus radicale et exigeante est Olympe de Gouges (1755-1793) qui réagit à la confiscation de la représentation des femmes, comme d’autres (requête des dames à l’Assemblée nationale, automne 1789). Elle publie, en septembre 1791, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, pendant provocateur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’article I proclame : « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droit. » Alors monarchiste modérée, Olympe de Gouges dédie son écrit à Marie- Antoinette (1755-1793) ; elle montre ainsi que la condition féminine dépasse les clivages politiques et sociaux. Le ton véhément veut signifier aux hommes, responsables « des malheurs publics et de la corruption des gouvernements », qu’ils ne pourront plus faire taire les femmes, « sexe supérieur en beauté et en courage », au nom desquelles s’exprime Olympe de Gouges. Les difficultés de la Révolution proviennent, selon elle, de l’exclusion des femmes du politique. Le contenu de cette déclaration, plus que son impact, en fait le premier grand texte féministe, écrit par une féministe radicale, isolée et donc peu représentative de la majorité des femmes.
La sans-culotterie féminine :
Dans la rue, lors des remous et manifestations, des femmes jouent le rôle d’incitatrices : elles poussent les hommes à l’action, ce qui leur vaut le surnom de « boutefeux ». À l’Assemblée, elles occupent les bancs du public ; par leurs interventions, les tricoteuses – le surnom apparaît en 1795 – essaient de faire valoir leur avis et de peser sur les décisions des députés. Cependant la masse des femmes ne participe pas quotidiennement à la Révolution et n’a certainement pas conscience du sens de son exclusion. Composante du mouvement populaire, les femmes n’ont pas de position politique commune; on les retrouve dans les diverses tendances, elles ne différent pas en cela des hommes. Leur engagement peut être temporaire, au gré des journées révolutionnaires ; il peut être permanent, les unes sont des militantes de la sans- culotterie quasi anonymes, les autres se remarquent par leurs revendications particulières, servies par leur personnalité et leurs idées singulières.
Les clubs de femmes :
Présentes dans les clubs qui acceptent la mixité (Société fraternelle de patriotes des deux sexes, 1790), mais nettement minoritaires, exclues des « grands » clubs, ceux des Cordeliers et des Jacobins, des femmes créent leurs propres lieux de sociabilité révolutionnaire. Entre 1789 et 1793, on compte à Paris et en province 56 clubs féminins. À l’origine philanthropiques, ils sont pour les femmes un lieu d’apprentissage de la parole, de la politique, par le soutien, notamment, au clergé constitutionnel. Sans renier l’intérêt général, certaines femmes glissent vers des revendications féministes. Dans la capitale, Etta Palm d’Aelders fonde en mars 1791 la Société patriotique et de bienfaisance des amies de la vérité ; ses membres réclament les droits politiques, la mise en place d’un système éducatif pour les petites filles pauvres et le divorce.
La revendication de la citoyenneté :
Par leur participation, par les pétitions et les écrits des plus cultivées, des femmes réclament la citoyenneté. Tel est aussi le sens de la demande du port des armes.
Ces révolutionnaires tirent la conséquence de l’affirmation de Robespierre (1758-1794), selon lequel « être armé pour la défense de la patrie est le droit de tout citoyen » (27 avril 1791). Le 6 mars 1792, Pauline Léon et une vingtaine de femmes portent à l’Assemblée une pétition signée de 319 femmes; elles demandent à s’organiser en garde nationale féminine et à porter les armes, en conformité au droit de tout citoyen. En vain. Quelques jours plus tard, le 25 mars 1792, Théroigne de Méricourt (1762-1817), dans son habituel costume d’amazone, qui lui vaut ce surnom, pistolets aux hanches, appelle les femmes à s’armer, à ouvrir une liste d’amazones, afin de montrer aux hommes qu’elles ne leur sont « inférieures ni en vertu, ni en courage ». Il s’agit de défendre leurs foyers et la nation alors que la menace d’une guerre avec l’Autriche se précise. Cette revendication du port des armes se confond donc avec celle de la citoyenneté. C’est ainsi que doit être compris le refus de l’Assemblée de donner satisfaction à cette requête. Les citoyens passifs sont, eux, admis dans la garde nationale, à partir du 30 juillet 1792. Bien qu’elles participent à la prise des Tuileries, le 10 août 1792, et que leur action et leur bravoure soient officiellement reconnues par les couronnes civiques qui sont attribuées à Théroigne de Méricourt, Claire Lacombe et Louise-Reine Audu, les femmes ne bénéficient pas de l’avancée démocratique qui s’ensuit; les Français seuls obtiennent la citoyenneté, situation qui perdure jusqu’à l’établissement du suffrage censitaire en 1795. La Révolution vient clairement de montrer qu’elle est contre les femmes.