L’Empire et le monde
Avec les succès militaires acquis en Afghanistan et en Irak, l’administration américaine pratique un unilatéralisme sans complexe sous l’influence idéologique des néo-conservateurs et elle entend imposer ses vues au monde, d’autant plus que le président George W. Bush est aisément réélu le 2 novembre 2004. L’administration Bush dénonce (13 décembre 2001) le traité ABM de 1972 pour construire son bouclier antimissile (dont le déploiement commence en décembre 2002), elle décline toute adhésion au protocole de Kyoto, elle refuse de ratifier le traité créant la Cour pénale internationale et négocie des accords afin de mettre ses ressortissants à l’abri d’éventuelles poursuites internationales, elle rejette tout système contraignant de contrôle des armes biologiques, elle développe une nouvelle doctrine envisageant de banaliser l’arme nucléaire et elle adopte en 2003 un budget militaire en expansion, qui atteint 40 % du total des dépenses militaires mondiales.
D’autres mesures de l’administration américaine suscitent la réticence de ses alliés, comme son implantation en Ouzbékistan et au Tadjikistan, d’abord acceptée par la Russie, qui voit les États-Unis s’installer dans une zone traditionnelle d’influence russe, comme ses menaces aux États (Iran, Irak, Corée du Nord) suspects de complicité à l’égard des terroristes (discours de G.W. Bush, 29 janvier 2002), qui forment « l’axe du mal » ou les « postes avancés de la tyrannie » : Cuba, Zimbabwe, Biélorussie, Iran, Birmanie, Corée du Nord (discours de C. Rice, 18 janvier 2005). La décision du gouvernement américain d’imposer de lourdes taxes sur les importations d’acier (mars 2002) provoque la réprobation avant qu’il ne soit obligé de les retirer (fin 2003), face aux menaces de représailles des pays européens et aux sanctions autorisées par l’OMC.
Au cours de sa tournée européenne (mai 2002), le président G.W. Bush signe avec Vladimir Poutine un accord de désarmement nucléaire, ramenant l’arsenal des deux pays à un nombre d’ogives compris entre 1 700 et 2 200 d’ici à 2012 contre environ 6 000 au moment du traité (24 mai 2002), chaque pays demeurant libre de détruire ou simplement de stocker ces armes. Par cette déclaration du 24 mai, États-Unis et Russie se déclarent décidés à coopérer dans la lutte contre le terrorisme, d’agir ensemble en Asie centrale et dans le Caucase, où Washington obtient un droit de regard, et au Proche- Orient. Le partenariat avec la Russie s’exprime aussi par la signature à Rome le 28 mai d’un accord créant « un Conseil OTAN-Russie » pour mieux associer Moscou à l’Alliance atlantique. Le 22 novembre 2002, G.W. Bush rencontre V. Poutine à Saint-Pétersbourg : il en ressort une véritable alliance russo-américaine face au terrorisme international. Mais par la suite, les désaccords se multiplient entre Washington, qui critique la dérive autoritaire du régime russe et dénonce la collaboration de la Russie avec la Syrie, l’Iran et la Corée du Nord, et Moscou qui se rapproche de Paris et Bonn à l’occasion de la guerre d’Irak et surtout soupçonne les Américains de vouloir s’implanter durablement dans l’espace ex-soviétique. Après la Géorgie, l’Ukraine et la Moldavie se tournent vers l’Occident ; le Kirghizistan et l’Ouzbékistan sont ébranlés par des mouvements populaires. D’où une rencontre Bush-Poutine pleine de méfiance réciproque, le 24 février 2005 à Bratislava, et le souci de Moscou de jouer la carte européenne (Sommet de Paris entre Chirac, Poutine, Zapatero et Schröder, 18 mars 2005).
L’effacement de l’Europe est patent. La crise d’Afghanistan provoque une marginalisation de son rôle et une « renationalisation » des politiques étrangères. Faisant bande à part, Londres, Paris et Berlin s’engagent de façon bilatérale aux côtés des Américains. L’événement révèle aussi la lourdeur de l’Europe dans le domaine politico-militaire, empêtrée dans les procédures. Si les Européens se retrouvent pour dénoncer l’unilatéralisme américain, ils peinent à concilier leurs points de vue pour la définition d’une stratégie commune. La crise irakienne a des conséquences bien plus graves. Elle révèle en effet la désunion européenne ; elle met à nu la faiblesse militaire des États européens et la domination de l’industrie américaine d’armement. Elle a pour conséquence de diviser l’Ancien monde entre une « vieille Europe » rétive à l’ordre impérial et une « nouvelle » Europe prête à suivre les États-Unis. Face à Paris et Berlin opposés à la guerre, huit autres capitales de l’Union européenne et des pays candidats manifestent leur soutien à Washington (30 janvier 2003), et le groupe de Vilnius (formé par dix ex-États communistes aspirant à l’adhésion à l’OTAN) se déclare prêt à rejoindre une coalition en vue de désarmer le régime de Saddam Hussein. Washington réagit très mal à l’intention affichée par certains États européens (France, Allemagne, Belgique) en septembre 2003 de mettre sur pied un commandement autonome hors des structures de l’OTAN et apte à exécuter des opérations militaires. Décidé à Prague en novembre 2002, l’élargissement de l’Alliance à sept pays de l’ex-Europe de l’Est (Bulgarie, Roumanie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie et Slovénie) est officiel le 2 avril 2004. L’OTAN devient- elle une vraie organisation militaire européenne ? En réalité, elle devient le bras armé de la politique américaine avec la création d’une force de réaction rapide à projeter dans les zones de conflit, qui se déploie désormais au-delà de sa zone traditionnelle. Ainsi, en avril 2003, l’OTAN prend la direction de l’ISAF, force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan. À Nice (février 2005), les ministres de la Défense de l’OTAN discutent des moyens de renforcer les missions de l’OTAN en Afghanistan et en Irak. Le sommet extraordinaire de l’Organisation (22 février 2005 à Bruxelles) déclare que les États membres comptent « renforcer le rôle de l’OTAN en tant que forum essentiel entre alliés sur les questions stratégiques et politiques ».
Sur le plan de la construction européenne, les succès alternent avec les échecs. Certains des États conviennent entre eux au sommet de Laeken (décembre 2001) de lancer la fabrication d’un Airbus militaire A-400M et les Quinze finissent par se décider à financer le projet Galileo (système de navigation et de positionnement), qui devrait mettre fin au monopole américain. La « stratégie de Lisbonne », adoptée en 2000, ambitionne de donner à l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ».
L’entrée en vigueur de F euro dans la vie quotidienne de 300 millions d’Européens, le 1er janvier 2002, est un succès technique et un moment historique de la construction européenne : dix ans après le traité de Maastricht, douze États de l’Union européenne (Allemagne, Autriche, Bénélux, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Portugal) partagent la même monnaie. Mais les conceptions sur l’avenir de l’Union sont floues et antagonistes, et le moteur franco-allemand grippé, alors que l’Europe est engagée dans une course de vitesse entre l’élargissement et une tentative d’approfondissement : la Convention pour l’avenir de l’Europe (présidée par Valéry Giscard d’Estaing) est chargée de préparer la refonte de F Union, en prévision de son élargissement, et d’élaborer une Constitution.
Après la discorde franco-allemande marquée par un affrontement sur le financement de la PAC et l’échec du sommet de Nice (décembre 2000), le moteur franco-allemand repart grâce à un accord dans le dossier agricole entre Jacques Chirac et Gerhard Schröder, qui célèbrent en grande pompe le 40e anniversaire du traité de l’Elysée (janvier 2003), au risque de susciter la crainte d’un directoire franco-allemand ou de jeter le trouble par le non- respect du pacte de stabilité (dont ils souhaitent la réforme). Pour éviter une course à la productivité, il y aura découplage entre les aides directes versées aux agriculteurs et le niveau de production, total ou partiel, à partir de 2007 dans le cas des céréales et de la viande bovine ; les subventions seront liées à des critères de qualité et le budget total de la PAC est censé stagner d’ici 2013. En décembre 2002, le sommet de Copenhague accepte l’entrée dans l’Union de huit pays d’Europe centrale et orientale : Pologne, République tchèque, Slovénie, Hongrie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie, plus Malte et Chypre (bien que le plan de règlement des Nations unies, qui aurait dû aboutir à la réunification de l’île, soit rejeté par les Chypriotes grecs le 24 avril 2004). Cet élargissement, qui est officiel le 1er mai 2004, peut soit diluer l’Union européenne, car les nouveaux membres n’ont pas les mêmes attentes que les Etats fondateurs, soit être source de dynamisme grâce à une communauté de 450 millions de citoyens. Trois pays sont susceptibles de se joindre à eux par la suite : la Roumanie et la Bulgarie, en 2007, et la Turquie dont le cas est disjoint et dont l’éventuelle entrée dans l’Union européenne suscite un vaste débat, malgré l’ouverture de négociations d’adhésion en octobre 2005.
L’intégration des pays d’Europe centrale et orientale a une portée plus symbolique (parce que cet élargissement clôt le processus entamé avec la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’Union soviétique) que démographique (au total 75 millions d’habitants) ou économique (leur revenu représente 1/3 seulement de celui des pays d’Europe occidentale). La nouvelle Commission européenne (novembre 2004), présidée par José Manuel Durao Barroso, comprend 25 commissaires (au lieu de 20), un par Etat membre. Mais le projet de Constitution élaboré par la Convention (juin 2003), qui modifie la pondération des voix au Conseil des ministres, en attribuant plus de voix aux quatre États les plus peuplés (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie), et qui prévoit la création d’un poste de président du Conseil européen pour une durée de deux ans et demi renouvelable (afin de mettre fin à la présidence tournante tous les six mois) et d’un poste de ministre des Affaires étrangères de l’Union (à la fois haut représentant pour la PESC et commissaire aux Relations extérieures), se heurte au refus de la Pologne et de l’Espagne de renoncer aux acquis du traité de Nice de décembre 2000. Après le fiasco du sommet des 12-13 décembre 2003, les Vingt-Cinq réunis à Bruxelles (18 juin 2004) adoptent à l’unanimité le projet de traité constitutionnel, signé à Rome le 29 octobre 2004.
Mais la ratification du Traité se heurte à l’euro-pessimisme de certains membres fondateurs comme la France (29 mai 2005) et les Pays-Bas (lerjuin) qui rejettent la Constitution. Dans ce contexte, le Conseil européen de Bruxelles (16-17 juin 2005) est un échec en raison du désaccord sur les pers¬pectives financières, le Premier ministre britannique, Tony Blair, n’acceptant pas la remise en cause de la ristourne britannique, et pointant du doigt la part excessive – selon lui – de la part du budget consacrée à la PAC.
En dehors de l’Europe communautaire, les pays de l’ex-Yougoslavie sont convalescents. Sept ans après la guerre, la Bosnie est en paix grâce aux
12 000 soldats de la SFOR relayés par 7 000 soldats européens envoyés en novembre 2004, mais elle n’est toujours pas stabilisée. Au Kosovo, sur lequel s’exerce le protectorat de l’ONU par l’intermédiaire de la MINUK, le processus de rétablissement de la paix et de retour à la stabilité est long. A l’occasion des élections présidentielles, une crise secoue l’Ukraine et la « révolution orange » finit par porter au pouvoir l’opposant pro-occidental Viktor Ioutchtchenko (décembre 2004), ce qui constitue un succès pour les États-Unis, dont les forces s’installent aussi en Roumanie et en Bulgarie et ravive la tension entre Moscou et Washington. Depuis la fin de l’URSS (22,4 millions de km2, 293 millions d’habitants en 1991), l’immense empire russe ne cesse de rétrécir et de se contracter tout en demeurant géant : 17 millions de km2 et 145 millions d’habitants pour la Russie actuelle.
Au Proche-Orient, l’enchaînement des violences, des attentats et de la répression a ruiné les espoirs de paix de Camp David (juillet 2000) et de Taba (janvier 2001). Deux facteurs structurent la région : la présence américaine plus ou moins interventionniste et le conflit israélo-palestinien.
Depuis l’élection d’Ariel Sharon au poste de Premier ministre (6 février 2001) et sa confortable réélection (janvier 2003), l’État d’Israël répond aux violences palestiniennes – en particulier des attentats-suicides très meurtriers – par des assassinats ciblés (comme par exemple celui du cheikh Yassine, chef spirituel du Hamas, en mars 2004), des opérations militaires de grande envergure, en fait une réoccupation partielle des territoires autonomes palestiniens, et la remise en cause de 1″Autorité palestinienne, la mise « hors-jeu » de Yasser Arafat et même son isolement total (mars-avril
2002) . Le monde arabe s’enflamme. Les dirigeants européens appellent à un retrait des troupes israéliennes. Les Américains laissent de facto un blanc-seing à Ariel Sharon. Les répercussions du 11 Septembre sont ambivalentes. Dans un premier temps, l’administration G.W. Bush se désengage du conflit israélo-palestinien, adoptant toutefois une attitude jugée objectivement favorable au gouvernement israélien. Après le 11 Septembre, les États-Unis se réengagent très prudemment, dans un contexte où les protagonistes ne veulent pas faire la paix, et ils proposent le vote par le Conseil de sécurité (13 mars 2002) de la résolution 1397 se prononçant pour la coexistence de deux États, israélien et palestinien. Le plan de paix proposé par la Ligue arabe à Beyrouth (mars 2002) est voué à l’échec (car il implique le droit au retour des réfugiés palestiniens et le retrait d’Israël sur ses frontières d’avant juin 1967). À l’automne 2002, une « feuille de route » est élaborée par le « Quartet » (États-Unis, Russie, Europe, ONU). Elle se présente comme un plan de paix en trois étapes, avec comme échéance finale la création d’un «État palestinien, indépendant, démocratique et viable » aux côtés d’Israël. Une première phase est consacrée à la fin de « la terreur et de la violence », au gel de toute colonisation ; une deuxième phase (de juin 2003 à décembre 2003) doit se concentrer sur la création d’un État palestinien indépendant ; la troisième phase, qui aurait dû s’achever en 2005, est destinée à parvenir à un « statut définitif» et à la fin du conflit israélo-palestinien. Mais le projet, rendu public en avril 2003, reste lettre morte et le « Pacte de Genève », plan de paix informel, lancé en décembre 2003 est une initiative privée. L’économie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza est désorganisée et l’édification par les Israéliens d’un mur de sécurité autour des zones palestiniennes est déclarée illégale par la Cour internationale de Justice (juillet 2004). Néanmoins, dans le sillage de la guerre d’Irak, les choses bougent : approuvé par Washington, le Premier ministre israélien met en oeuvre son plan de désengagement de Gaza, tout en pérennisant dans le même temps les colonies israéliennes de Cisjordanie. La mort de Yasser Arafat ( 11 novembre 2004) lève un obstacle de taille à la relance du processus de paix. Son successeur, Mahmoud Abbas, élu président de l’Autorité palestienne (9 janvier 2005), et Ariel Sharon proclament solennellement à Charm-el-Cheikh, le 8 février 2005, la fin de plus de quatre années de violence. Et Israël s’apprête à évacuer plusieurs milliers de colons de la bande de Gaza (août 2005). Au Liban, l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri (février 2005), provoque de puis¬santes manifestations populaires qui exigent la fin de la tutelle syrienne sur le Liban obtenue en avril 2005.
Si Washington ne réussit pas à obtenir une stabilisation de la situation, en revanche, il obtient certains succès dans sa politique de contre-prolifération. Accusé de dissimulation et d’infractions répétées, l’Iran accepte des inspections renforcées de ses installations nucléaires, tout en menaçant de reprendre ses activités. Après neuf mois de négociations secrètes avec Washington et Londres, la Libye accepte de démanteler sous contrôle international ses programmes d’ADM (décembre 2003). Depuis lors, la normalisation des relations de la Libye avec les pays occidentaux s’effectue : après que la Libye eut admis sa responsabilité dans les attentats de Lockerbie (1988) et du vol UTA (1989), les sanctions commerciales sont levées par les États européens (octobre 2004).
L’Afrique est délaissée. L’Union africaine, destinée à remplacer l’Organisation de l’unité africaine, naît à Durban (8-10 juillet 2002) dans une certaine confusion. L’Afrique compte pour rien dans l’économie mondiale. Avec
13 % de la population mondiale, elle pèse 3 % du PIB, au point qu’un nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (conférence du NEPAD, à Paris en février 2002) entreprend de combiner la démocratisation et le développement économique du continent. Quatre chefs d’État africains plaident au G8 de juin 2002 pour attirer les investissements en Afrique, le G8 d’Évian (juin 2003) adopte un plan d’action pour l’Afrique et le G8 de juillet 2005 annule la dette multilatérale contractée par 18 pays pauvres très endettés (la plupart africains). Surtout, l’Afrique est ravagée par les conflits postcoloniaux. Malgré le voyage commun (janvier 2002) des ministres français et britannique des Affaires étrangères pour relancer le processus de paix et accélérer le retrait des armées étrangères du Congo, la guerre se poursuit en Afrique centrale. La pacification de l’Ituri (Nord-Est du Congo), région victime de conflits ethniques et de la convoitise de ses voisins (Ouganda, Rwanda), est confiée (mai 2003) par l’ONU à l’Union européenne (opération Artemis). Au Soudan, où un accord de paix (janvier 2005) met fin à une guerre civile de 21 ans entre le Nord et le Sud, le conflit du Darfour (ouest du Soudan) provoque la mort de plus de 10 000 personnes. Les Nations unies (MONUG) interviennent au Burundi (juin 2004). En Angola, la mort du chef de l’UNITA, Jonas Savimbi (février 2002), permet de conclure un accord (avril 2002) mettant fin à vingt-sept ans de guerre civile. Devant l’échec des Nations unies à faire accéder le Sahara occidental à un statut stable, Kofi Annan propose (février 2002) quatre options : un référendum d’autodétermination, l’autonomie, la partition ou le retrait de l’ONU. L’Organisation est vraiment piégée au Sahara occidental, en raison de la présence trop coûteuse de la MINURSO, dont le retrait est impossible car la reconstruction en cas de conflit coûterait plus cher. Le Liberia est secoué par de violents affrontements (été 2003). Madagascar connaît une crise politique grave (février-avril tente de préserver les chances d’une solution. Mais la crise est durable : les accords de Marcoussis (24 janvier 2003) ne sont pas respectés, les affrontements continuent malgré la force dépêchée par l’ONU (ONUG) en février 2004, et la tension franco-ivoirienne est à son comble en novembre. Mandaté par l’Union africaine, le président sud-africain Thabo Mbeki négocie la fin des hostilités (6 avril 2005). Cette médiation exprime la volonté du successeur de Nelson Mandela de donner à l’Afrique du Sud un statut de grande puissance. Au moment du 22e sommet France-Afrique (20-21 février 2003), on estime que la moitié du continent africain est impliquée dans des conflits de nature variée.
Sur le continent américain, les problèmes sont surtout d’ordre économique, mais l’instabilité politique est de retour en Amérique latine après une décennie 1990 caractérisée par les progrès de la démocratisation. Au sommet des Amériques, à Québec (20-22 avril 2001), les États-Unis veulent faire aboutir pour 2005 le projet de zone de libre-échange des Amériques (ZLEA, ALCA), grand marché unique entre les 34 pays du continent, soit 800 millions de consommateurs, qui réunirait ainsi tous les marchés régionaux américains. Le sommet des Amériques (janvier 2004, à Monterrey) renouvelle cette perspective. Cette entreprise, parallèle à l’extension du dollar comme monnaie des Amériques, manifeste le leadership des États- Unis contre lequel s’élèvent les mouvements anti-mondialisation et des États, comme le Mexique qui refuse de cautionner l’intervention des États- Unis en Irak, et le Brésil avec l’arrivée au pouvoir de Lula da Silva (janvier 2002). Confrontée à une faillite économique (le pays est en récession depuis presque quatre années) et privée du soutien financier du FMI depuis décembre 2001, l’Argentine est précipitée dans une crise politique et sociale sans précédent (décembre 2001-janvier 2002) avant de se redresser (à partir de juin 2003). Le Venezuela est déstabilisé par un coup d’État militaire (avril 2002), visant le populiste Hugo Chavez qui réussit à se maintenir et remporte le référendum d’août 2004. A Cuba, la répression se fait plus stricte dans une atmosphère d’après-Castro. Depuis 2002, Haïti connaît une crise politique due à la dérive dictatoriale du régime de Jean-Bertrand Aristide, chassé du pouvoir par une insurrection armée (février 2004) : là aussi, les Nations unies interviennent (MINUSTAH).
L’Asie devient un nouveau théâtre d’affrontement : de l’Afghanistan à la Corée, les occasions de conflit ne manquent pas. La Corée du Nord déclenche une crise, en annonçant (décembre 2002) qu’elle redémarre son programme de production de plutonium, gelé en 1994, qu’elle se retire du TNP qu’elle avait signé en 1994 et affirme posséder la bombe atomique (février 2005). La Chine apparaît de plus en plus comme le pivot de la région, proposant ses bons offices dans la crise nord-coréenne, et les États-Unis ont du mal à faire prévaloir leur politique. Le Japon affirme ses préoccupations sécuritaires, en particulier à l’égard de la Chine (problème de l’embargo sur les ventes d’armes), et il n’hésite plus à se déployer sur le plan militaire à l’étranger (Irak, février 2004).
La rencontre au sommet indo-pakistanaise d’Agra ( 16 juillet 2001) achoppe sur la question du Cachemire ; alors que les divergences semblent s’apaiser dans le sillage de la guerre d’Afghanistan, la situation oscille entre l’escalade militaire (mai 2002) et une volonté de normalisation (printemps 2004). Au Pakistan, le régime du général Moucharraf apparaît ballotté entre les pressions des islamistes et la toute-puissance de l’armée, dans un contexte d’alignement sur les États-Unis. Le rôle du Pakistan dans la prolifération nucléaire (Iran, Libye, Corée du Nord) est mis en évidence, ce qui n’empêche pas les États- Unis de lui accorder le rôle d’« allié majeur non-OTAN » (mars 2004). L’Arabie Saoudite, bastion – contesté par des réformateurs – de l’intégrisme musulman, reste l’alliée des États-Unis dans la région et la cible des attentats d’Al-Qaïda.
Depuis la chute du régime des Talibans (13 novembre 2001), l’Afghanistan chemine difficilement à la recherche d’institutions stables, sous le contrôle de la communauté internationale. Deux ans après les accords de Bonn (décembre 2001), la Loyci Jirga approuve la constitution du nouvel Etat construit sous les auspices des Nations unies et proclame la République islamique à Kaboul (janvier 2004), qui se donne Hamid Karzaï comme premier président élu démocratiquement (octobre 2004), mais l’insécurité y règne toujours malgré la présence de 1TSAF, dont l’OTAN a pris le commandement.
La région du Caucase et l’Asie centrale sont de nouveaux foyers de crises, en raison de l’essor pétrolier et gazier de ces régions. Le Caucase est politique¬ment séparé en deux zones bien distinctes, le nord constitué de territoires auto¬nomes instables au sein de la Fédération de Russie, dont l’Ossétie du Nord et la Tchétchénie ; le sud avec les Etats de Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan. La présence d’importants gisements pétroliers, la question de l’acheminement du pétrole et son rôle de carrefour entre la Russie et le Moyen-Orient expliquent l’intérêt de Moscou pour la région, qu’il considère comme une zone d’intérêt stratégique prioritaire, d’où sa volonté d’empêcher les rapprochements, d’éloigner les importuns (la Géorgie est le troisième plus important récipiendaire d’aide américaine par tête d’habitant après Israël et l’Égypte), d’en finir avec la rébellion tchétchène. La guerre y est marquée par la prise d’otages la plus meurtrière de l’histoire, en Ossétie du Nord (septembre 2004). Washington affirme sa volonté de renforcer sa présence économique et stratégique dans la région (obtenue à la suite du 11 Septembre), et George W. Bush se rend en Géorgie (mai 2005), au grand déplaisir de Moscou qui tente de maintenir sa tutelle sur la région.