L'evolution de la condition feminine de 1870 a 1914 : La Commune et les droits des femmes
De l’union patriotique à la rupture révolutionnaire :
Le siège de Paris donne aux femmes la triste occasion d’agir. Elles créent des cantines (Louise Michel [ 1830-19051, Nathalie Lemel et sa société La Marmite), des ambulances (Sophie Poirier), des ateliers, car le grand problème est le travail des femmes (action du Comité des femmes de la rue d’Arras, fondé par Jules Allix). Les femmes bourgeoises œuvrent essentiellement dans la Société de secours pour les victimes de la guerre. Une fois de plus, les femmes sont actives dans la vie de la cité, hors de leur foyer. Elles participent aux manifestations de rue, certaines veulent prendre part à la défense de Paris et demandent leur enrôlement. Toutes sont confrontées à la pénurie alimentaire et au problème du travail, même si environ 32000 femmes du peuple travaillent à la confection d’uniformes de la Garde nationale.
Les combattantes de la Commune :
La Commune naît de la journée du 18 mars 1871. Les femmes du peuple y jouent un rôle important, notamment dans la neutralisation des troupes; la référence à l’action de leurs ancêtres de 1789, à la marche des femmes principalement, est alors fréquente. Ces femmes soutiennent la Commune. Pourtant le nouveau pouvoir ne les évoque pas dans ses intentions de réformes.
Des mesures favorables aux femmes :
Mais si les femmes savent que leurs droits politiques ne sont pas encore à l’ordre du jour, elles approuvent les mesures immédiates (remise des loyers, arrêt de la vente des objets du Mont-de-Piété) ; elles sont surtout sensibles au décret du 10 avril qui accorde à la femme, légitime ou pas, d’un garde national mort pour la défense des droits du peuple une pension de 600 francs, après enquête. Cette reconnaissance, révolutionnaire, des unions populaires par le concubinage, hors des règles religieuses et du modèle familial bourgeois, conduit aussi à attribuer aux orphelins, reconnus ou pas, une pension et une éducation aux frais de la Commune.
La question du travail des femmes est jugée primordiale; celui-ci doit être, pense la Commission du travail, réorganisé; pour ce est créée le 10 mai une commission d’enquête et d’organisation formée de « délégués des corporations ouvrières des deux sexes ».
Les engagements des femmes :
Le 11 avril 1871, le Comité central de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés est constitué (Elizabeth Dmitrieff, Adélaïde Valentin, Noémie Colleville-Marquant, Sophie Graix, Joséphine Part, Céline et Aimée Delvanquier, toutes sept ouvrières). Les projets de l’Union portent la marque de la Section féminine française de l’internationale, dont elle reprend la devise « Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs ». Pourtant, Louise Michel n’en fait pas partie. Le but proclamé de l’Union est de soutenir et de défendre la cause du peuple, la Révolution et la Commune. Elle veut aider les commissions du gouvernement, participer « au service des ambulances, des fourneaux et des barricades » grâce à la création de comités par département. L’Union entend aussi agir dans le domaine de l’organisation du travail alors que la guerre et la fermeture de nombreux ateliers, après le 18 mars, font grimper le chômage, tandis que les entrepreneurs diminuent les salaires. La fabrication des cartouches et de l’équipement militaire fournit quelques subsides aux femmes. L’expérience malheureuse des Ateliers nationaux de 1848 et de la charité incite à innover. L’Union propose une organisation du travail à caractère socialiste par la création d’associations productives libres, censées ainsi créer des nouveaux rapports sociaux. Dmitrieff souhaite que tous les membres de ces associations qui, fédérées, dépendront des comités d’arrondissement de l’Union des femmes, appartiennent à l’internationale. L’Union aurait compté 300 membres. L’attaque versaillaise du 21 mai ne permet pas de mesurer la réalité de ce projet et son soutien par les femmes. Nombreuses sont celles qui n’appartiennent à aucune structure, elles s’engagent individuellement dans la lutte ou la soutiennent comme cantinières, ambulancières, certaines mettent leur plume au service de la Commune (André Léo, dans La Sociale, appelle les femmes à la lutte), d’autres sont membres de diverses organisations (Comité de vigilance des femmes de Montmartre – Sophie Poirier, Béatrix Excoffon), de La Légion des fédérées du XIIe arrondissement, seul bataillon de femmes, créé début mai, ou de clubs influents, les uns mixtes, les autres pas (La Délivrance, Les Femmes patriotes), qui tiennent leurs réunions dans les églises. Des oratrices s’y font parfois remarquer (Paule Minck à Saint-Sulpice, Louise Michel, dite la Vierge rouge, au Club de la Révolution à Saint-Bernard-de-la-Chapelle), mais c’est surtout la voix des femmes anonymes du peuple qui se fait ainsi entendre : faire cesser la misère en changeant la société est l’idée dominante, souvent sans donner lieu à une référence précise et moins encore à une théorisation ; peu connaissent avec précision les conceptions socialistes qu’exposent André Léo, Louise Michel, Nathalie Lemel. La dénonciation de la double exploitation des femmes fait, elle, son chemin, et la nécessité d’améliorer l’enseignement pour les filles est réaffirmée, d’autant plus que les communard(e)s veulent dégager l’instruction de l’influence prépondérante de l’Église en imposant une « éducation républicaine ». Devant l’urgence de la réforme, la société F Éducation nouvelle est fondée le 26 mars (trois femmes : Garoste, Lafitte, Verdure ; trois hommes : Menier, Rama, Rheims) ; Louise Michel, institutrice, réfléchit à une méthode d’enseignement, les propositions des sociétés de femmes se multiplient et l’idée que l’instruction doit être un service public s’impose; la Commune tente de contrôler les religieuses enseignantes et d’en appeler à des institutrices laïques, en un combat annonciateur de celui qui opposera les tenants du privé/religieux et du public/laïque sous la IIIe République.
La répression des « pétroleuses »:
Vains projets auxquels la défaite de la Commune met un terme cruel. La présence féminine a marqué les observateurs et les opposants de la Commune. Dans chacune de ces combattantes, ils se sont plu à voir « une pétroleuse », c’est-à-dire une incendiaire de Paris; resurgissent les fantasmes, à peine retouchés, des femmes révolutionnaires plus sanglantes et cruelles que les hommes, auxquelles est dénié tout engagement politique réfléchi ; voilà les communardes, dominées par leur sexe fou et les vices sexuels. Louise Michel est comparée à Théroigne de Méricourt par ses détracteurs, puis par ceux qui lui rendent tardivement hommage comme Verlaine (Amour, 1886).
Après la Semaine sanglante, 1051 femmes sont arrêtées sur un total de 40000 interpellations; 80 % d’entre elles sont relaxées, les préjugés sur la conscience politique des femmes ont joué en leur faveur. Les procès condamnent les communardes, reconnues comme telles, à des peines allant de un an de prison à la déportation ; celle-ci touche nombre de cantinières, de combattantes des barricades et de prostituées. Les protagonistes les plus remarquées sont déportées en Nouvelle-Calédonie : Louise Michel, Sophie Poirier, Nathalie Lemel… Paule Minck, André Léo s’enfuient en Suisse, Élizabeth Dmitrieff rentre en Russie (amnistie générale en 1880). Le mouvement féminin, souvent féministe, est décapité. La parenthèse communarde close, les réformistes reprennent la parole, timidement : Léon Richer rebaptise son journal L’Avenir des femmes, où Maria Deraismes poursuit son action.