La dérive des continents
Au début du XXe siècle, alors que l’on commençait tout juste à percevoir les importantes différences entre la géologie des continents et celle du fond des mers, la vieille idée de la fixité de la « terre ferme » demeurait difficile à ébranler. Certes, on admettait que les mers avaient à maintes reprises envahi la partie basse des continents et que, à la périphérie de ces derniers, des chaînes de montagnes s’étaient élevées sous l’effet de forces qui devaient longtemps rester mystérieuses. Mais la permanence de la position des grandes masses continentales à la surface du globe étant une idée bien établie, on devait accepter l’idée que des ponts continentaux, engloutis depuis, avaient dans le passé relié entre elles certaines de ces masses à travers les océans.
Dans l’atmosphère scientifique de cette époque, envisager une mobilité des continents était pour le moins hétérodoxe. Une telle idée avait cependant été évoquée, de façon plutôt vague il est vrai, au cours du XIX siècle, et un géologue américain nommé Taylor y avait songé vers 1910. Mais c’est à un climatologue allemand, Alfred Wegener (1880-1930) que revient le mérite d’avoir, le premier, présenté une théorie cohérente des déplacements continentaux, de la « dérive des continents » pour employer l’expression consacrée. Wegener, esprit curieux qui s’intéressa aux sujets les plus variés, avait été frappé il n’était pas le premier par la correspondance des contours des continents de part et d’autre de l’Atlantique Sud : l’Afrique occidentale s’adapte à la concavité du golfe du Mexique, alors que le nord est du Brésil se place aisément dans le golfe de Guinée. Son attention avait de plus été attirée par la lecture d’articles sur la distribution des organismes, articles qui suggéraient des liaisons intercontinentales passées, difficiles à comprendre dans le cadre d’une géographie fixiste. Dès 1912, il présenta sa théorie des déplacements continentaux à des réunions scientifiques et publia de courts articles sur ce sujet. La première édition de son célèbre ouvrage La Genèse des continents et des océans (Die Entstehung der Kontinente und Ozeane) parut en pleine guerre, en 1915, et il fallut attendre la fin des hostilités pour que ses conceptions révolutionnaires soient connues hors d’Allemagne. Pour Wegener, les continents étaient en quelque sorte d’immenses radeaux formés de roches granitiques relativement légères, qui « flottaient » sur un substrat basaltique plus dense et composant aussi le fond des océans.
A la fin du Paléozoïque, il y a environ 250 M.A., les continents auraient été réunis en un ensemble unique la Pangée qui s’était ensuite fragmenté, ses divers éléments s’éloignant les uns des autres pour former les continents actuels.
La Pangée.
Depuis le Jurassique (200 M.A.) les fragments de la Pangée (les continents actuels) s’éloignent les uns des autres. Les zones en gris indiquent les régions géologiques dont l’âge est supérieur à 1,6 milliards d’années. (C. Allègre et al., 1990)
A l’appui de sa thèse, Wegener apportait une quantité considérable d’arguments tirés de la géologie, de la géophysique, de la géodésie, de la paléontologie et de la zoologie. Au fil des éditions successives de son livre, il devait augmenter la masse de ses données en faveur des déplacements continentaux. L’accueil réservé à sa théorie n’en resta pas moins mitigé. Il trouva certes quelques défenseurs, comme le géologue suisse Emile Argand qui utilisa ses idées pour expliquer la formation des montagnes de l’Asie, mais la plupart des géologues se montrèrent ouvertement sceptiques, d’autant plus que Wegener n’était pas un des leurs. Ce climatologue apparaissait comme un outsider, mal placé pour remettre en cause les dogmes les plus établis des sciences de la Terre. Quelques paléontologues trouvèrent certes du mérite aux explications de Wegener, mais beaucoup se rangèrent à l’avis des géologues qui tenaient ses thèses pour indéfendables. A diverses réunions scientifiques tenues dans les années 1920 en Angleterre, en France et aux Etats-Unis, les idées de Wegener furent l’objet de débats souvent très vifs, où les adversaires se révélèrent plus nombreux que les partisans. Le coup de grâce parut être donné à la théorie de la dérive des continents quand des géophysiciens firent remarquer que les forces envisagées par Wegener (liées entre autres à la rotation de la Terre) étaient très insuffisantes pour expliquer les mouvements des continents granitiques à travers la couche basaltique plus dense et peu fluide sur laquelle ils étaient censés flotter.
La Terre au Carbonifère
(360-295 M.A.) selon A. Wegener.
Le déplacement des pôles avait été proposé par A. Wegener comme explication de la répartition des climats au cours des temps géologiques. (A. Wegener, 1915).
Lorsqu’Alfred Wegener mourut lors d’une expédition scientifique au Groenland en 1930, sa théorie ne s’était pas imposée, même si elle gardait des partisans. Il allait falloir une quarantaine d’années et le développement de branches nouvelles de la géologie pour qu’elle revienne à l’ordre du jour.
Durant cette période, la paléogéographie fit peu de progrès notables. Ses découvertes confirmaient des liaisons passées entre des continents aujourd’hui séparés par de larges étendues océaniques, mais les études de plus en plus nombreuses concernant la géologie du fond des mers interdisaient de postuler des « ponts océaniques » tandis que l’hypothèse de la dérive des continents était rejetée par la grande majorité des géophysiciens. La lecture d’ouvrages de paléogéographie des années 1950 montre bien la perplexité de leurs auteurs confrontés à des faits apparemment inexplicables.