La mondialisation en débat
Les événements du 11 Septembre relancent le débat sur la mondialisation. Elle est assurément en marche avec la frénésie de concentration qui a contribué à uniformiser la production et à américaniser la distribution, avec l’entrée officielle de la Chine dans l’Organisation mondiale du Commerce (11 décembre 2001): l’Empire du milieu, à l’économie performante, est invité à participer aux échanges mondiaux et ouvre un marché d’ 1 milliard 300 millions de consommateurs. Le pays, qui représente 20 % de la population mondiale, choisi en juillet 2001 pour organiser les Jeux olympiques de 2008, voit ainsi consacrée sa puissance économique, politique et diplomatique, non sans inquiéter l’Europe en raison du flot d’exportations, en particulier dans le domaine du textile (6 % du commerce mondial).
Mais cette mondialisation suscite une opposition de plus en plus large, qui se développe à la suite de la discussion en 1998 de l’Accord multilatéral sur l’investissement au sein de l’OCDE. S’il avait été adopté, ce projet aurait accordé aux multinationales qui investissent dans les pays étrangers les mêmes droits qu’aux entreprises locales. Les négociations sont suspendues à la suite de la campagne de protestation des mouvements anti-mondialisation, qui parviennent à faire capoter la conférence de l’OMC à Seattle (novembre 1999), laquelle devait aboutir au lancement d’un nouveau cycle de négociations multilatérales. Cette nébuleuse d’associations, de syndicats, d’organisations non gouvernementales (ONG) profite de toutes les occasions pour faire entendre sa voix (sommet européen de Nice, décembre 2000 ; Forum économique mondial de Davos, janvier 2001 ; sommet des Amériques à Québec, avril 2001 ; G8 à Gênes en juillet 2001). Les institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale) sont de plus en plus critiquées : la crise qui secoue l’Argentine est imputée au FMI qui a suspendu son aide financière. Le Forum social de Porto Alegre (février 2002) donne la réplique au Forum économique de Davos (réuni au même moment à New York). A l’opposé des conceptions libérales, les propositions des altermondialistes visent à taxer le flux des capitaux (comme le souhaite Attac), à supprimer les paradis fiscaux, à annuler la dette des pays en voie de développement, à définir un nouveau système de gouvernement mondial, à protéger l’environnement, à réorganiser la production agricole (en renonçant aux OGM) et à promouvoir une démocratie participative. L’idée d’une taxe internationale pour relancer l’aide au développement est reprise par Jacques Chirac et le président du Brésil Luiz Iñacio Lula da Silva (septembre 2004). Au sommet de la Terre à Johannesburg (août-septembre 2002), les questions d’environnement et de développement mondial sont au premier plan. A la suite des violentes manifestations lors du sommet de Gênes (20-22 juillet 2001), les dirigeants du G8 conviennent d’organiser des réunions moins ostentatoires à l’avenir, de renouer le dialogue avec la société civile ; ils créent un fonds mondial de lutte contre les pandémies (sida, paludisme, tuberculose), adoptent un plan pour développer l’investissement et le commerce en Afrique, y améliorer la santé publique et l’éducation, lutter contre la corruption et la faim, mais ils restent en désaccord sur la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Mais la ratification du protocole de Kyoto par la Russie en octobre 2004 permet son entrée en vigueur (février 2005).
Finalement, c’est la conférence de Doha (Qatar) qui, en novembre 2001, lance un nouveau cycle de négociations multilatérales pour libéraliser les échanges. En septembre 2003, à Cancún, la réunion de l’OMC est mise en échec par les pays du Sud, en particulier par un groupe de pays conduit par le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, qui mène la bataille contre les subventions aux exportations agricoles des pays riches, mais le 1er août 2004, les 147 membres de l’OMC concluent un accord de libéralisation des échanges internationaux, qui prévoit entre autres la suppression des subventions à l’exportation. Les questions de commerce international deviennent toujours davantage contentieuses : ainsi l’Union européenne obtient-elle en 2004 de l’OMC l’autorisation de prendre des sanctions commerciales contre les États- Unis, qui favorisent leurs exportateurs.
Le choc du 11 Septembre rappelle opportunément le problème de la pauvreté dans le monde et de la fracture Nord-Sud. Si la libéralisation des échanges a été un facteur de décollage pour certains pays qui ont bénéficié de l’ouverture des marchés occidentaux, le nombre de gens vivant avec moins de deux dollars par jour n’a pas décru. L’Europe fait face à un afflux d’immigrants. La toile de fond est en réalité celle d’un rejet de l’ordre économique mondial et de la domination des pays développés. Des mesures sont prises, en particulier par l’Union européenne qui décide d’ouvrir – sous condition de délais – les frontières européennes aux importations agricoles en provenance des 49 pays les moins avancés de la planète. Face à l’Occident fournisseur de subventions mais ressenti comme arrogant, les pays en voie de développe¬ment réclament une aide plus conséquente, avec comme objectif un pourcentage de 0,7 % du PIB et la réduction de moitié de la pauvreté dans le monde d’ici 2015, en écho à l’adoption de ce projet par le sommet du millénaire (New York, 2000). On en est loin, puisque la moyenne des pays européens s’établit à 0,33 % de leur PIB et que les États-Unis y consacrent 0,10 %. La décennie 1991-2001 a été le théâtre à la fois d’une expansion économique sans précédent et d’un repli du monde développé sur lui-même, au point que l’anti-libéralisme a fini par s’identifier à l’anti-américanisme. Aussi bien l’onde de choc du 11 Septembre relance la lutte contre la pauvreté dans le monde et pousse Washington à annoncer un accroissement de son aide à la veille de la conférence de Monterrey (mars 2002).
Le vrai problème de la mondialisation se reflète dans la distance grandissante entre l’intégration humaine, économique, sociale et l’absence d’instances légitimes de gouvernance mondiale. Assiste-t-on à un retour à la primauté de l’Etat ou à l’avènement d’un gouvernement mondial ? Des formes de régulation apparaissent de façon embryonnaire, à travers l’ONU, le G8, l’OMC, la Cour pénale internationale, dont le traité entre en vigueur en juillet 2002 et qui est installée à La Haye depuis 2003. Arrêté, Slobodan Milosevic est déféré devant le Tribunal international de La Haye pour l’ex-Yougoslavie. Mais le rôle des Nations unies comme fondement de l’ordre mondial est gravement