Le jurassique
Les principales innovations paléogéographiques de la fin du jurassique sont liées à la naissance de nouveaux océans qui vont peu à peu provoquer la dislocation de la Laurasie et du
Gondwana : il s’agit de l’Atlantique central et de la Téthys. Dès la fin du jurassique, les eaux océaniques envahissent le long corridor qui va des Caraïbes à la Chine.
L’Asie est désormais séparée du reste du monde par la mer ouralienne qui s’est installée sur le continent asiatique il y a 170 millions d’années environ.
A l’uniformité de la faune terrestre pangéenne (jusqu’au jurassique moyen) succède, au jurassique supérieur, un monde dualiste. La transgression de la mer ouralienne a en effet séparé l’Asie du reste du monde il y a environ 170 millions d’années.La faune asiatique restera isolée pendant plus de 50 millions d’années (royaume mésoasiatique) et va se développer de manière originale. La plupart des dinosaures découverts en Chine, tel Shunosaums , ou dans le reste de l’Asie sont très différents de ceux qui peuplent les autres continents.
Les seules formes communes sont déjà des « fossiles vivants » à la fin du jurassique : ce sont des animaux qui peuplaient toute la Pangée au début de la période, et ont survécu sans évolution majeure.
Les autres continents sont réunis dans le royaume néopangéen, mais déjà l’ouverture de l’océan Atlantique entre l’Afrique et l’Amérique du Nord annonce la disparition de ce grand royaume, héritier de la Pangée triasique. La faune néopangéenne est encore très semblable à travers les régions il y a 150 millions d’années : on retrouve les mêmes espèces de dinosaures comme le géant Brachiosaurus en Tanzanie et aux Etats-Unis.
Du fait de l’ouverture de l’Atlantique central, à la fin de la période jurassique, la Néopangée commence à se disloquer. La dernière faune jurassique témoigne de cette évolution qui annonce la paléobiogéographie crétacée : commencent à apparaître, au nord comme au sud, des groupes d’animaux cantonnés à un hémisphère car il n’y a plus de passage possible entre les deux hémisphère pour des animaux terrestres.
La Néopangée
Au cours du jurassique, les vertébrés terrestres ont pu largement se déplacer sur le territoire de l’ancienne Pangée (amputée de sa partie
asiatique). La présence des mêmes animaux dans des régions très éloignées comme l’Amérique du Nord et l’Afrique orientale en témoigne.
Les riches gisements de dinosaures du Colorado furent découverts dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. L’Ouest américain devint alors le théâtre d’une âpre compétition entre les deux grands paléontologues du pays : Othoniel Charles Marsh et Edward Drinker Cope. Leur différend remontait à 1870, lorsque Marsh avait fait remarquer à Cope qu’il avait reconstitué à l’envers un squelette de reptile marin du Kansas, en plaçant la tête au bout de la queue ! L’amourpropre de Cope en fut, selon Marsh, durement affecté, et les deux paléontologues se vouèrent dès lors une haine féroce.
Chacun des deux hommes engageait des équipes pour exploiter les gisements avant l’autre, ils s’espionnaient mutuellement et s’accusaient de voler des fossiles, d’antidater leurs publications, etc. Ce combat sans merci, assez éloigné des mœurs généralement paisibles des paléontologues, n’empêcha pas d’importantes découvertes. Il nous en reste la description de très nombreux dinosaures néopangéens.
Parmi ces formes nord-américaines de la fin du jurassique, il faut mentionner tout particulièrement Brachiosaurus un énorme dinosaure herbivore.
En Afrique, ce furent des paléontologues allemands qui entreprirent, à partir de 1909, des travaux colossaux au Tanganyka (l’actuelle Tanzanie), alors colonie allemande. Le site du Tendaguru, dans le sud du pays, fut découvert par un ingénieur allemand en 1907. Alerté, le directeur du Muséum de Berlin, W. Branca, entreprit de financer d’importantes expéditions.
De 1909 à 1913, les paléontologues Janensch, Hennig et Reck dirigèrent de gigantesques fouilles, employant des centaines de travailleurs indigènes : la population du village alla jusqu’à atteindre alors 900 âmes. Des porteurs acheminaient les ossements découverts jusqu’au port de Lindi, distant de trois jours de marche, d’où ces marchandises un peu particulières étaient expédiées à Dar Es Salaam, puis jusqu’à Hambourg et Berlin.
En quelques années, les Allemands réunirent une des plus importantes collections de dinosaures : 1 000 caisses et 250 tonnes d’ossements arrivèrent à Berlin, comprenant, parmi 80 squelettes partiels de dinosaures, des restes très complets de Brachiosaurus et Dryosaurus, deux animaux néopangéens. D’autres formes du Tendaguru comme Dicraeosaurus, un grand dinosaure herbivore aux vertèbres bifurquées, sont inconnues au nord de la Téthys et suggèrent un début de différencia-tion entre les formes nord et sud-téthysiennes. L’étude du matériel ramené par les chercheurs allemands se poursuivit jusqu’en 1961 !
Après la Première Guerre mondiale la Tanzanie devint une colonie anglaise et, en 1924, le Muséum d’histoire naturelle de Londres y envoya à son tour des expéditions, mais elles ne connurent pas le succès de leurs devancières germaniques. Le chef de la première mission, le paléontologue canadien Cutler, devait mourir de la malaria sur le terrain en 1925. Quant au matériel découvert, il n’a jamais été étudié…
En Europe, les faunes de la fin du jurassique sont encore mal connues. Elles comprennent des formes néopangéennes comme Dryosaurus, mais aussi certaines espèces apparues à la fin du jurassique comme Camarasaurus (un grand dinosaure herbivore) à une époque où la coupure était devenue effective entre les continents du nord et du sud. Cette coupure qui a rétabli une circulation océanique circuméquatoriale s’est produite au Callovien (160-154 M.A.), comme l’atteste la distribution de la faune marine à cette époque, la faune téthysienne se répandant alors dans le Pacifique oriental. Ce phénomène a provoqué l’émergence de deux royaumes différents dès la fin du jurassique : l’Euramérique et le Gondwana.
La mésosie
Isolée des autres terres émergées par la mer ouralien- ne, la faune asiatique va connaître une remarquable évolution endémique pendant près de cinquante millions d’années. Il n’est donc pas surprenant d’y retrouver des formes très curieuses, comme les dinosaures sauropodes de la famille des euhelopodidés, bien connus en Chine. Certains de ces gros animaux possédaient une étonnante massue au bout de la queue. Les stégosaures chinois (des herbivores au dos recouvert de hautes plaques osseuses) et les dinosaures carnivores comme les sinraptoridés sont aussi des formes endémiques partageant avec leurs contemporains de la Néopangée des ancêtres communs pangéens du début du jurassique.
Les très riches gisements de dinosaures chinois ont été découverts au début du siècle par des géologues occidentaux, avant d’être étudiés par les paléontologues chinois. Ils avaient été connus bien plus tôt, puisqu’un auteur chinois du troisième siècle de notre ère, Chang Qu, a narré la découverte d’os de dragon dans la province du Sichuan (la plus riche de Chine en fossiles de dinosaures) : « Le comté de Wucheng produit des os de dragons. Il semble que le dragon se soit élevé de la montagne au ciel, mais la porte du ciel s’étant trouvée fermée, il n’a pas pu entrer et il est retombé sur la terre, où il fut ensuite enfoui sous le sol. C’est pourquoi quand on creuse on peut maintenant trouver des os de dragon ». Il s’agit peut-être là de la première fouille paléontologique et de la première mention d’os de dinosaures. L’extraction de ces fossiles ne répondait pas alors à une curiosité scientifique, mais à une demande pharmaceutique. Les « os de dragon » sont encore aujourd’hui considérés, par la médecine cinoise traditionnelle, comme un puissant remède contre de très nombreuses maladies et un excellent aphrodisiaque.
Au jurassique supérieur, les formes communes à la Néopangée et à la Mésoasie sont de véritables « fossiles vivants » hérités de la Pangée ; parmi eux, il convient de mentionner des amphibiens labyrinthodontes qu’on croyait, encore récemment, éteints à la fin du Trias (on en connaît maintenant jusque dans le Crétacé de Thaïlande) et des reptiles mammaliens archaïques du groupe des tritylodontes, bien connus dans le Trias pangéen.
L’isolement de l’Asie pendant cinquante millions d’années a donc entraîné, ce qui est logique, une évolution endémique de nombreux groupes de vertébrés continentaux.