Le monde de l’après-guerre froide
La fin de la guerre froide ne fait pas disparaître les occasions de conflit. La détente planétaire observée depuis 1985 est due d’abord à la détente entre les deux superpuissances, ensuite au vaste désengagement de l’URSS (imité en cela par les forces déléguées cubaines), enfin à l’effondrement soviétique. Cette détente prend des formes variées : réduction des tensions, terme mis à plusieurs conflits régionaux, démocratisation. Favorisés par le sous développement, les luttes d’influence, les tribalismes, les particularités nationales et religieuses resurgissent partout.
Une Asie tout en contrastes:
On y constate un essouflement des conflits, sauf celui du Cachemire, et une diversification croissante : à l’Asie orientale (y compris la Chine côtière) prospère s’oppose le toujours pauvre sous-continent indien.
Le désengagement le plus spectaculaire est le retrait de l’armée soviétique d’Afghanistan. L’URSS, qui était intervenue militairement en Afghanistan, y menait une guerre quasi coloniale dans laquelle elle s’était peu à peu enlisée. Quand M. Gorbatchev devient secrétaire général du PCUS, la guerre dure depuis cinq ans et ressemble de plus en plus à la guerre du Viêt-nam. Une armée disposant d’armements et de matériels puissants, aux effectifs relativement limités, ne peut venir à bout de la résistance d’un peuple fruste aidé par le Pakistan, les Etats-Unis, la Chine et les pays du Golfe. Le durcissement de. combats s’accentue. La possession par la résistance afghane de missiles anti aériens Stinger fait perdre aux Soviétiques la maîtrise du ciel en l()X7, et les opérations menées par l’armée soviétique pour dégager les centres susceptibles de tomber aux mains de la résistance tournent court. Pour M. Gorbatchev, soi i n l’Union soviétique du bourbier afghan est un objectif prioritaire, car l’offensive de paix soviétique ne peut être crédible tant que l’Afghanistan est occupé. I ,cs négociations ouvertes à Genève prennent aussitôt un tour décisif. Le chef du gouvernement, Babrak Karmal, qui freine les négociations, est remplacé le 4 mai 1986 par le général Najibullah. Après le sommet Reagan-Gorbatchcv de décembre 1987 à Washington, les événements se précipitent. La diplomatie soviétique fait tout ce qu’elle peut pour obtenir un cessez-le-feu et mettre sur pied un gouvernement de coalition. Le 14 avril 1988 intervient l’accord sur le retrait des troupes soviétiques négocié par le gouvernement de Kaboul, le Pakistan, l’URSS et les États-Unis. Malgré des difficultés dans l’application, le retrait des troupes soviétiques s’achève le 15 février 1989 dans les délais prévus.
D’autres conflits, dans lesquels l’URSS n’était pas autant impliquée que dans la guerre d’Afghanistan, mais où elle était néanmoins engagée politiquement et financièrement s’arrêtent pour les mêmes raisons générales. C’est le cas de l’intervention du Viêt-nam au Cambodge. Dès novembre 1987, le Viêt-nam commence à rapatrier quelques unités et annonce le 5 avril 1989 le retrait total de ses troupes. A l’invitation de la France une conférence sur l’avenir du Cambodge réunissant tous les acteurs, de l’ancien roi – le prince Norodom Sihanouk – au Premier ministre en place, Hun Sen, qui se tient à Paris en août 1989 n’aboutit pas. Après le départ des soldats vietnamiens, la guerre civile fait de nouveau rage. Une tentative pour faire de l’ONU le pivot d’un règlement du problème cambodgien parvient à regrouper (septembre 1990) les quatre factions khmères sous la présidence du prince Sihanouk et à prévoir un cessez-le-feu. L’accord de paix, qui finalement est signé par tous les participants le 23 octobre 1991, place en effet le pays sous la tutelle des Nations unies jusqu’à l’organisation d’élections libres. Par la Résolution 945 (28 février 1992), le Conseil de sécurité vote l’envoi de 22 000 hommes et crée l’Autorité provisoire de l’ONU (APRONUC), chargée d’acheminer le Cambodge vers une situation normale. Malgré les entraves des Khmers rouges, F APRONUC, qui réussit à organiser des élections générales (mai 1993), achève sa mission (novembre 1993) sur un bilan plutôt positif.
Cette diminution de la tension dans la péninsule indochinoise explique que les tentatives de M. Gorbatchev pour renouer le dialogue avec la Chine aboutissent. À Vladivostock (28 juillet 1986), M. Gorbatchev se déclare prêt à créer un climat de bon voisinage, et sa visite officielle en Chine (16-18 mai 1989) permet la normalisation des relations sino-soviétiques, renforcée par la visite du secrétaire général du PC chinois à Moscou (mai 1991) et celle du président chinois Jiang Zemin à Moscou (septembre 1994).
La guerre Iran-Irak aussi s’est arrêtée, le 20 août 1988, mettant fin à un conflit de huit ans qui a provoqué la mort d’un million de personnes. En dépit de ses efforts et de la supériorité de son armée, toutes les actions de l’Irak sur les installations pétrolières iraniennes, sur les villes, sur les frontières ont été des échecs relatifs et se sont heurtées à des parades efficaces de l’Iran, qui a même contre-attaqué en s’emparant de la ville de Fao, en février 1986, ville reconquise par l’Irak en avril 1988 seulement. On a assisté à une intensification des combats, avec utilisation de missiles et recours aux armes chimiques. Le monde s’en est accommodé tout en armant les protagonistes jusqu’à ce que le pourrissement du conflit inquiète la communauté internationale. Deux facteurs y ont contribué : les menées subversives et terroristes de l’Iran, dont l’ombre se trouve derrière les prises d’otages et les attentats de septembre 1986 à Paris amenant à la rupture des relations diplomatiques avec la France, et les émeutes de La Mecque (31 juillet 1987), fomentées par les chiites contre la dynastie gardienne des lieux saints de l’Islam.
Le deuxième facteur d’internationalisation concerne le golfe Persique, qui devient un lieu potentiel d’affrontement en raison des attaques contre le trafic maritime et des menaces qui pèsent sur l’approvisionnement pétrolier. Les États d’Europe occidentale décident d’envoyer, en août 1987, des navires de guerre dans le Golfe afin de rassurer les États producteurs de pétrole du golfe Persique, de barrer la route à une éventuelle exploitation de la crise par les Soviétiques et de maintenir l’accès au pétrole.
Finalement, la lassitude des combattants, les revers de l’armée iranienne et la pression internationale amènent en juillet 1988 l’Iran, de plus en plus isolé dans le monde arabe, puis l’Irak, à accepter le cessez-le-feu exigé par l’ONU le 20 juillet 1987 et à entamer des pourparlers. L’accord sur le cessez-le-feu est annoncé par le secrétaire général des Nations unies, Perez de Cuellar, le 8 août 1988 et entre en vigueur le 20 août, après l’arrivée de 350 observateurs des Nations unies.
La fin de la guerre Iran-Irak, le rétablissement des relations diplomatiques de l’Iran avec la France le 16 juin 1988, suite à la libération des otages français, la mort de l’imam Khomeiny (3 juin 1989) ne mettent pas un terme aux tensions internationales dans le golfe Persique.
La guerre du Golfe, causée par l’invasion du Koweit par l’Irak, replonge le monde pour sept mois, dont six semaines de conflit armé, dans une atmosphère de guerre. Derrière le contentieux qui oppose l’Irak au Koweit se cachent d’une part la volonté de Bagdad de s’assurer le leadership du monde arabe, d’autre part la nécessité pour l’Occident industrialisé de protéger le « grenier à pétrole » qu’est le golfe Persique. Pour y avoir un vrai débouché, l’Irak convoitait tout ou partie du Koweit, principauté de la famille al-Sabah, protectorat britannique indépendant depuis 1961. Ce pays, possédant d’immenses ressources et réserves pétrolières, était une proie tentante pour un État endetté. Enfin, Bagdad accusait le Koweit de contribuer à la stagnation du prix du pétrole et réussit d’ailleurs, le 27 juillet 1990, à faire pression sur l’OPEP pour augmenter de 18 à 21 dollars le prix de référence du baril.
Face à cette violation flagrante du droit international, les États-Unis – suivis d’un certain nombre d’États – réagissent par la mise en place d’un important dispositif militaire en Arabie Saoudite, qui vise à protéger les États du Golfe menacés par l’expansionnisme irakien et à faire pression sur l’Irak par un très sévère embargo, auquel le Conseil de sécurité de l’ONU donne son appui total le 6 août par la résolution 1661.
Pour desserrer l’étreinte, l’Irak décide de renoncer le 15 août à ses conquêtes territoriales sur l’Iran, enjeu d’une guerre de huit ans, de revenir à l’accord de 1975 et de retenir prisonniers au Koweit et en Irak les étrangers présents. La crise du Golfe a de graves répercussions, sur le plan de la tension internationale, l’approvisionnement en pétrole et l’augmentation de son prix, enfin le marasme des marchés financiers.
Face à la première grave crise survenant dans l’après-guerre froide, on constate un sursaut de la communauté internationale. Américains et Soviétiques condamnent d’une même voix l’agression. Le Conseil de sécurité, qui n’est plus inhibé par le veto d’un membre permanent, prend résolution sur résolution. Et les Américains rassemblent une impressionnante armada en Arabie, retirant, dans ce but, le tiers de leurs forces d’Europe, ce qu’ils n’auraient jamais pu faire sans la fin de la guerre froide et la passivité du Kremlin, qui lâche ainsi son principal protégé au Proche-Orient.
Tandis que les renforts affluent dans le Golfe, les menaces et les affirmations d’intransigeance se multiplient tant à Bagdad qu’à Washington. La coalition anti-irakienne autour des Américains (400 000 hommes) regroupe aussi bien des Occidentaux (29 000 Britanniques, 12 000 Français) que des Arabes (Saoudiens, Égyptiens, Syriens, Marocains). L’opération déclenchée sous le nom de « Tempête du désert » se déroule en deux phases : bombardements aériens intensifs à partir du 17 janvier 1991 et offensive terrestre du 24 au 28 février. Elle aboutit à la libération du Koweit et à l’occupation d’une partie de l’Irak, mais non à la chute de Saddam Hussein. Celui-ci garde même les moyens de réprimer des révoltes internes (chiites et kurdes) dans lesquelles, malgré la violence de la répression antikurde, les États-Unis répugnent à intervenir. Par la Résolution 687 (avril 1991), le Conseil de sécurité fixe les conditions d’un règlement définitif du cessez- le-feu, contraignant l’Irak à payer des dommages de guerre et à prendre à sa charge l’élimination de ses armes de destruction massive pour le priver de toute capacité d’agression.
L’Afrique à l’abandon:
On aurait pu croire qu’à la faveur de la fin de la guerre froide les principaux conflits s’éteindraient en Afrique ; mais il n’en est rien : les affrontements tribaux et la montée du banditisme se multiplient dans un continent laissé à l’abandon, frappé par l’ampleur de la dette et le sous-développement. Avec la fin des blocs, l’Afrique cesse d’être un enjeu de la rivalité entre les deux camps et perd de son importance stratégique et diplomatique. Des forces antagonistes coexistent : poussée de l’intégrisme musulman, présence active du catholicisme (voyages de Jean-Paul II en 1982, 1985, 1990, 1992, 1993, 1995), progrès de la démocratie face aux régimes dictatoriaux.
Le règlement de l’affaire de Namibie et la guerre civile en Angola. Depuis son indépendance en 1975, l’Angola n’a jamais connu la paix. Le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) est contesté par deux autres mouvements, le FNLA et l’UNITA, dirigée par Jonas Savimbi, qui en 1986 contrôlait au moins le tiers du pays. Face au gouvernement angolais, soutenu par une aide soviétique, cubaine et est-allemande, l’UNITA bénéficie de l’aide américaine et sud-africaine, à la poursuite des militants nationalistes namibiens. La Namibie est en effet administrée par la République sud-africaine, qui se prévaut d’un mandat de la SDN donné en 1920. Mais l’Assemblée générale de l’ONU l’a révoqué en 1966 et reconnu en 1973 la South West Africa People’s Organization (SWAPO) comme seul représentant authentique du peuple namibien, qui y mène une guérilla. Face au MPLA, soutenu par Moscou et La Havane, l’UNITA réussit à maintenir une rébellion anti¬marxiste et contraint l’État angolais à consacrer la moitié de son budget aux dépenses militaires. Le conflit s’aggrave depuis 1985, avec une pression américaine accentuée et un resserrement des liens avec Moscou (mai 1986). À la fin de 1987 et au début de 1988, des combats importants s’y déroulent sans qu’aucun des deux camps ne semble en mesure de l’emporter militairement. Toutes les tentatives de règlement négocié se heurtent au refus de Pretoria de retirer ses troupes de Namibie et de reconnaître son indépendance, tant que les forces cubaines stationnent en Angola et donnent un appui armé à la SWAPO. Les pourparlers entre l’Angola, Cuba, l’Afrique du Sud et les États-Unis aboutissent à un accord de cessez-le-feu le 8 août 1988 et au retrait des troupes sud-africaines d’Angola le 22 novembre 1989. Deux traités signés aux Nations unies le 22 décembre 1988 prévoient l’accession de la Namibie à l’indépendance, qui est proclamée le 21 mars 1990, et le départ progressif des forces cubaines avant le 1er juillet 1992. Le retrait des Cubains, qui avait permis l’installation (en 1975) et le maintien à Luanda d’un gouvernement prosoviétique, marque l’échec des ambitions soviétiques sur l’Afrique. Un accord supervisé par l’ONU (mai 1991) ramène la paix en Angola. Contestée par le président de l’UNITA, la victoire du président du MPLA, Eduardo dos Santos, aux élections présidentielles (septembre 1992) donne le signal d’une nouvelle guerre civile qui s’étend à l’ensemble du pays. Un accord de paix entre le gouvernement de Luanda et l’UNITA intervient en novembre 1994, ouvrant un espoir de paix en Angola, après vingt ans de guerre civile, tandis qu’au Mozambique les premières élections libres ont lieu en octobre 1994.
Au Sahara occidental, malgré les succès diplomatiques et militaires du Polisario, la position marocaine ne cesse de se renforcer. La réconciliation spectaculaire avec l’Algérie, en mai 1988, après douze ans de rupture, profite au Maroc en privant le Polisario du soutien inconditionnel de son allié algérien. Dès le 30 août 1988, le Front Polisario accepte l’instauration d’un cessez-le-feu et l’organisation, sous le contrôle de l’ONU et d’une force de maintien de la paix créée en avril 1991, d’un référendum permettant à la population sahraouie de choisir entre l’indépendance et l’intégration au Maroc.
Au Tchad, le processus de paix engagé depuis le cessez-le-feu du 11 septembre 1987 paraît solide. Tchad et Libye reprennent des relations diplomatiques normales le 3 octobre 1988 et signent un accord-cadre pour le règlement du différend territorial tchado-libyen le 31 août 1989. La souveraineté du Tchad est reconnue (février 1994) sur la bande frontalière d’Aouzou (114 000 km2), occupée par l’armée libyenne depuis 1973. Mais le pays est instable (Hissène Habré est chassé du pouvoir le 1er décembre 1990 par son ancien adjoint, Idriss Debi, armé par la Libye).