Le reste du continent américain, en dehors des États-Unis
Ensemble de l’Amérique latine
Le poids traditionnel de l’Église catholique remis en cause par les mouvements évangéliques et pentecôtistes « Au premier rang des préoccupations du pape Jean Paul lors de son voyage de février [1996] en Amérique latine figurait la montée des nouveaux mouvements évangéliques qui, année après année, voient le nombre de leurs adeptes grossir au détriment de l’Eglise catholique [écrit André Corten. Parmi ces mouvements, le’ pentecôtisme est celui dont la croissance est la plus spectaculaire.
Au Brésil, au Pérou et au Guatemala, les Eglises pentecôtistes prolifèrent à un rythme frénétique et constituent de véritables phénomènes de société. Alliées aux tenants de l’ultralibéralisme, elles jouent sur les émotions des plus humbles, et prônent, avec les accents du romantisme politique, une “théologie de la prospérité” qui n’est qu’une nouvelle forme de la résignation. [Le Brésil] demeure à la recherche d’un imaginaire religieux lui permettant d’esquisser les traits de la société désirée. Les théologiens de la libération Gustavo Gutierrez, Fray Betto— comprennent que pour instituer ce qu’ils désignent comme le royaume de Dieu (une autre conception de la société), il faut parvenir à atteindre la moitié “exclue du Brésil : les pauvres”. Et fondent les Communautés ecclésiales de base. Mais, dès 1985, le constat est fait : la théologie de la libération n’atteint pas les plus pauvres. Ceux-ci sont séduits par un nouveau mouvement religieux : le pentecôtisme. Religion importée, le pentecôtisme devient très vite fa religion des déshérités.
Le pentecôtisme est apparu au début du siècle parmi les méthodistes noirs aux Etats-Unis et compte maintenant 150 millions de croyants, répandus dans tous les tiers-mondes. Il fait partie de la “nébuleuse évangélique” qui, en Amérique latine, désigne aussi les protestants historiques2. Au Brésil, où l’Église de l’Assemblée de Dieu se développe dès 1911 et est indépendante de la Congrégation américaine, les pentecôtistes ont crû, durant la dernière décennie, à raison de 8 % par an. Selon des enquêtes de 1994, les pentecôtistes représentent 10% de l’électorat (l’ensemble des évangéliques, 13,5%). Comparativement, les catholiques proches de la théologie de la libération sont 2 %, et les charismatiques 3,8 %.
Le pentecôtisme brésilien est formé de milliers d’Églises ; il se multiplie en se divisant. Il est aussi extrêmement prosélytique. On peut cependant repérer quelques grandes Eglises. La plus importante — l’Assemblée de Dieu — compte plus de 30 000 temples à travers tout le pays. Dans les fa-velus, les petites baraques avec l’enseigne “Assembléia de Deus” sortent de terre comme des champignons. Il s’agit du “pentecôtisme classique”.
Mais l’Église la plus voyante dans les grandes aires métropolitaines (2 000 temples moyens ou grands, souvent des cinémas ou des supermarchés reconvertis) est l’Eglise universelle du règne de Dieu, fondée en 1977 . L’Eglise universelle, qui se prétend effectivement universelle (“catholique” veut dire universel), est déjà bien implantée dans dix pays. Elle a une étonnante capacité médiatique, règne sur une pléiade de stations de radio fournissant de façon continue des témoignages religieux, des prédications, des chants et des actualités pentecôtistes dans presque tous les Etats. Elle organise des concentrations immenses dans des stades gigantesques, réunissant jusqu’à 400 000 personnes. Elle a lancé des campagnes humanitaires d’envergure nationale, comme Mouvement Brésil 2000, Futur sans faim ou Associaçao Beneflciente Crista. Elle met aussi l’accent sur la “lutte contre les démons”. Le discours est loin d’être misérabiliste : “Les démons prétendent nous enlever notre droit à la bénédiction de Dieu, droit conquis par le Christ victorieux. La foi — manifestée par le paiement de la dîme — permet de reprendre possession de cette “bénédiction”. Bénédiction en matière financière, de santé, de famille, bref de prospérité. C’est la “théologie de la prospérité”.
Pour les pentecôtistes “classiques”, l’important est l’expérience émotionnelle de rencontre immédiate avec Dieu. Elle se manifeste souvent par un signe : le “parler en langues”. C’est un “don” exceptionnel de l’Esprit saint. Signe d’un nouveau baptême. Il s’est manifesté la première fois, selon les Évangiles, parmi les apôtres du Christ le jour de la Pentecôte. La réapparition de ce “don” est, selon les pentecôtistes, un indice de la proximité du “Second retour du Christ”
L’expérience immédiate de rencontre avec Dieu réduit le rôle de médiation du clergé et confère au pentecôtisme un égalitarisme communicatif. L’attente du “Second retour du Christ”, annoncé par des cataclysmes, des crises et des guerres, invite les fidèles à se préparer et à se désintéresser du monde. Le pentecôtisme est traditionnellement apolitique. Il prêche un ascétisme de masse touchant l’alcool, le tabac, les loisirs, etc., qui est aussi un code d’appartenance à la communauté de “frères”. Les adeptes du pentecôtisme intègrent dans leur culte leur vision du monde et leur espérance, faite à la fois de violence apocalyptique (permettant de projeter dans l’imaginaire la violence civile quotidienne) et d’égalitarisme.
Depuis 1986 est apparu un phénomène politique nouveau : l’élu évangélique” et la btmcctda evanjydista, le groupe parlementaire évangélique. Celui- ci comptait 33 membres dans l’Assemblée constituante (sur 573) en 1989, 31 dans le Congrès élu en 1990, et 29 dans celui de 1994. Les conventions des Eglises désignent officiellement les candidats. Ensuite, les croyants sont invités à voter pour les “frères” : “un frère vote pour un frère”. La “bancada evangelista” monnaye son appui aux projets de loi en échange de “budgets” pour les Eglises ou de “concessions” d’ondes radiotélévisées.
L’entrée des pentecôtistes dans la politique n’est pas propre au Brésil. Au Chili, ils ont donné leur appui au général Pinochet. Le Guatemala a eu son président évangélique de 1982 à 1985 : le général Bios Montt. Enfin, Alberto Fujimori, au Pérou, a été élu, en 1990, grâce à leur soutien.
Dans la mesure où le pentecôtisme propose une mutation de mode de vie, par le biais d’une émotion intense et extériorisée, il pourrait introduire cette émotion dans la politique. Certains pauvres semblent réclamer cela “pour affronter la souffrance avec dignité”. Mais il faut faire émerger également un nouveau sujet social en Amérique latine. Ce sujet social, que la théologie de la libération avait pressenti, s’exprime à travers une religion de l’émotion qui suppose peu de médiations, et pas de clergé. Ce mouvement religieux est devenu une force politique indéniable ; il est aussi un incontestable danger. »
Vidéo : Le reste du continent américain, en dehors des États-Unis
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Le reste du continent américain, en dehors des États-Unis