L'empire et ses ennemis : La fin de la première mondialisation
La fin de la première mondialisation marque aussi la disparition de l’action collective de l’Europe. L’Empire ottoman n’est plus et les autres espaces dominés s’émancipent des contraintes juridiques imposées de l’extérieur. Le monde non colonial se ferme lentement mais sûrement.
La crise économique des années 1930 accélère la fragmentation des marchés et le repli sur les empires coloniaux. La montée du protectionnisme et les crises de change se traduisent par un accès contrasté aux matières premières entre puissances « prolétaires » et puissances « nanties », thème lancinant des économistes et des géopoliticiens de cette période. C’est le triomphe d’un néomercantilisme qui trouve son expression la plus forte dans la multiplication des accords de troc. Du fait de cette situation, les ultimes tentatives d’organisation du marché mondial passent par la prolifération des cartels internationaux destinés à maintenir les prix des matières premières qui, sinon, s’effondreraient encore plus. Le problème ne réside pas dans un manque de ressources naturelles mais dans une pénurie de change et la fin d’un marché mondial unifié.
La doctrine de l’espace vital chère au fascisme et au nazisme prend son sens dans cet effondrement de la mondialisation. Les États ne disposant pas d’empires coloniaux se sentent étouffés par ce manque d’accès direct aux ressources naturelles et par l’absence de débouchés pour leurs produits manufacturés. Comme il n’existe plus d’espace ultramarin à conquérir, ils se tournent vers l’Europe orientale, de la Baltique aux Balkans, comme nouvel horizon de conquêtes, ce qui implique de battre préalablement les puissances de l’Ouest garantes du statu quo territorial de la Première Guerre mondiale. L’impérialisme européen, au sens large du terme, se retourne contre l’Europe elle-même avec un degré de violence et de férocité jamais atteint dans l’expérience coloniale, au moins à cette échelle. C’est le fait justement d’États qui ne disposaient pas d’un véritable empire colonial (celui de l’Italie était tardif et de dimension médiocre même par rapport à ceux de la Belgique et des Pays-Bas, sans parler du Portugal).
Les pays disposant d’empires coloniaux (Grande- Bretagne, France, Pays-Bas, Belgique) exaltent au contraire le sentiment de puissance qu’ils leur inspirent. On a ainsi accès librement à des ressources naturelles dont les autres sont privés. On y recrute des combattants. Alors que l’expansion coloniale est terminée et que l’impérialisme collectif se meurt, jamais la propagande coloniale n’a été aussi active dans les métropoles. Les arts de masse (affiches, cinémas, chansons) y célèbrent le fait impérial et les premiers contingents importants de colonisés y affluent. Les images sont d’une double nature : on exalte les réussites techniques des colonisateurs (ports, chemins de fer, barrages…) et on enferme l’indigène dans un exotisme du costume qui tend à nier l’existence des nouvelles élites.
Cette promotion du fait impérial dans les années 1930 est de nature défensive. Elle sert à rassurer les populations métropolitaines rendues inquiètes par les difficultés économiques puis par la montée des périls de guerre. Elle permet de renforcer l’idée nationale dans des sociétés en profonde crise morale. Mais certains pacifistes de droite ou de gauche sont prêts à troquer des morceaux du patrimoine colonial pour obtenir une prolongation de la paix face aux appétits des puissances dites prolétaires (Italie, Allemagne). Le nationalisme d’inspiration coloniale se heurte ainsi à droite à un pacifisme cherchant l’apaisement des conflits en Europe au détriment d’un domaine ultramarin en voie d’entrer dans le patrimoine national.
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