L'empire et ses ennemis : Le moment napoléonien
L’appareil militaire et bureaucratique est un formidable multiplicateur de puissance. Alors que la nature des armements reste à peu de chose près la même entre
pays européens et empires de Г Ancien Monde (armes à feu produites dans un système artisanal), l’Europe se constitue en hyperpuissance par rapport au reste du monde avant même que la révolution industrielle ne produise ses premiers effets. Les guerres de la Révolution et de l’Empire en sont l’éclatante démonstration.
Dès les années 1780, à partir de l’exemple indien, les puissances européennes discutent d’un partage des dépouilles des grands empires musulmans. Même si l’argumentaire classique des denrées coloniales et des voies commerciales est avancé, le point fondamental du raisonnement ne porte pas sur l’économique proprement dit, mais sur la notion de puissance.
Chaque conquête nouvelle faite par un Etat européen, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Europe, est interprétée comme une augmentation de sa puissance, soit en raison de l’accroissement de ses moyens matériels, soit par l’acquisition de positions géostratégiques. Le grand cycle de guerres européennes de 1792 à 1815, qui a un impact mondial, se fait autour de la préservation de l’équilibre européen, c’est-à-dire de l’équilibre entre les puissances européennes. Il ne concerne plus géographiquement la seule Europe, il s’est dilaté jusqu’à l’Inde. Les routes des Indes, qui sont largement virtuelles, en particulier dans leurs variantes terrestres, deviennent pour un siècle et demi l’enjeu des conflits extra-européens des puissances européennes.
Il est évident que les guerres révolutionnaires et impériales ont une nature profondément idéologique, puisque le discours de régénération de la Révolution française est à la fois remise en cause complète de Г État monarchique plus que millénaire, et accomplissement et dépassement de l’État absolutiste européen. Mais elles sont aussi, si l’on peut dire, « totalement schumpetériennes », les États européens s’opposant par tous les moyens à l’accroissement continu de la puissance française prise dans une logique de conquêtes engendrant la conquête.
La guerre de conquête suscite son propre antagonisme. Par le fait même de la révolution, le peuple devient l’acteur de sa propre histoire, et la nation, définie comme communauté citoyenne, se transforme en unité politique à référence ethnique. La résistance à l’impérialisme napoléonien passe par la mobilisation chez les vieilles monarchies européennes de la force nouvelle du sentiment national. Le principe des nationalités émerge dans les dernières années de la tourmente.
Il en résulte en Europe la création d’une double dynamique : celle du rassemblement des parts séparées d’une même nation dans un mouvement dit unitaire ; et celle de l’irréductibilité du sentiment national chez les peuples conquis prompts à la révolte. Dès la fin du xviii6 siècle, l’exemple polonais en deviendra la référence. Les empires européens multinationaux seront de plus en plus vulnérables au fur et à mesure que leurs composantes ethniques accéderont au « réveil national ».
Le projet révolutionnaire français était celui de la constitution d’une société d’individus égaux en droit, mettant fin à l’ordre ancien des sociétés de statuts hiérarchisés. Ce qui était devenu d’un seul coup « l’Ancien Régime » concernait en premier lieu l’Europe mais avait vocation à s’universaliser au reste du monde. Dans ce sens, il enregistrait l’écart qui s’était établi entre la dynamique européenne et les autres sociétés de l’Ancien Monde.
La constitution de l’hyperpuissance européenne est en effet un processus dynamique unique dans l’histoire, en raison de sa capacité de perpétuation. L’écart s’établit comme une constante qui fait qu’à chaque processus de rattrapage semble correspondre une nouvelle avancée qui relance en quelque sorte la course.
Les révolutionnaires français ont défini cette dynamique comme étant le processus de civilisation, et l’expédition d’Égypte de 1798 à 1801 en a été le banc d’essai.
Pour les Européens de la fin du xvme siècle, l’expansion européenne est un fait acquis. Il faut en donner les légitimations. Il n’est plus question d’une expansion au nom du christianisme triomphant comme pour la conquête des Amériques, aussi bien en raison du processus de déchristianisation qu’en raison des résistances attendues. L’idéologie de croisade tend à une pratique éradicatrice, voire génocidaire, qu’il est impossible de pratiquer.
L’expansion européenne est un déversement de puissance, la projection de l’équilibre européen sur le reste du monde. Elle est aussi l’exportation d’un nouveau modèle de société, d’un nouveau mode d’organisation sociale, celui que l’on appellera faute de mieux « l’État moderne ».
La première solution est le modèle britannique en Inde. La conquête du subcontinent a suivi la logique de la conquête engendrant la conquête, avec le prétexte affirmé d’éliminer toute menace potentielle. La domination étrangère de quelques milliers de personnes sur
des millions d’habitants a été rendue possible par la supériorité militaire et l’efficacité administrative définie par la capacité de concentrer des moyens supérieurs. Il s’ensuit que l’organisation britannique est la meilleure expression du despotisme militaire et bureaucratique cher à la pensée politique européenne de l’époque classique.
Sur le plan moral, cette situation n’est pas satisfaisante. Les dominateurs britanniques vont donc développer une nouvelle image de soi, celle du service rendu défini par le bienfait apporté à la population indigène et débouchant sur l’idée plus satisfaisante d’un despotisme éclairé.
La seconde solution est de présenter l’expansion européenne comme une entreprise de libération et de constitution d’une société et d’un Etat modernes. Tel a été le discours de l’expédition d’Égypte. Il est aussi insatisfaisant parce qu’il est une contradiction dans les faits et dans le discours, la libération ne pouvant prendre la forme d’une domination étrangère.
Dès les années 1780, à partir de l’exemple indien, les puissances européennes discutent d’un partage des dépouilles des grands empires musulmans. Même si l’argumentaire classique des denrées coloniales et des voies commerciales est avancé, le point fondamental du raisonnement ne porte pas sur l’économique proprement dit, mais sur la notion de puissance.
Chaque conquête nouvelle faite par un Etat européen, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Europe, est interprétée comme une augmentation de sa puissance, soit en raison de l’accroissement de ses moyens matériels, soit par l’acquisition de positions géostratégiques. Le grand cycle de guerres européennes de 1792 à 1815, qui a un impact mondial, se fait autour de la préservation de l’équilibre européen, c’est-à-dire de l’équilibre entre les puissances européennes. Il ne concerne plus géographiquement la seule Europe, il s’est dilaté jusqu’à l’Inde. Les routes des Indes, qui sont largement virtuelles, en particulier dans leurs variantes terrestres, deviennent pour un siècle et demi l’enjeu des conflits extra-européens des puissances européennes.
Il est évident que les guerres révolutionnaires et impériales ont une nature profondément idéologique, puisque le discours de régénération de la Révolution française est à la fois remise en cause complète de Г État monarchique plus que millénaire, et accomplissement et dépassement de l’État absolutiste européen. Mais elles sont aussi, si l’on peut dire, « totalement schumpetériennes », les États européens s’opposant par tous les moyens à l’accroissement continu de la puissance française prise dans une logique de conquêtes engendrant la conquête.
La guerre de conquête suscite son propre antagonisme. Par le fait même de la révolution, le peuple devient l’acteur de sa propre histoire, et la nation, définie comme communauté citoyenne, se transforme en unité politique à référence ethnique. La résistance à l’impérialisme napoléonien passe par la mobilisation chez les vieilles monarchies européennes de la force nouvelle du sentiment national. Le principe des nationalités émerge dans les dernières années de la tourmente.
Il en résulte en Europe la création d’une double dynamique : celle du rassemblement des parts séparées d’une même nation dans un mouvement dit unitaire ; et celle de l’irréductibilité du sentiment national chez les peuples conquis prompts à la révolte. Dès la fin du xviii6 siècle, l’exemple polonais en deviendra la référence. Les empires européens multinationaux seront de plus en plus vulnérables au fur et à mesure que leurs composantes ethniques accéderont au « réveil national ».
Le projet révolutionnaire français était celui de la constitution d’une société d’individus égaux en droit, mettant fin à l’ordre ancien des sociétés de statuts hiérarchisés. Ce qui était devenu d’un seul coup « l’Ancien Régime » concernait en premier lieu l’Europe mais avait vocation à s’universaliser au reste du monde. Dans ce sens, il enregistrait l’écart qui s’était établi entre la dynamique européenne et les autres sociétés de l’Ancien Monde.
La constitution de l’hyperpuissance européenne est en effet un processus dynamique unique dans l’histoire, en raison de sa capacité de perpétuation. L’écart s’établit comme une constante qui fait qu’à chaque processus de rattrapage semble correspondre une nouvelle avancée qui relance en quelque sorte la course.
Les révolutionnaires français ont défini cette dynamique comme étant le processus de civilisation, et l’expédition d’Égypte de 1798 à 1801 en a été le banc d’essai.
Pour les Européens de la fin du xvme siècle, l’expansion européenne est un fait acquis. Il faut en donner les légitimations. Il n’est plus question d’une expansion au nom du christianisme triomphant comme pour la conquête des Amériques, aussi bien en raison du processus de déchristianisation qu’en raison des résistances attendues. L’idéologie de croisade tend à une pratique éradicatrice, voire génocidaire, qu’il est impossible de pratiquer.
L’expansion européenne est un déversement de puissance, la projection de l’équilibre européen sur le reste du monde. Elle est aussi l’exportation d’un nouveau modèle de société, d’un nouveau mode d’organisation sociale, celui que l’on appellera faute de mieux « l’État moderne ».
La première solution est le modèle britannique en Inde. La conquête du subcontinent a suivi la logique de la conquête engendrant la conquête, avec le prétexte affirmé d’éliminer toute menace potentielle. La domination étrangère de quelques milliers de personnes sur
des millions d’habitants a été rendue possible par la supériorité militaire et l’efficacité administrative définie par la capacité de concentrer des moyens supérieurs. Il s’ensuit que l’organisation britannique est la meilleure expression du despotisme militaire et bureaucratique cher à la pensée politique européenne de l’époque classique.
Sur le plan moral, cette situation n’est pas satisfaisante. Les dominateurs britanniques vont donc développer une nouvelle image de soi, celle du service rendu défini par le bienfait apporté à la population indigène et débouchant sur l’idée plus satisfaisante d’un despotisme éclairé.
La seconde solution est de présenter l’expansion européenne comme une entreprise de libération et de constitution d’une société et d’un Etat modernes. Tel a été le discours de l’expédition d’Égypte. Il est aussi insatisfaisant parce qu’il est une contradiction dans les faits et dans le discours, la libération ne pouvant prendre la forme d’une domination étrangère.
Vidéo : L’empire et ses ennemis : Le moment napoléonien
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : L’empire et ses ennemis : Le moment napoléonien
https://youtube.com/watch?v=ofEqBVO2rV0