Les femmes dans la deuxième guerre mondiale: les punitions et les récompenses de la Libération
La Libération, qui soustrait hommes et femmes au joug de l’occupant, présente des aspects sexués, mais elle n’est pas synonyme de « libération des femmes », dans le sens où, exception faite du suffrage universel, elle ne conduit pas à une modification des rôles.
Une épuration sexuée?
La tonte, une punition de « collaboratrices horizontales » ?
Telle fut longtemps la cause avancée de la pratique des tontes, qui semble relever de l’épuration sauvage. Ces femmes sont donc poursuivies non comme des citoyennes délictueuses, mais comme des « femmes à Boches », images inversées de la vertueuse Marianne. Phénomène massif, les tontes n’épargnent aucune région; débutées avant la Libération, elles se prolongent jusqu’à fin 1945, début 1946. Les travaux en cours (Fabrice Virgili) montrent que les relations sexuelles, reposant souvent sur des rumeurs propices aux dérapages, furent surtout des prétextes justifiant la haine ; cette pratique, d’origine fasciste, est souvent reprise par des résistants de la dernière heure, mais pas seulement par ceux-ci. Sa fréquence, sa ritualisation, ses acteurs, la participation ou la passivité de la communauté en soulignent la fonction expiatoire ; la tonte d’hommes est exceptionnelle. Ce « carnaval moche » (A. Brossât) repose sur une vision du féminin séducteur et traître, sur une érotisation très forte du corps, que les vengeurs cherchent à détruire dans son apparence, sa « féminité ». Aussi les femmes sont-elles atteintes dans leur corps, lequel ne leur appartient pas ; il est le lieu de la faute réelle (« coucher » avec un ennemi) et symbolique (commettre un adultère à l’égard de la Nation), celui aussi de la punition épuratoire qui est donc déjà un moyen de reconstruction. Cette démarche est rendue possible par la confusion du privé et du public dont la célèbre réponse, moins ironique qu’elle n’y paraît, de l’actrice Arletty à ses accusateurs rend bien compte (« Mon cœur est à la France, mais mon cul est à moi »).
Juger les collaboratrices :
Des femmes sont jugées au même titre que les hommes pour faits de collaboration ; cette répression n’est pas un fait mineur, même si elle ne peut être encore totalement chiffrée. L’épuration extrajudiciaire ne le sera, elle, sans doute jamais, d’autant que les données ne distinguent que rarement les sexes. De cette histoire en cours, on peut tirer quelques conclusions : les femmes exécutées, sans doute au moins 454, représenteraient de 20 à 30 % des exécutions; quatre chefs d’inculpation sont retenus contre elles : relations intimes avec l’occupant, prostitution, relations professionnelles ou familiales avec des individus soupçonnés de collaboration, dénonciation ou appartenance à la Gestapo. Ce dernier motif est principalement retenu dans les poursuites entreprises dans le cadre de la répression judiciaire, dont les femmes forment 21 % des inculpées dans la région parisienne; 6207 d’entre elles sont condamnées entre 1946 et 1948 (travaux forcés, dégradation nationale). Elles avancent des convictions politiques plus que des compromissions matérielles pour justifier leur collaboration ; impossible de savoir s’il s’agit de sincérité ou de stratégie de défense.
Un pas vers l’égalité :
L’accès des femmes à la citoyenneté :
Par l’article 17 de l’ordonnance du 21 avril 1944, les femmes obtiennent les mêmes droits civiques que les hommes. Elle est signée par De Gaulle, après le vote de l’amendement par l’Assemblée consultative d’Alger par 51 voix pour et 16 contre. Les débats ne font référence ni au mouvement suffragiste des femmes ni aux arguments antérieurs à 1940; sans véritable réflexion de fond, les opposants avancent des problèmes conjoncturels : ils craignent que l’après-guerre, en l’absence des prisonniers, soit dominée par un vote féminin. Dans une déclaration du 23 juin 1942, De Gaulle souhaitait que les députés de l’Assemblée nationale soient élus par tous les hommes et toutes les femmes, souhait qui ne fut ensuite ni réaffirmé ni commenté, au cours du conflit ou, bien plus tard, dans ses Mémoires de guerre. Trois interprétations de cette ordonnance, qui ne s’excluent pas, ont été avancées : la participation des femmes à la Résistance, dans les chartes de laquelle leur droit de vote ne figure pas explicitement, rendait impossible leur exclusion du politique – le droit de vote serait donc une récompense ; le retard de la France, au regard des pays alliés, était devenu trop visible pour ne pas être commenté politiquement ; la conviction que les femmes étaient conservatrices encourageait De Gaulle à être favorable à leur droit de vote, celui-ci étant analysé comme un rempart à une possible victoire électorale des communistes, pourtant favorables au vote des femmes.
L’obtention du droit de vote prive les associations suffragistes, en sommeil durant la guerre, de leur raison d’être. Devenue la Ligue des électrices, l’UFSF disparaît.
Des responsabilités provisoires :
Après le débarquement en Normandie, les comités provisoires se mettent en place. Leurs membres sont recrutés en fonction de leur engagement dans la Résistance, aussi des femmes y entrent-elles. Ainsi Emmanuel d’Astier de la Vigerie, commissaire à l’intérieur, charge-t-il Lucie Aubrac de la mise en place de comités départementaux de libération. 7,6 % des membres de ces CDL sont des femmes, ce taux, certes modeste, est exceptionnel quand on connaît la très faible féminisation des instances politiques dans les années suivantes. Les femmes votent pour la première fois lors des élections municipales du 29 avril 1945, puis lors des élections à l’Assemblée constituante du 21 octobre 1945. Aux élections de 1946, elles représentent 13 % des candidats, 5,4 % sont élues ; leurs votes sont alors plus conservateurs que ceux des hommes.
L’oubli des combattantes :
Une action peu honorée :
Quelques chiffres parlent du peu de reconnaissance exprimée après guerre aux résistantes : six femmes (Bertie Albrecht, Maria Hackin, Simone Michel- Lévy, Marcelle Henry, toutes quatre à titre posthume, Emilienne Moreau, Laure Diébold) deviennent « compagnons de la Libération », pour s’être, comme les 1 024 hommes pareillement récompensés en 1946, « signalées d’une manière exceptionnelle dans l’œuvre de libération de la France et de son empire ».
Des effets limités sur le genre :
Seule de toutes les organisations de résistantes à poursuivre une action après guerre, l’UFF tient son premier congrès en juin 1945. Porté par la présence des communistes, il donne la présidence, essentiellement honorifique, à la scientifique Eugénie Cotton, compagne de route du Parti communiste. Le secrétariat, réel décideur, est marqué par les personnalités de Jeannette Vermeersch, compagne de Maurice Thorez, secrétaire général du PC, de Claudine Chômât, épouse du dirigeant communiste Laurent Casanova, veuf de Danielle Casanova. En 1945, deux de ses membres, la scientifique Pauline Ramart et Mathilde Péri, la veuve du résistant Gabriel Péri, sont déléguées à l’Assemblée consultative. La force des liens avec le PC fait disparaître l’espoir d’une réelle pluralité : l’action de l’UFF, malgré sa volonté de promouvoir les citoyennes et de recruter largement, est conforme à celle du Parti communiste. L’UFF veut l’égalité des sexes dans le mariage et voit dans le travail un moyen d’émancipation des femmes, tout en se montrant nataliste.
La mémoire des femmes :
Les résistantes ont participé à leur propre effacement, minimisant leurs actions, ne multipliant pas les réunions d’anciennes combattantes de l’ombre. Souvent dépourvue de projets politiques, la plupart d’entre elles reprirent le cours traditionnel d’une vie de femme, d’épouse et de mère. Pourtant, elles gardent de cette période, outre son aspect tragique, un goût d’aventure et de liberté. Cette impression est commune à bien des femmes, rendues autonomes par l’absence même des hommes, pères, frères et maris. La divorcialité importante de l’après-guerre rend compte de l’impossible réajustement entre épouses et époux, qui, tous deux marqués par une expérience singulière, ne se reconnaissent plus; à l’évidence non majoritaire, cette tendance est contemporaine des débuts du baby-boom, annoncé par une reprise de la natalité dès 1943. Bien plus difficile fut la réadaptation des déportées, incapables de dire l’impensable, rapidement convaincues qu’on ne voulait pas les entendre, se sentant souvent coupables d’avoir survécu. Toutes mettront des années à prendre la parole et la plume, moins pour se raconter que par devoir de mémoire et pour témoigner de l’horreur et en appeler à la vigilance devant la renaissance du danger avec la résurgence de l’extrême-droite.