L'ordre impérial (depuis 2001…)
Alors que de 2000 au premier semestre 2003 la croissance est en chute libre dans la zone euro (0,5 % en 2003) et ralentie en Amérique, au contraire de la Chine (7 % de croissance en 2003), la reprise économique mondiale en 2004 (4 % de croissance en moyenne) se trouve handicapée en 2005 par la flambée du prix des matières premières, du fait de la forte demande chinoise. La prolifération des vecteurs balistiques, le trafic d’armes et le terrorisme continuent à faire peser une grave menace sur l’ordre mondial. Les sociétés développées sont de plus en plus vulnérables et réagissent vivement aux risques liés aux phénomènes naturels – comme le tsunami qui ravage les côtes de l’océan Indien (26 décembre 2004) et provoque la mort de plus de 200 000 personnes – aux catastrophes écologiques, aux épidémies (trois millions de personnes sont mortes du Sida en 2002) et à une mondialisation sans limites qui se traduit dans les économies européennes par des délocalisations et donc des suppressions d’emploi. Face à la crise du système international qui atteint la crédibilité de l’ONU, les Etats-Unis ont l’ambition d’incarner à eux seuls un nouvel ordre mondial. On peut dater le début de cette nouvelle période aux attentats du 11 Septembre, qui révèlent et font advenir un changement profond dans les relations de Washington avec le reste du monde.
La guerre contre le terrorisme:
Les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington signifient d’abord un passage à un nouvel âge du terrorisme. Ces attentats expriment un terrorisme singulier dans ses objectifs, ses moyens et ses effets. Les objectifs visés ne sont en effet pas politiques mais symboliques (l’emblème du commerce international et le siège de la puissance militaire), les moyens utilisés combinent le recours aux avions et aux armes blanches et le sacrifice de martyrs ; les effets se reflètent dans le nombre de victimes (environ 3 000 morts), c’est à dire dans la destruction de masse.
L’émotion est immense dans le monde occidental, pour saluer les victimes du terrorisme exercé par une poignée d’extrémistes islamistes. Comme l’Islam, qui compte 1,2 milliard d’êtres humains, est divisé en de multiples courants (les sunnites représentent 85 à 90 % du monde musulman ; les chiites sont surtout nombreux en Irak : 50 % de la population, en Iran et au Yémen : 90%), l’islamisme n’est pas un phénomène homogène: surgi dans l’Iran révolutionnaire et chiite, il semble à présent surtout actif dans les pays sunnites comme l’Arabie Saoudite, où les organisations wahhabites dépensent dix milliards de dollars par an pour la propagation de l’Islam et financent les mouvements islamiques. L’événement pose la question de la vitalité de l’islamisme : dément-il les prévisions sur l’évolution de l’Islam politique ? ou confirme-t-il le passage à un post-islamisme, qui se traduit soit par l’ambition de conquérir l’appareil d’État, soit par la quête d’une union des Croyants, soit enfin par une réislamisation des mœurs. Quoi qu’il en soit, l’Islam fondamentaliste hait par-dessus tout le matérialisme et l’économie de marché, qu’il identifie avec les États-Unis, dont la politique est vécue comme partiale en raison du soutien au gouvernement israélien, de la présence militaire américaine en Arabie Saoudite, du maintien de l’embargo et des actions militaires contre l’Irak. Ce vif ressentiment contre les États-Unis est largement partagé dans le monde musulman.
Du coup, l’administration américaine déclare la guerre au terrorisme, avec une approbation quasi unanime, en particulier l’aval du Conseil de sécurité, et la solidarité des membres de l’Alliance atlantique prêts à faire jouer l’article 5. Une fois la surprise passée, l’administration G.W. Bush désigne le premier ennemi : le régime taliban au pouvoir en Afghanistan depuis 1996 et protecteur de l’organisation islamiste Al-Qaïda dirigée par Oussama Ben Laden, un Saoudien fanatique de la lutte contre les Infidèles. L’Afghanistan est de nouveau au centre de l’actualité : pays ravagé par les guerres, les luttes tribales et ethniques, l’ingérence des pays voisins et la misère des réfugiés du fait de la position géographique de cet État-tampon, qui a toujours suscité les convoitises. Depuis son accession au pouvoir en 1996, le régime taliban est l’objet de sanctions de la part de l’ONU (résolution du 19 décembre 2000).
Contrairement aux prévisions pessimistes prévoyant un enlisement de l’action militaire et une déstabilisation du Pakistan, la riposte américaine montée contre Al-Qaïda et les Talibans est un succès. La campagne militaire (« Justice sans limite » rebaptisée « Liberté immuable ») est menée avec efficacité. Après les bombardements (qui commencent le 7 octobre 2001), la bataille terrestre menée par les forces de l’Alliance du Nord (coalition de minorités ethniques opposée aux Talibans) est rapide et aboutit à évincer le pouvoir taliban (13 novembre: chute de Kaboul, 6 décembre: chute de Kandahar) puis à l’accord pour le déploiement, sous mandat de l’ONU, d’une force internationale chargée d’assurer la sécurité (International Security Assistance Force, ISAF) à Kaboul et dans sa région, et à instituer sous l’égide de l’ONU un gouvernement intérimaire rassemblant toutes les factions afghanes.
L’autre effet de ces attentats est de susciter ou de révéler un changement profond dans les relations entre Washington et le monde. Alors qu’au cours de ses premiers mois, l’administration G.W. Bush ne semblait guère s’intéresser au monde extérieur, sauf pour promouvoir un système de défense antimissile, supposé protéger l’ensemble du territoire américain contre les éventuelles fusées des « États voyous », tout change le 11 Septembre. Même si dans le passé d’autres chocs (Pearl Harbor, Spoutnik) ont pu ébranler le sentiment d’invulnérabilité des Etats-Unis, la principale nouveauté de l’après- 11 Septembre est la découverte de leur vulnérabilité, liée à leur ouverture. Les nécessités de la lutte contre le terrorisme supposent une liberté d’action totale des États-Unis, qui font un bilan très sévère de l’opération du Kosovo (mars- juin 1999). Ils ne veulent plus être entravés par aucune contrainte internationale, notamment dans l’emploi de la force, ce qui a pour conséquences des tensions dans leur politique transatlantique et le contournement de l’ONU.
De fait, plusieurs attentats au cours des mois suivants (Djerba, Karachi, Bali, Mombasa, Aden) attestent de la mondialisation de la menace terroriste, qui s’exprime par des alertes répétées, avérées ou fausses. Les attentats de Madrid (11 mars 2004) et de Londres (7 juillet 2005) frappent à son tour l’Europe.
La formation d’une coalition antiterroriste entraîne des revirements diplomatiques, provoquant dans un premier temps un rapprochement Washington- Moscou-Pékin, une marginalisation de l’OTAN, une remise en question des rapports entre les pays européens. Si, au-delà des discussions sur les armements stratégiques, la Russie entend à certains moments reprendre son rôle de contrepoids face à l’Amérique, le soutien apporté par Vladimir Poutine à G.W. Bush lors de leurs entretiens à Washington (13-15 novembre 2001) manifeste surtout sa volonté d’établir une relation de confiance et de coopération dans la lutte antiterroriste, la Russie espérant gagner une latitude totale dans la guerre de Tchétchénie, qu’elle présente comme un front de la lutte contre le terrorisme, en échange de sa solidarité contre Ben Laden. Pour la même raison, la Chine prête son concours de principe à la coalition (le terrorisme est d’ailleurs l’un des axes de coopération du groupe de Shanghaï, forum de consultation régional créé en 1996 entre la Russie, la Chine, le Tadjikistan, le Kazakhstan et le Kirghizistan). Cet alignement est symbolisé par la rencontre de Shanghaï (dans le cadre du sommet de l’APEC, Forum de coopération économique Asie-Pacifique), le 20 octobre 2001, et la photo de Jiang Zemin, Vladimir Poutine (qui avaient cependant signé à Moscou en juillet 2001 un traité d’amitié et de coopération et réitéré leur opposition au projet américain de bouclier antimissile) et George W. Bush. Cette coalition circonstancielle paraît relever d’une conception nouvelle de l’action extérieure. Plutôt que d’avoir recours à l’OTAN, la coalition est plus large et englobe des pays musulmans. La riposte militaire n’a été ni immédiate ni aveugle : les Etats-Unis ne sont plus le gendarme du monde, mais « le shérif, justicier rassemblant autour de lui une chevauchée de volontaires pour partir à la poursuite des hors-la-loi ».
À la suite de la guerre d’Afghanistan, les Etats-Unis développent de nouvelles conceptions de l’emploi de la force à titre préventif et exposent toute une argumentation contre l’Irak de Saddam Hussein, avec l’objectif affiché de rebattre les cartes au Moyen-Orient, en créant une nouvelle organisation régionale fondée sur la démocratie, la défense des libertés et les droits de l’homme.
Depuis la guerre du Golfe, l’Irak n’est jamais sorti de la ligne de mire de l’administration américaine, décidée à se débarrasser du régime de Saddam Hussein, et qui met en avant le danger des armes de destruction massive, la connexion entre Bagdad et les organisations terroristes, enfin la volonté de faire naître un Irak démocratique. De son côté, Bagdad proteste contre l’embargo dont il est l’objet par le biais de la résolution « Pétrole contre nourriture », assouplie en mai 2002 par la résolution 1409. Tout au long de l’année 2002, la tension monte, les États-Unis déployant dans la zone du Golfe des moyens militaires considérables. Accusé de produire des armes de destruction massive et de chercher à fabriquer une arme nucléaire, le régime de Bagdad dément et accepte finalement que des inspecteurs de l’ONU et de l’AIEA – qu’il avait expulsés en décembre 1998 – viennent contrôler la nature de son armement.
Dans un premier temps, Washington accepte de rechercher l’accord des pays membres du Conseil de sécurité et la poursuite des inspections en Irak, tout en faisant ressortir – par des révélations sur ses armements – le manque de coopération de Saddam Hussein et en préparant l’intervention. Le 8 novembre 2002, la résolution 1441 (qui fixe un calendrier de reprise des inspections de désarmement et qui exige de Bagdad une coopération complète) est adoptée à l’unanimité des quinze membres. Mais, contrairement aux États-Unis qui l’interprètent comme une autorisation d’intervenir si la coopération n’est pas totale, la France estime que le dernier mot doit revenir à l’ONU. Face à l’opposition de la France, de l’Allemagne et de la Russie à une action de force qui ne serait pas motivée par un rapport négatif des inspecteurs en désarmement et fondée sur une résolution du Conseil de sécurité, les États- Unis et la Grande-Bretagne décident de se passer d’une nouvelle résolution malgré une vague de protestations dans le monde. La guerre est rondement menée (20 mars-30 avril 2003) et l’armée irakienne mise en déroute.
A la suite de la victoire des forces de « la coalition » (la Grande-Bretagne et l’Australie y coopèrent), Washington crée en mai 2003 une « coalition des volontaires », force de stabilisation internationale d’une quinzaine de pays participants (dont la Grande-Bretagne, la Pologne, le Danemark et l’Espagne), chargée sous l’égide des États-Unis de sécuriser la reconstruction de l’Irak. Les États-Unis se passent ainsi des Nations unies et de l’OTAN, tout en réussissant à obtenir, le 22 mai 2003, l’aval du Conseil de sécurité dont une résolution confie à la coalition américano-britannique la gestion du pays et l’exploitation de son pétrole ; le 16 octobre 2003, la résolution 1511 confirme la « coalition » comme puissance occupante et entérine le projet politique des États-Unis pour l’Irak. Des attentats de plus en plus meurtriers, les prises et les exécutions d’otages, des affrontements autour des villes saintes ensanglantent le pays et les révélations des sévices imposés par les troupes américaines (avril 2004) jettent le discrédit sur l’occupation de l’Irak. En raison de l’insécurité persistante, la transition démocratique y est retardée, mais le 8 juin 2004 le transfert de pouvoir à un gouvernement irakien est approuvé par le Conseil de sécurité,ce qui représente un indéniable succès de la diplomatie américaine, malgré le retrait des troupes espagnoles et philippines des forces d’occupation. Et le Club de Paris allège la dette irakienne en novembre 2004. Le projet américain de « Grand Moyen-Orient », vaste plan de remodelage d’une région allant du Maroc au Pakistan et consistant à y favoriser le développement économique et la démocratisation politique, suscite d’intenses discussions, mais est finalement adopté sous une forme plus souple dite « Partenariat pour un avenir commun » lors du G8 réuni à Sea Island (8-10 juin 2004) et mis en œuvre à Rabat (décembre 2004). Surtout, le processus démocratique se met en place en Irak avec le succès des élections du 30 janvier 2005 et l’élection d’un Kurde comme président de la République (6 avril 2005) malgré la montée en puissance de la violence (printemps-été 2005).
La doctrine américaine d’action préventive met aussi en cause le système de sécurité collective et la place de l’ONU dans le système international, au point que la réforme du Conseil de sécurité est plus que jamais à l’ordre du jour.