La Méditerranée, champ de bataille des puissances européennes : de 1700 à 1900
La position de la flotte française était telle que Nelson put l’anéantir. Il frappa d’abord les navires situés à l’avant-garde avant de s’attaquer à ceux qui étaient amarrés à l’arrière. L’artillerie française se révéla inefficace et incapable de réagir à l’assaut britannique. L’amiral anglais qui, en revanche, avait bien préparé ses capitaines à parer à toutes les éventualités, leur avait également expliqué sa tactique. D’où la supériorité de la marine britannique au cours de l’affrontement.
Cette bataille décisive bouleversa non seulement la situation stratégique prévalant en 1798, en sabotant la campagne de Napoléon en Egypte, mais changea le cours de l’histoire de la région. Dès lors, et jusqu’au déclin de la puissance maritime anglaise en 1945, la Méditerranée fut, sinon une enclave britannique, du moins une mer dominée par la force navale anglaise. Suprématie qui fut la condition sine qua non de la puissance économique et de l’impérialisme britanniques dans la région, et notamment à Malte, dans les îles Ioniennes, à Chypre, en Egypte et en Palestine.
Comment en était-on arrivé là ? Pourquoi les forces britanniques et françaises se battirent-elles pour prendre le contrôle des eaux égyptiennes en 1798 ? Pour répondre à cette question, nous devons remonter un siècle plus tôt et tenter de comprendre comment la Méditerranée en était venue à occuper une position inédite. Elle n’était plus le centre du monde. L’avancée de l’islam avait été endiguée. Venise avait perdu de sa superbe et les principales routes commerciales et culturelles ne passaient plus par le bassin méditerranéen. A l’époque où le capitaine Cook explorait la « face obscure » de la Terre, où Robert Clive posait les jalons de l’Empire britannique en Inde et où les nations européennes commençaient à jeter leur dévolu sur d’autres régions du globe, il serait tentant de considérer que la Méditerranéenne ne joua qu’un rôle mineur, mais ce serait une erreur.
Le déclin musulman, la renaissance occidentale
Le décadence de la puissance islamique aux XVIIe et XVIIIesiècles découle de plusieurs facteurs. La défaite infligée aux Ottomans par une coalition austro-germano- polonaise en 1683 aux abords de Vienne est souvent présentée comme le début de l’inévitable démembrement de l’Empire, qui impliqua celui du monde musulman. En 1717, Belgrade tomba aux mains des Autrichiens. En 1783, les Russes envahirent la Crimée. Et, en 1827, la flotte égyptienne fut décimée au large du cap Navrino, annihilant tout espoir que la Grèce reste dans le giron ottoman.
Au début du XVIIIe siècle, les Ottomans ne jouissaient plus d’une suprématie maritime en mer d’Oman ni au large des côtes est-africaines, mais ils conservèrent leurs positions en mer Noire et en Méditerranée. Au tournant du siècle, Istanbul abandonna les traditionnelles galères et construisit une nouvelle flotte, composée je galions armés d’une quantité impressionnante de canons. Jusqu’en 1750, les Ottomans furent capables de tenir les forces navales chrétiennes à distance du bassin oriental. En 1718, au large de Cerigo, la marine califale écrasa une escadre de bâtiments de guerre vénitiens. Les chrétiens perdirent presque deux mille hommes.
Plus à l’ouest, les puissances européennes dépêchèrent des expéditions pour montrer leur pavillon et dissuader les pirates nord-africains. D’où la démonstration de force française à laquelle se livra Joseph de Beauffremont en 1766, mais dont l’effet fut de courte durée. Occasionnellement, les pirates étaient attaqués, mais : ils constituaient des cibles difficiles. En 1775, un assaut espagnol visant Alger fut contrecarré par des feux nourris. En 1784, lorsqu’une importante armada ibère voulut de nouveau frapper cette ville, une flotte algérienne empêcha les Espagnols d’approcher son littoral.
Néanmoins, plus à l’est, la montée en puissance de la Russie exposa l’Empire ottoman à un terrible ennemi, qu’il fut incapable de contrer. En 1739, les Russes parvinrent à envahir la Bessarabie et la Moldavie, écrasant les Ottomans a Stavuchanakh, et prenant Khotin et Iasi. Durant la guerre de 1768-1774, les Slaves remportèrent une victoire spectaculaire et franchirent le Danube. Ils furent de nouveau vainqueurs lors du conflit de 1787-1792 et s’enfoncèrent dans les territoires au sud du fleuve.
L’expansion russe se poursuivit pendant la Révolution française et les guerres napoléoniennes. Cependant, l’agression française eut une conséquence inattendue et rapprocha les vieux ennemis. En 1799, une force russo-ottomane prit les îles Ioniennes. Cette alliance trahit la faiblesse du monde musulman, dont la sécurité dépendait désormais d’une assistance étrangère. Cela étant, les coalitions entre la Sublime Porte et les Etats chrétiens ne constituaient pas une nouveauté. Au début du XVIe siècle, Istanbul avait prêté main-forte à François Ier, alors en conflit avec l’empereur Charles Quint, mais ces pactes prirent un caractère de plus en plus défensif au XVIIIe siècle.
Il s’agissait là d’un revirement de la politique française, qui eut des conséquences considérables dans la région. Jusqu’aux XVIe et XVIIe siècles, Paris avait été le plus ferme allié chrétien des Ottomans. Un ennemi commun, les Habsbourg, les unissait. Au XVIIIesiècle, leur alliance tenait au fait qu’ils percevaient la puissance russe comme une menace contre l’Europe telle qu’ils la concevaient. Vers les années 1780, la France se taillait la part du lion dans le négoce en Méditerranée orientale. Pour des raisons a la fois politiques et commerciales, elle était la puissance étrangère la plus influente dans l’Empire ottoman, auquel elle fournissait une assistance- militaire. D’autres parties Français étaient de plus en plus conscients du poids stratégique que constituait l’Egypte. D’ailleurs, en 1785, ils signèrent un accord avec les beys pour ouvrir la mer Rouge et le canal de Suez au commerce avec l’Inde. Les marchands de Marseille cherchèrent à exploiter cette nouvelle route.
En Italie, la guerre reprit en 1733 lorsque la France, l’Espagne et Victor-Amédée attaquèrent l’Autriche. Ce dernier convoitait Milan et Charles, le fils aîné de Philippe V, souhaitait s’emparer de Naples et de la Sicile. Les troupes françaises et sardes conquirent aisément Milan cet hiver-là. À Bitonto, dans le sud de la péninsule, lors d’une des batailles les plus décisives du siècle, les .forces espagnoles écrasèrent l’armée autrichienne en 1734. Cet affrontement fut suivi par la conquête espagnole du reste du royaume de Naples et de la Sicile. Les combats cessèrent en 1735. En 1738 fut signé le troisième traité de Vienne, qui accordait Naples à Charles et la Sicile et Milan aux Autrichiens. Les grandes puissances décidèrent du sort des principautés italiennes. La péninsule était supposée compenser les territoires gagnés ou perdus ailleurs. A la mort de Jean-Gaston, le dernier des Médicis régnants, en 1737, le beau-fils de l’empereur prit pied en Toscane en dédommagement de la Lorraine cédée au beau-père de Louis XV On ignora les suggestions concernant une indépendance de la Toscane.
Les tentatives des Autrichiens pour défier les Bourbons dans le sud de l’Italie lors de la guerre de succession autrichienne (1740-48) furent vaines. De même ne parvinrent-ils pas à reconquérir Gênes une fois qu’ils en eurent été chassés à la suite d’une révolte populaire en décembre 1746. Toutefois, la guerre prouva aussi la vulnérabilité des Etats italiens. Lorsqu’en 1742 Charles se préparait à attaquer les Autrichiens en Italie, il fut intimidé par les canons britanniques. Ce qui poussa Charles à déclarer sa neutralité lors de ce qui peut être considéré comme la démonstration de force navale la plus impressionnante du siècle.
Prompt à bouter les Autrichiens hors d’Italie, le ministre des Affaires étrangères français, le marquis d’Argenson, proposa que Charles-Emmanuel, souverain de Savoie, du Piémont et de Sardaigne, devienne roi de la Lombardie et chef d’une fédération italienne. Les arguments d’Argenson, selon lesquels les dirigeants italiens cherchaient à se libérer de la tyrannie abusive de l’Autriche et les Bourbons devaient exploiter cette situation, n’eurent aucun écho. Charles-Emmanuel décida de se rallier aux Autrichiens. Les Bourbons dominèrent le sud de l’Italie et les Habsbourg régnèrent dans le nord, tandis que Charles-Emmanuel s’ancra de plus en plus dans le Milanais. Les Habsbourg durent céder Parme et Plaisance au beau-fils de Louis XV, Don Philippe, créant ainsi une nouvelle principauté bourbonne en Italie.
Cet accord mit un terme à la question italienne et assura à la péninsule une certaine paix jusqu’au début des années 1790. Une fois leurs intérêts en Italie préservés, l’Autriche, la France et l’Espagne purent focaliser leur attention ailleurs. L’Autriche entra en conflit avec la Prusse puis s’opposa à l’Empire ottoman dans les années 1780. Paris et Madrid se lancèrent dans des batailles navales contre Londres. Les aspirations expansionnistes de la Sardaigne furent muselées par la nouvelle stabilité territoriale de l’Italie.
La France ne souhaitait pas soutenir les projets visant à réduire le territoire milanais et aucune puissance n’aurait encouragé les ambitions de l’île, qui voulait prendre pied dans le littoral ligurien génois. La poursuite de tels objectifs prouva que l’hypothèse selon laquelle Charles-Emmanuel pourrait faire figure de chef impartial d’une ligue italienne était erronée.
Vidéo : La Méditerranée, champ de bataille des puissances européennes : de 1700 à 1900
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