1930-1945 : les rivalités méditerranéennes
La colonisation était bien entendu censée s’accompagner d’une mission civilisatrice. Mais les conquêtes créèrent surtout quantité d’emplois et d’opportunités commerciales, sans parler de l’aura politique qu’elles assuraient aux grandes nations. L’idée d’apporter la civilisation européenne aux terres du sud de la Méditerranée fut particulièrement mise en avant par la France. Les Italiens transformèrent Tripoli en une grande cité moderne dotée de boulevards et d une cathédrale. Alger devint également une ville française. Bien que située aux portes de l’Afrique, c’est au nord de la Méditerranée qu’elle trouvait son inspiration sur le plan culturel et c’est avec lui qu’elle noua des liens économiques.
L’Algérie française était divisée en deux : le Sahara, vaste désert qui s’étendait vers le sud et rejoignait d’autres protectorats et possessions françaises en Afrique de l’Ouest ; et le littoral, qui avait vocation à être incorporé à la France métropolitaine. On observait une nette fracture entre les colons européens et la population locale, même si les juifs algériens bénéficiaient de la nationalité française. Alger fut dotée d’une université conçue sur le modèle parisien, qui contribua à la formation de maîtres éminents comme Fernand Braudel. Plus loin sur la côte, vers l’ouest, Oran devint l’une des villes principales de l’Algérie française où vivait une importante communauté espagnole. L’Espagne, quant à elle, ne conquit au cours de cette période que des territoires méditerranéens réduits. Néanmoins, Madrid conservait ses anciennes enclaves (Ceuta et Melilla) et étendit son influence à Tétouan et Tanger, prenant ainsi pied sur la côte marocaine, juste en face de Gibraltar, qui est encore de nos jours un territoire britannique.
Plus à l’est, la France soumit la Tunisie en 1883, profitant de la chute du pouvoir local après la désintégration de l’Empire ottoman. L’Italie avait des intérêts commerciaux importants dans le pays, où les juifs de Livourne étaient fort actifs. Le Maroc se révéla fort difficile à conquérir, malgré la volonté des Français de diviser pour régner avec les Espagnols, tout en maintenant le sultan au pouvoir. Au début du siècle, il fallut contrer la tentative des Allemands pour prendre pied sur la côte atlantique du Maroc, dont les principaux ports, à l’instar de Mogador, entretenaient des liens commerciaux étroits avec l’Angleterre grâce aux marchands juifs implantés à la fois à Londres et dans ses villes portuaires. L’énergie déployée pour édifier des empires coloniaux en Méditerranée permit à la France, à la Grande-Bretagne et à l’Italie d’y acquérir des territoires et d’accroître leur influence. Londres aspirait à mieux gérer son Empire, qui s’étendait bien au-delà du bassin méditerranéen. Paris partageait le même souci, auquel s’ajoutait le désir de faire des conquêtes hors d’Europe. Quant à Rome, elle s’essaya à bâtir un empire dont la vie serait d’autant plus courte qu’il se voulait grandiose.
les deux puissances fascistes de la méditerranée d’avant-guerre
Son intuition, qui le poussa à se désolidariser des puissances de l’Axe, prétextant l’épuisement de ses troupes au lendemain de la guerre civile, lui permit de se maintenir au pouvoir après 1945. Il accepta d’accueillir des bases aériennes américaines, puis amorça peu à peu une prudente libéralisation. Néanmoins, les temps étaient durs pour les Catalans, les Galiciens et les Basques. Leurs langues n’étaient plus enseignées à l’école. Les publications en catalan se firent de plus en plus rares. Beaucoup de travaux érudits portant sur l’histoire médiévale de la région furent pourtant publiés. Les grandes heures de la Catalogne pouvaient être célébrées impunément puisque cette période était révolue.
L’évocation de ce passé n’en était pas moins l’occasion de célébrer le sentiment nationaliste et des figures comme l’historien Fernan Soldevila acquirent une influence qui dépassait de beaucoup celle à laquelle les spécialistes du Moyen Age peuvent généralement prétendre. Le régime franquiste ne parvint pas non plus à éradiquer toute expression de la culture régionale : on continua à danser la sardane tous les samedis soir sur le parvis de la cathédrale de Barcelone.
S’il n’avait pas fait alliance avec l’Allemagne nazie et profité de la chute de Paris en 1940 pour s’emparer de Nice et se ménager une petite sphère d’influence dans le sud-est de la France, peut-être Mussolini aurait-il connu le même destin que Franco et réussi à préserver certains intérêts italiens en Méditerranée. Plusieurs sujets de discorde l’opposaient aux nazis : notamment l’intégration de l’Autriche dans le Reich et le sort réservé à la communauté germanophone de la région du Haut Adige, sous domination italienne depuis l’effondrement de l’Empire austro-hongrois à la fin de la Première Guerre mondiale. Ces questions créèrent une vive tension entre Berlin et Rome. Néanmoins la sévère rebuffade infligée par la Société des Nations à Mussolini, à la suite de l’attaque qu’il lança contre l’Abyssinie, acheva de convaincre le Duce que sa place n’était pas au côté des démocraties. Dès lors, il ne douta plus que l’avenir appartenait au fascisme et aux diverses formes de régimes autoritaires.
L’Espagne, la Grèce, la Roumanie ainsi que l’Allemagne et la Pologne avaient déjà succombé à cette idéologie perçue comme un rempart dressé contre l’extension du communisme soviétique, non moins autoritaire. Ainsi, en 1938, à la surprise de ses compatriotes, Mussolini fit appliquer une législation antisémite inspirée du modèle allemand. Il montrait par là sa volonté de se rapprocher du IIIe Reich.
Véritable champ de bataille
La Première Guerre mondiale avait affecté la Méditerranée_ en impliquant dans le conflit l’Empire ottoman en voie de désintégration. La Seconde eut un impact différent sur les pays limitrophes. Rome ne tira aucun profit de son pacte avec Hitler et l’armée italienne ne se distingua pas particulièrement lors des batailles qu’elle livra en Grèce, en Yougoslavie ou en Afrique du Nord. Par ailleurs, les officiers italiens s’étaient souvent montrés indulgents à l’égard des juifs et des autres minorités persécutées dans le Sud de la France et en Yougoslavie. Craignant une invasion alliée de la Sardaigne, les Italiens ne comprirent pas que les troupes alliées avaient pour véritable objectif la Sicile. Les généraux italiens discrédités déposèrent Mussolini et changèrent de camp en 1943.
Rome ne parvint pas non plus à prendre pied à Malte, vigoureusement défendue par les Britanniques contre un siège italo-allemand en 1940-1943. L’île connaissait son second grand siège et les fortifications érigées par La Valette quatre siècles plus tôt, à l’époque du blocus turc, firent office de ligne de front lorsque les alliés voulurent prendre le contrôle des routes maritimes et se frayer une route vers l’Inde et l’Extrême-Orient, où les possessions britanniques avaient été attaquées par l’armée impériale japonaise. Si les Allemands avaient réussi à écraser les soldats britanniques et ceux du Commonwealth massés à la frontière égyptienne, le cours de l’Histoire aurait été changé non seulement en Méditerranée mais dans le monde entier. Hitler rêvait de s’approprier les réserves pétrolières de l’Iran et son avancée jusqu’à Stalingrad n’était pas sans lien avec ses projets au Moyen-Orient. La victoire d’El Alamein (1942) sauva les intérêts britanniques dans la région. L’échec des Allemands en Palestine fut également déterminant. Le grand mufti, chef de la communauté musulmane, avait décidé de faire alliance avec Hitler dans l’espoir que celui-ci empêcherait l’immigration juive dans le pays, où se faisaient déjà sentir les tensions entre communautés juive et musulmane.
La victoire alliée et ses répercussions
Après leur débarquement en Sicile, les troupes alliées envahirent l’Italie. Leur progression, lente mais inexorable’, les mena jusqu’aux plaines lombardes où Mussolini avait instauré (après une évasion spectaculaire) la République de Salo, un Etat fantoche contrôlé par les Allemands. Leur triomphe ne fut pas uniquement celui des démocraties occidentales. En Yougoslavie, où la brutalité nazie avait révulsé la population serbe, les mouvements de résistance avaient été très actifs. Les Alliés décidèrent de soutenir les factions communistes plutôt que les chetniks conservateurs. Un État communiste vit le jour aux frontières de l’Italie et de l’Autriche. Son chef, Tito, vaniteux et rusé, voulut annexer l’Albanie et tenir tête à Staline. Le dirigeant yougoslave n’avait pas l’intention de devenir un jouet entre les mains de Moscou. La distance qui le séparait de l’URSS ‘lui permit de se montrer insensible aux sollicitations, puis aux pressions de Staline et d’édifier son propre régime autoritaire en réussissant à fédérer les Slovènes, les Croates, les Serbes et les Macédoniens. Ses origines métissées lui facilitèrent la tâche. A la faveur des préoccupations croissantes suscitées par la répression stalinienne en Occident, et en réponse à la diplomatie pratiquée par les successeurs de Staline, moins agressive en apparence mais tout aussi intransigeante, Tito tenta de nouer de bonnes relations avec le bloc occidental.
Une méditerranée soviétique
Vers le milieu des années 1950, Belgrade tenta de promouvoir une troisième voie affranchie des Etats-Unis et de leurs alliés de l’OTAN, mais aussi du bloc soviétique. Tito organisa des rencontres entre pays « non alignés », parmi lesquels figuraient aussi bien l’Inde que l’Egypte. Cette démarche permit du moins de préserver le régime yougoslave qui occupait une position délicate entre l’Union soviétique et l’Occident. Ravalant sa fierté, le dirigeant yougoslave avait conclu un arrangement avec l’Italie en lui concédant Trieste (après une brève période au cours de laquelle la ville reçut le statut de territoire libre de Trieste sous protection anglo-américaine). De même, il donna des garanties concernant la population italienne installée dans les villes des côtes d’Istrie, placée sous son autorité vigilante. Tito disparut en 1980. Au lendemain de sa mort, des rivalités féroces, jusque-là contenues, déchirèrent la Yougoslavie.
Grâce à l’aide chinoise, le pays connut un début d’industrialisation, notamment avec la construction des usines textiles Mao Tse-toung à Berat. Le clivage méditerranéen n’était plus d’ordre religieux — islam sur les rives sud et chrétienté au nord —, mais politique, le bloc de l’Est s’opposant au bloc de l’Ouest. Mais ni Belgrade ni Tirana n’étaient disposées à se plier aux desiderata des Russes en mettant à leur disposition leurs ports méditerranéens. Pour sa part, la Chine n’avait pas l’intention d’utiliser l’Albanie comme avant-poste militaire en Europe. Elle préféra faire du représentant albanais aux Nations unies son porte-parole jusqu’en 1971, date à laquelle la République populaire de Chine parvint à évincer la République de Chine (Taiwan). Après la mort de Mao, en 1976, Pékin découvrit que l’Albanie ne lui servait pas à grand-chose. Tirana sombra alors dans un isolement plus grand.
La décolonisation affecta gravement les Britanniques, qui voulaient garder sous contrôle certains territoires méditerranéens, mais elle ébranla davantage encore la France. Après quelques affrontements sanglants, les indépendantistes marocains purent réunir les zones qui avaient été sous domination française et espagnole (à l’exception de Ceuta et Melilla) et fonder un nouvel Etat, en 1956, avec à sa tête la vieille dynastie shérifienne. Dès 1954, le parti du Néo-Destour, dirigé par Habib Bourguiba, avait obtenu l’indépendance de la Tunisie. Ces deux protectorats français étaient relativement récents. Il en allait autrement de l’Algérie, liée à Paris depuis les années 1830 et officiellement incorporée à la France métropolitaine. Pour le gouvernement français, et plus encore pour l’armée et les colons, l’abandon de l’Algérie était ressenti comme une amputation. La guerre d’Algérie, qui dura de 1954 à 1962, vit les pires atrocités. Ses épisodes les plus cruels opposèrent l’OAS au FLN.
En 1958, le général de Gaulle prit le pouvoir avec le soutien de généraux qui ne voulaient pas renoncer à cette colonie. Mais, ayant mis en place les institutions d’une Ve République, il accepta, après avoir déjoué un complot militaire et organisé un référendum, de rendre à Alger son indépendance. Sous l’égide du président Boumedienne (de 1965 à 1978) naquit un Etat socialiste autoritaire qui se révéla incapable de résoudre les nombreux problèmes économiques du pays. Dans les années 1990, les tensions devinrent très vives d’une part entre le pouvoir et les opposants islamistes, d’autre part entre les Arabes et les Berbères. Depuis, on a assisté à de terribles massacres qui ont rappelé les pires heures de l’époque coloniale.
Au lendemain de l’indépendance algérienne, les pieds noirs, chrétiens et juifs d’Algérie, immigrèrent massivement en France, où ils s’établirent notamment à Marseille et Toulon. À cette première vague succéda une deuxième immigration, qui amena dans l’Hexagone des centaines de milliers d’Algériens musulmans (et aussi des Marocains et des Tunisiens). La population maghrébine du pays augmenta dans des proportions considérables au cours de ces dernières décennies. Les tensions entre la population de souche et les immigrés ne tardèrent pas à se manifester tant en France que dans la plupart des pays européens. Dans les années 1990, les candidats d’extrême droite aux élections, notamment ceux du Front national de Jean-Marie Le Pen, remportèrent un certain succès dans des villes comme Nice.
Leur popularité fut à son comble en 2002, lorsque Le Pen devint l’adversaire de Jacques Chirac au second tour de l’élection présidentielle. À force de dissensions internes, la gauche s’était désintégrée. Bien que Le Pen ait finalement été battu sans appel, sa capacité à aller aussi loin dans la course à la présidence a ébranlé la classe politique française. Cette évolution reflète les mutations démographiques en cours en Méditerranée. Aujourd’hui, chaque pays d’Europe occidentale compte une importante population musulmane, originaire pour l’essentiel des rives méridionales et orientales de la Méditerranée. Il y aurait en France près de cinq millions de musulmans, des Nord- Africains pour la plupart, tandis que l’Allemagne et les Pays-Bas accueillent surtout des Turcs et des Marocains.
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