La reconstituation de la géographie du passé ?
Comment reconstituer la géographie du passé ?
Même si le cadre général de la tectonique des plaques et des déplacements continentaux qu’elle explique est posé, la reconstitution des géographies qui se sont succédées, depuis des centaines de millions d’années, n’est évidemment pas une chose aisée et plus on s’éloigne dans le temps, plus les données deviennent fragmentaires ou difficiles à interpréter.
Il existe néamoins des techniques différentes, mais complémentaires, pour reconstituer ces géographies du passé et établir des cartes paléogéographiques qui correspondent aux diverses périodes de l’histoire de la Terre. Au niveau régional, il est important, pour une époque donnée, de connaître la distribution des terres et des mers dont on sait depuis longtemps qu’elle a beaucoup varié au cours du temps.
Il s’agit en fait de reconstituer d’anciennes lignes de rivage, souvent très différentes de ce qu’elles sont actuellement. Les méthodes classiques de la géologie interviennent ici, en permettant de déterminer dans quels genres de milieux se sont formés les divers types de roches. La paléontologie intervient aussi très directement, car nombre de fossiles sont de bons indicateurs: la découverte d’un coquillage marin implique évidemment un environnement différent de celui d’un squelette de mammifère terrestre.
En portant sur une carte de telles indications, on peut retracer, au moins dans ses grandes lignes, la répartition des différents milieux de sédimentation à une période donnée, et ainsi obtenir une carte paléogéographique régionale.
Un exemple simple est fourni par la géographie du sud-ouest de la France à la fin du Crétacé, il y a un peu plus de 65 millions d’années. Dans les falaises de la côte basque, près d’Hendaye par exemple, on peut observer des couches marneuses de cette époque qui, d’après leurs caractères sédimentologiques et les fossiles d’organismes marins qu’elles contiennent, se sont déposées dans une mer assez profonde. Si l’on se déplace vers l’intérieur des terres, c’est-à-dire vers l’est, on retrouve, dans les carrières ou autres affleurements où les roches sont mises au jour, des couches marines de la fin du Crétacé. A mesure que l’on se dirige vers l’est, ces dépôts se révèlent s’être déposés dans des milieux moins profonds. Lorsque l’on arrive au niveau de la vallée de la Garonne au sud de Toulouse, on découvre des dépôts lagunaires indiquant la proximité de l’ancien rivage, avec des alternances de dépôts marins et de dépôts d’eau douce.
Plus à l’est encore, en Ariège, puis dans l’Aude, les argiles et les grès correspondant à la fin du Crétacé ne contiennent plus de fossiles marins, mais des restes d’organismes terrestres, tels que des os ou des œufs de dinosaures. Ici s’étendaient donc des terres émergées, où les sédiments se déposaient dans des lacs ou des lits de rivières. On peut ainsi, à partir de ces données, reconstituer la configuration géographique de cette partie de la France quand les derniers dinosaures y vivaient. Un vaste golfe ouvert sur l’océan Atlantique s’étendait alors sur une grande partie de l’Aquitaine, se prolongeant jusqu’à la longitude actuelle de Toulouse. La côte ancienne se trouvait à ce niveau. Plus à l’est, c’était la terre ferme, qui s’étendait vers le sud en Espagne, vers l’est jusqu’à la Provence. Cette reconstitution des limites des terres et des mers, pour cette époque bien déterminée de la fin du Crétacé, permet de retracer avec une relative précision la géographie de cette partie de l’Europe et de constater que celle-ci était plus un archipel qu’un continent. La terre émergée où vivaient les dinosaures dont on trouve les restes dans le sud de la France était en fait une grande île, composée d’une bonne partie de la péninsule ibérique et de la France méridionale. D’autres îles existaient ailleurs à l’emplacement de l’Europe actuelle, par exemple au niveau de la Roumanie.
Il est évidemment indispensable, quand on veut étudier l’histoire de la Terre, de connaître les positions relatives des grandes unités géographiques continentales et océaniques au fil du temps. Pour cela, il faut reconstituer leurs déplacements et les méthodes géophysiques, notamment le paléomagnétisme, prennent alors toute leur importance. Comme on l’a vu, les fonds océaniques tiennent le rôle d’enregistreur magnétique et, en cartographiant les variations du pôle magnétique relevées sur les bandes alternées du fond des océans, on peut reconstituer leurs transformations, déterminer quand ils ont commencé à s’ouvrir et à s’élargir ou au contraire à se fermer et à se réduire. Depuis une quarantaine d’années, les campagnes océanographiques organisées dans ce but se sont multipliées et elles ont permis de mieux connaître l’histoire des océans.
Les avancées et régressions des espaces océaniques étant directement liées aux déplacements des continents, leur histoire est évidemment parallèle. Mais un sérieux problème se pose quand on remonte dans le temps, car, comme on l’a vu, les océans actuels sont jeunes, géologiquement parlant, bien plus jeunes que les continents. On ne connaît guère de fonds océaniques plus anciens que le début du Jurassique, il y a quelque 200 millions d’années (ce qui correspond à l’époque où le continent unique que l’on a appelé la Pangée commença à se fragmenter tandis que s’ouvraient les océans actuels). Pour des périodes plus anciennes, c’est-à-dire en fait pour la plus grande partie de l’histoire de la Terre, la reconstitution des paléogéographies est donc nettement plus difficile.
Il reste que les roches des continents ont elles aussi enregistré les champs magnétiques du passé, et que l’étude de ce paléomagnétisme peut renseigner sur les mouvements passés des masses continentales. Il est possible notamment de calculer la paléolatitude d’un point donné à une époque donnée du passé à partir du magnétisme d’une roche de son âge. Tout cela bien sûr n’est pas si simple : il faut que le magnétisme de l’époque ait bien été enregistré par certains des minéraux constituant la roche en question, et que ce magnétisme n’ait pas été modifié ultérieurement par quelque phénomène physique. Et il faut aussi, bien sûr, recueillir l’information, ce qui commence sur le terrain, lorsque le paléomagnéticien prélève les échantillons dûment orientés de roche, à l’aide d’une foreuse, pour se poursuivre au laboratoire où ces échantillons sont soumis à un traitement complexe permettant de mesurer leur magnétisme rémanent. C’est donc au terme d’un long processus que les paléopositions des continents peuvent être calculées, et les cartes correspondantes établies. Il est donc possible par ce biais de reconstituer les géographies disparues, même lorsqu’on remonte jusqu’aux périodes anciennes pour lesquelles les fonds océaniques ne nous donnent plus d’indications, pour l’ère Paléozoïque (540-245 m.a.) notamment. Mais, bien évidemment, la fiabilité des reconstitutions diminue à mesure que l’on recule dans le temps.
Les cartes paléogéographiques actuellement disponibles sont donc la synthèse d’un grand nombre de données issues des différentes disciplines des sciences de la Terre, qui se complètent pour fournir un tableau que l’on souhaite aussi cohérent que possible.
Cette cohérence n’est pas toujours simple à obtenir, et on bute parfois sur des contradictions entre les indications fournies par les différentes approches. Cela est particulièrement vrai lorsqu’on s’efforce d’intégrer les données paléontologiques concernant la répartition des êtres vivants du passé, aux données géologiques et géophysiques.