La paléobiogéographie et ses problèmes
La paléobiogéographie
Tant que l’on pensait que les continents et les océans avaient conservé à peu près les mêmes positions qu’aujourd’hui au cours des temps géologiques, les problèmes soulevés par les distributions passées des animaux et des végétaux étaient, croyait-on, résolus par la reconstitution de migrations, ou plutôt de dispersions d’une région à une autre.
Il y a, biologiquement parlant, une différence entre migration et dispersion. Migration veut dire déplacements périodiques de certaines espèces. Les plus facilement obervables sont bien sûr ceux des oiseaux migrateurs qui, à l’annonce de l’hiver, parcourent parfois des milliers de kilomètres pour aller dans des régions climatiquement plus hospitalières. Certains mammifères, comme les rennes du Canada par exemple, font de même. A la recherche de pâturages, ils émigrent vers le nord au début de l’été, puis vers le sud à l’approche de l’hiver. Mais des migrations de ce type ne modifient pas l’aire de distribution des espèces concernées, puisqu’elles ramènent cycliquement ces animaux dans les mêmes contrées au gré des saisons.
Les phénomènes de dispersion
Sont d’une autre nature, car ils ont pour résultat un changement de l’aire de distribution des espèces. Ils concernent aussi bien les plantes que les animaux, même si les premières paraissent, sur de courtes durées, moins « mobiles » que les seconds. Si les plantes adultes ne se déplacent guère, il n’en est pas de même de leurs organes reproducteurs tels que spores, grains de pollen et graines, qui sont susceptibles d’être transportés sur de longues distances par le vent ou des animaux migrateurs.
Par ailleurs, depuis des siècles, l’intervention des hommes a grandement influé sur la répartition de nombreux animaux et plantes par l’introduction d’espèces dans des contrées où elles étaient totalement inconnues auparavant avec des résultats parfois plus que contestables. L’introduction du lapin en Australie est un exemple connu d’une telle transplantation. Mais avant que les hommes ne se mêlent de faire voyager les espèces animales et végétales, celles-ci se déplaçaient déjà à la surface du globe de façon tout à fait naturelle et des populations en expansion colonisaient de nouvelles contrées dont l’environnement leur était favorable.
On a longtemps cru que les espèces se déplaçaient sur un fond géographique fixe. Mais les découvertes de la géologie moderne montrent clairement que les positions
des continents et des océans ne sont pas plus fixées que les distributions des plantes et des animaux. Pour une espèce animale ou végétale, il y a en fait deux façons de se déplacer à travers le monde : soit de façon active, par dispersion, soit de façon passive, « portée » en quelque sorte par une plaque lithosphérique en mouvement (il ne s’agit pas nécessairement d’un continent, nous avons vu que les fonds océaniques aussi sont mobiles). La conjonction de ces deux phénomènes ne fait évidemment que compliquer les choses pour le paléontologue cherchant à reconstituer l’histoire paléobiogéographique d’un groupe d’organismes, car il doit démêler ce qui a été dispersion active de ce qui a été transport passif par les mouvements de l’écorce terrestre.
Quelques exemples peuvent illustrer ces différents modes de « voyage » des organismes vivants à la surface du globe.
Un premier cas est celui dans lequel la division d’un bloc continental unique en deux continents distincts a entraîné la séparation des populations animales et végétales qui habitaient la masse initiale. L’ouverture de l’océan Atlantique Sud, durant le Crétacé inférieur ( 135- 96 m.a.) est un exemple probant. Vers la fin du Jurassique, il y a quelque 140 millions d’années, cet océan n’existait pas encore. L’Atlantique central avait commencé à s’ouvrir, séparant le nord de l’Afrique de l’Amérique du Nord. Plus au sud, cependant, l’Amérique du Sud et l’Afrique restaient accolées, formant une masse continentale unique.
C’est au cours du Crétacé inférieur que l’Atlantique Sud s’ouvrit, à partir du sud, un peu à la manière d’une « fermeture éclair », écartant progressivement ce qui allait devenir l’Afrique de ce qui serait l’Amérique du Sud.
L’étude de la répartition des fossiles
Il peut servir à mesurer (avec une précision modérée il est vrai) le degré de connexion dans le temps de continents se rapprochant ou s’écartant l’un de l’autre et les découvertes paléontologiques témoignent qu’une faune unique existait sur ce grand continent afroaméricain. Dans des couches géologiques de même âge, datant d’environ 110 millions d’années, en Amérique du Sud et en Afrique, on trouve des restes d’animaux très similaires, voire identiques. Les régions où on les découvre sont pourtant aujourd’hui bien différentes : les étendues extrêmement arides du désert du Ténéré, au Niger, d’une part, la végétation luxuriante du bassin de Bahia, ou la brousse plus sèche du nord-est, au Brésil, d’autre part. Au Crétacé inférieur, par contre, les conditions de milieu devaient être beaucoup plus proches,
car les mêmes animaux peuplaient toutes ces régions. Cela est net par exemple pour les crocodiles. Tant au Niger qu’au Brésil, on a découvert les restes d’un gigantesque crocodilien aux longues mâchoires, nommé Sarcosuchus, qui atteignait onze mètres’ de long et habitait les grands fleuves du continent afro-sud-américain. On y a aussi trouvé un crocodile bien différent, beaucoup plus petit (pas plus d’un mètre de long), et aux mœurs sans doute principalement terrestres, qui a reçu le nom d’Araripesuchus. Pour ces animaux, il n’existait pas d’obstacle infranchissable entre l’Afrique et l’Amérique du Sud, car l’Atlantique Sud ne les séparait pas encore.
On retrouve cette même répartition géographique pour des poissons d’eau douce, des tortues, et aussi des dinosaures du groupe bien particulier des spinosaures, aux dents ressemblant à celles des crocodiles. Cette faune commune aux deux continents, qui n’en faisaient alors qu’un, ne devait pas persister très longtemps car les forces de la tectonique des plaques écartaient inexorablement l’Afrique de l’Amérique du Sud, avec d’abord un fossé d’effondrement ressemblant à l’actuel rift estafricain, puis un étroit bras de mer similaire à l’actuelle mer Rouge. Avec l’établissement d’une réelle barrière géographique entre les deux nouveaux continents, leurs faunes et leurs flores, séparées, évoluèrent indépendamment et de façon divergente.
les couches géologiques
Dans les couches géologiques du Crétacé supérieur (96-65 M.A.), en Afrique comme en Amérique du Sud, on trouve des fossiles qui montrent encore des similitudes, mais elles diminuent à mesure qu’on se rapproche de l’époque actuelle. De nos jours, il existe encore des ressemblances entre les faune de l’Amérique du Sud et de l’Afrique mais elles sont très restreintes.
Tandis que les faunes continentales sud américaine et africaine se différenciaient de plus en plus à mesure que les continents qu’elles habitaient s’éloignaient l’un de l’autre, l’inverse se passait pour les habitants des mers qui trouvaient des voies de communication nouvelles lorsque des océans s’ouvraient. Quand on étudie les ammonites, ces céphalopodes à la coquille spiralée si fréquents dans les mers du Mésozoïque, on constate que ces animaux sont différents au sud et au nord du continent unissant l’Afrique et l’Amérique du Sud au tout début du Crétacé, mais que la situation change à la fin du Crétacé inférieur, lorsqu’un bras de mer continu s’établit entre les deux continents et que les animaux marins peuvent y circuler.
En combinant les informations fournies par les organismes terrestres et marins, on parvient ainsi à préciser les dates d’ouverture des océans, et de séparation simultanée des continents ce qui permet de confronter les données paléontologiques à celles obtenues par la géologie et la géophysique. Cette confrontation débouche à l’occasion sur des contradictions.
Un exemple différent de la séparation entre l’Afrique et l’Amérique du Sud au cours du Crétacé inférieur est celui de la collision du sous-continent indien avec l’Asie.
Au Trias (245-205 m.a.), au temps de la Pangée, l’Indetait liée aux autres continents du sud, insérée quelque part entre l’Afrique, l’Antarctique et l’Australie. Lors de la dislocation de la Pangée, à partir du début du Jurassique, elle commença une longue dérive vers le nord, qui devait l’amener à entrer en collision avec l’Eurasie, et à former ainsi la chaîne himalayenne et, en arrière d’elle, le plateau du Tibet. Mais une telle histoire est marquée dans celle des habitants de ce «radeau indien ». Au Trias, avant que ne commence la dislocation de la Pangée, l’Inde avait une faune similaire à celle d’autres régions du globe. On y trouvait par exemple des dinosaures prosauropodes peu différents de ceux qui vivaient à la même époque en Europe ou en Amérique du Sud. Ensuite l’Inde fut une partie du Gondwana, le «supercontinent» austral qui comprenait aussi l’Amérique du Sud, l’Afrique, Madagascar, l’Antarctique et l’Australie.
Au cours du Crétacé, l’Inde se sépara de l’Afrique, puis de Madagascar, mais, alors même qu’elle poursuivait sa dérive vers l’Asie, sa faune conserva longtemps un
cachet « gondwanien ». Cela est confirmé par l’examen de la faune fossile trouvée dans les sédiments du Crétacé terminal du centre de l’Inde. Les dinosaures herbivores les plus abondants y sont des sauropodes de la famille des titanosauridés, qui dominaient à la même époque les aunes sud-américaine et malgache. Les grands dinosaures carnivores étaient des abelisauridés, comme en Amérique du Sud et à Madagascar. En revanche, des groupes de dinosaures très répandus à la même époque en Asie centrale, comme les tyrannosaures et les hadrosaures, font totalement défaut dans le Crétacé supérieur de l’Inde.