Le paléocène
Avec une séparation de plus en plus accentuée des différentes masses continentales, associée aux variations du niveau des mers, le paléocène voit la poursuite de l’évolution paléogéographique constatée au Crétacé.
Cette séparation croissante est spécialement marquée en ce qui concerne les continents du sud, issus du Gondwana.
L’Amérique du Sud est séparée de l’Amérique du Nord. Elle le restera pendant la plus grande partie du Tertiaire, mais elle conserve une liaison avec l’Antarctique.
L’Afrique, séparée de l’Amérique du Sud par l’Atlantique Sud, de l’Inde par l’océan Indien et de l’Europe par la Téthys, est elle aussi largement isolée.
L’Australie est en cours d’isolement.
Bien que fondée sur des données géologiques, la position de l’Inde est discutée car les découvertes paléontologiques suggèrent qu’une liaison terrestre avec l’Asie était établie dès la limite Crétacé-Tertiaire. Par ailleurs, les connexions entre les régions laurasiatiques sont accrues du fait du retrait de certaines mers épicontinentales (comme par exemple celle qui occupait au Crétacé supérieur le centre de l’Amérique du Nord).
L’isolement de l’Europe a pris fin avec l’établissement de connexions tant avec l’Amérique du Nord qu’avec l’Asie.
Ces évolutions paléogéographiques du paléocène coïncident avec la phase de « récupération » des flores et des faunes qui fait suite à la grande extinction de la limite Crétacé-Tertiaire.
Le développement et la diversification des mammifères, en particulier après la disparition des dinosaures, seront fortement influencés par la géographie du début du Cénozoïque et notamment l’isolement plus ou moins complet de certains continents.
L’Afrique
Les informations recueillies dans les très rares gisements de vertébrés connus dans le paléocène d’Afrique (principalement au Maroc) suggèrent l’existence de dispersions limitées de mammifères à travers la Téthys au tout début du Tertiaire. Ensuite, l’évolution des mammifères africains se fait dans un certain isolement pendant une longue période. Elle donne naissance à des groupes très particuliers, tels que les proboscidiens (représentés actuellement par les éléphants). La présence de ces animaux en Afrique, dès le paléocène, est attestée par des restes fossiles découverts dans les phosphates thanétiens (paléocène supérieur) du Maroc. Ces phosphates se sont formés dans des golfes de la côte nord-africaine où la productivité organique était très élevée. Us sont actuellement exploités de façon intensive pour la production d’engrais et d’innombrables restes de vertébrés ont été mis au jour à la faveur de ces exploitations. Les fossiles les plus abondants sont ceux d’organismes marins tels que poissons, tortues et crocodiles. La découverte de restes de mammifères terrestres dans les phosphates du Maroc par des paléontologues est très récente. Les premiers avaient été trouvés chez des marchands de fossiles. C’est le cas notamment de Phosphatherium escuilliei, le plus ancien proboscidien connu, parent lointain des éléphants actuels, dont la présence dans ces phosphates thanétiens confirme l’origine très probablement africaine du groupe.
Auprès de Phosphatherium et de quelques rares autres mammifères terrestres, les phosphates nord-africains livrent en abondance des restes de vertébrés littoraux, tels que des crocodiliens de la famille des dyrosauridés que l’on retrouve plus loin vers l’est, sur la rive sud de la Téthys, en Arabie par exemple, qui n’était pas encore séparée de l’Afrique par la mer Rouge.
L’Amérique du sud et l’antarctique
Au début du Tertiaire, le continent sud-américain entre dans une période d’isolement géographique qui durera plusieurs dizaines de millions d’années, jusqu’à l’établissement de l’isthme de Panama à la fin du Miocène.
Dans ces conditions, la faune continentale sud-américaine va évoluer de façon indépendante de celle des autres continents et donner naissance à des animaux ressemblant par convergence évolutive à ceux d’autres parties du monde, bien qu’ils ne soient pas étroitement apparentés. Les débuts de cette évolution indépendante nous sont révélés par les gisements de vertébrés de Rio Chico en Argentine, d’Itaborai au Brésil et deTiupampa en Bolivie.
La faune endémique de l’Amérique du Sud est caractérisée au Tertiaire par le développement de marsupiaux carnivores, de placentaires ongulés très particuliers (les notongulés et les litopternes), d’édentés apparentés aux tatous, fourmiliers et paresseux actuels. A côté de ces mammifères bien particuliers, on trouve aussi des crocodiliens terrestres (les sebecidés) et de grands oiseaux incapables de voler, dont les ancêtres du nandou actuel ainsi que des formes carnivores aujourd’hui éteintes, les phorusracidés.
Au début du paléocène, l’Antarctique n’est pas couvert de glace et conserve des connexions avec l’Amérique du Sud, d’où des ressemblances constatées dans les rares vertébrés de cette période connus sur ce continent.
Les dernières relations fauniques entre l’Antarctique et l’Australie semblent remonter au début du Tertiaire. Après cela, et jusqu’à une date géologiquement très récente, l’évolution de la faune australienne se fit dans l’isolement.
La laurasie
Avec le retrait de certaines mers épicontinentales présentes au Crétacé supérieur lors de périodes de haut niveau marin, et compte tenu de l’ouverture encore incomplète de l’Atlantique Nord, l’ensemble laurasiatique présente au début du Tertiaire des faunes relativement semblables de l’Asie à l’Europe et à l’Amérique du Nord. Cela illustre notamment le début de la radiation évolutive, ou diversification d’un groupe en expansion vers de nouvelles niches écologiques, des mammifères placentaires après la totale disparition des dinosaures à la limite Crétacé-Tertiaire. Les gisements les plus riches sont ceux de l’Ouest américain, où la région des Montagnes Rocheuses a livré une succession d’animaux terrestres paléocènes couvrant l’ensemble de cette période.
En Asie, des gisements chinois et mongols présentent aussi une image intéressante des débuts de l’histoire des mammifères tertiaires. Les données européennes sont plus lacunaires car, dans cette partie du monde, les dépôts marins l’emportent nettement sur les dépôts continentaux. Il n’y existe pas moins des gisements importants de mammifères et autres vertébrés terrestres, tels ceux de Mons en Belgique et surtout ceux du Thanétien (paléocène supérieur) de Cernay et autres localités des environs de Reims, découverts dès le xixe siècle par le médecin rémois Victor Lemoine.
Certains des groupes présents en Laurasie au paléocène sont des mammifères nonplacentaires constituant des reliques de formes mésozoïques, comme les multiberculés, tel Ptilodus dont la denture imite dans une certaine mesure celle des rongeurs. A côté de ces survivants, qui s’éteindront assez rapidement durant le Tertiaire, figurent aussi des représentants primitifs et encore peu différenciés de divers groupes de placentaires qui joueront un rôle croissant dans la faune tertiaire. Les plésiadapiformes, par exemple, sont considérés comme des animaux proches de l’origine des primates, ou apparentés aux « lémurs volants » actuels (les galéopithèques) de l’Asie du Sud-Est. Des ongulés et des carnivores primitifs sont également présents, annonçant le début de la radiation évolutive des mammifères modernes, qui se déroulera durant les époques suivantes. L’Inde, après sa séparation du reste du Gondwana et sa dérive vers le nord, a commencé, vers la limite Crétacé-Tertiaire, à recevoir des immigrants venus de Laurasie. A partir de cette période, son histoire biogéographique est donc liée à celle de la Laurasie plutôt qu’à celle du Gondwana.