L’impérialisme : théorisation et parcours historique
Si, dans les deux premières décennies du xxe siècle, les tenants de l’expansion coloniale utilisent couramment le terme « impérialisme », fait positif selon eux, ils sont plus intéressés par les pratiques coloniales, les questions de gestion et d’administration que par une théorie de l’impérialisme. Les « sciences coloniales » ont avant tout une visée pratique.
La seule exception notoire est le grand homme d’État britannique, Joseph Chamberlain, mais il agit plus pour la consolidation de l’acquis, l’Empire britannique, que pour son expansion. Il veut en faire un ensemble unifié et cohérent fondé sur un système d’échanges préférentiels et la taxation des produits importés. La puissance économique de la Grande- Bretagne serait ainsi maintenue, ce qui permettrait une politique vigoureuse de réformes sociales allant dans le sens de 1’État providence (extension de la scolarité, création d’un système de retraites sociales, prêts aux ouvriers leur permettant de faire l’acquisition de leurs logements, réduction du temps de travail, indemnisation des accidents du travail). L’impérialisme serait ainsi non seulement un dérivatif à la lutte des classes mais aussi un moyen de l’atténuer, voire de la faire disparaître.
Il n’en reste pas moins qu’un Jules Ferry en France ou un Joseph Chamberlain en Grande-Bretagne ont une perspective plus pragmatique que théorique, et que les universitaires et publicistes qui appartiennent aux mêmes courants ne vont pas au-delà du constat de l’expansion territoriale et de la définition des politiques à suivre. Ils partagent tous le sentiment d’une irrésistible marche de l’histoire consacrant la domination européenne sur le reste du monde. Pour trouver une interprétation théorique, c’est donc aux adversaires de l’impérialisme qu’il faut s’adresser. D’une certaine manière, ce sont eux qui ont tenté d’en construire l’idée.
Marx
Passé 1830, les hommes politiques européens célèbrent les victoires et annoncent la conquête inexorable de l’Ancien Monde, destiné à succomber devant la supériorité irréversible de l’Europe. Au milieu du XIXe siècle, l’idée d’une mondialisation conquérante apparaît clairement, mais le mot « impérialisme » n’est pas utilisé.
Il est ainsi absent de l’œuvre de Karl Marx, bien que ce dernier aborde de façon très fragmentaire la question de l’expansion coloniale de l’Europe. Il considère notamment que les sociétés non européennes sont restées au stade du despotisme oriental, appelé plus tardivement « mode de production asiatique », qui ne connaît pas la propriété privée, contrairement au mode de production esclavagiste de l’Antiquité classique. Comme la plus grande partie de ses contemporains, Marx juge que les sociétés orientales sont incapables de se moderniser par elles-mêmes. Il est nécessaire qu’elles s’européanisent pour entrer dans le mouvement de l’histoire.
Il fait pratiquement une apologie de la destruction créatrice du capitalisme qui met fin à la stagnation orientale en forçant ces sociétés à se régénérer par leur entrée dans le marché mondial des échanges que l’Europe est en train de construire. Il aborde le sujet dans ses articles de juin 1853 sur l’Inde1: Les effets dévastateurs de l’industrie anglaise, lorsqu’on les contemple en ce qui concerne l’Inde, un pays aussi vaste que l’Europe, sont tangibles et consternants. Mais il ne faut point oublier que ce ne sont que les résultats organiques du système de production dans son ensemble, tel qu’il est constitué… La période bourgeoise de l’histoire doit créer la base matérielle du monde nouveau : d’une part, les échanges universels fondés sur la dépendance mutuelle de l’humanité, et les moyens de ces échanges ; d’autre part, le développement des forces productives de l’homme et la transformation de la production matérielle en une domination scientifique des forces naturelles… Lorsqu’une grande révolution sociale aura maîtrisé les résultats de l’époque bourgeoise, le marché mondial et les forces productives modernes, et les aura soumis au contrôle commun des peuples les plus avancés, alors seulement le progrès humain cessera de ressembler à cette hideuse idole païenne qui ne voulait boire le nectar que dans les crânes des morts.
En tant que révolutionnaire, le théoricien est néanmoins sensible à la possibilité que les soulèvements anticoloniaux puissent donner le signal de la révolution en Europe, en provoquant une crise industrielle.
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