L’offensive musulmane et la reconquête impériale : de 560 à 750
Initiée par le roi Alboin, l’invasion de l’Italie par les Lombards en 568 résulta des incursions que leur infligeaient les Avars depuis le milieu du VIe siècle. La population d’Aquilée, dans le nord-est, prit la fuite avant même que les Lombards eussent atteint les îles des lagunes. Les villes intérieures du nord tombèrent rapidement et seuls les bastions côtiers qui pouvaient être approvisionnés par la mer restèrent à l’Empire. Pavie fut prise trois ans plus tard. En 571, les Lombards s’établirent dans le sud de l’Italie et créèrent un duché autour de Bénévent. En sept ans, ils s’emparèrent de la quasi-totalité de la péninsule. La présence byzantine se confinait dès lors à l’exarchat de Ravenne, aux territoires allant du sud-ouest jusqu’à Rome, aux Pouilles et à la Calabre.
Au cours des deux siècles suivants, l’Empire se désagrégea progressivement. La papauté prit possession de Rome durant la première moitié du VIIIe siècle. Ravenne succomba en 751 et. au début du IXe siècle, les Byzantins durent se contenter du sud des Pouilles et de la Calabre, que les Lombards ne tentèrent pas d’envahir. Bien qu’ils eussent bouleversé de fond en comble l’Italie, ces derniers ne surent pas, contrairement aux Vandales, occuper la façade maritime, si bien que l’Empire resta maître des eaux méditerranéennes. Les frictions avec Byzance persistèrent et en 626, après avoir conclu une alliance sans précédent, Avars et Perses tentèrent, en vain, d’assiéger Constantinople. L’année suivante, l’empereur Héraclius mena l’armée byzantine en Perse où elle remporta une victoire décisive près de Nineveh, sonnant le glas de l’empire perse sassanide. A Constantinople, on eut le sentiment que le monde avait été remis sur la bonne voie. L’Orient était sécurisé. Byzance contrôlait de nouveau la mer.
Les Wisigoths, les Francs, les Lombards étaient pour la plupart confinés à l’intérieur des terres et ne constituaient pas une grande menace. L’empereur aurait pu espérer un règne long et paisible mais il n’en fut rien : neuf ans plus tard, en 636, des adeptes de l’islam, religion à peine éclose, décimèrent l’armée impériale lors de la bataille de Yarmouk, en Transjordanie. A partir de 640-642, les musulmans occupaient la Syrie, la Palestine et l’Egypte. Dès lors, ils ébranlèrent définitivement l’unité religieuse du monde méditerranéen. Les offensives des Vandales ariens, des Wisigoths et des Ostrogoths allaient apparaître dérisoires, comparées à l’invasion musulmane.
les offensives musulmanes
Ayant gardé le contrôle de la mer, les Byzantins pouvaient attaquer à leur guise. En 645-646, ils occupèrent de nouveau Alexandrie et provoquèrent une révolte en Egypte. Les musulmans érigèrent alors des tours de guet et des postes d’observation le long des côtes. En Syrie et en Egypte, les gouverneurs firent appel aux chrétiens pour constituer une marine. La construction de l’arsenal commença sur l’île de Rawdah sur le Nil, en face de Fostat. La première attaque, en 649, frappa Chypre et obligea ses habitants à signer un pacte de neutralité. La Crète, Rhodes et la Sicile subirent des raids entre 652 et 654 et Chypre fut de nouveau attaquée en 653. En 655, la Méditerranée commença à échapper à l’Empire. Une armada islamique bouta hors de Lycie une importante flotte byzantine et l’empereur Constant II eut de la chance d’en sortir sain et sauf. A compter de cette bataille dite « des mâts », les attaques arabes visèrent la Méditerranée centrale. Basée à Samos, la flotte byzantine de Karabisianoi fut probablement créée suite à cette débâcle pour constituer une ligne de front défensive.
A partir de 673, Rhodes fut occupée pendant sept ans. Chypre fut investie vers 670, probablement pour préparer le grand assaut visant Constantinople. Le raid commença en 671-672, lorsque deux flottes pénétrèrent la mer Egée puis mirent le cap sur Smyrne avant de s’établir en Cilicie et en Lycie. En 672 débuta le siège qui se prolongea sept ans. Pendant cette période, les troupes musulmanes se retiraient à Kyzikos (Crète’ et à Rhodes en hiver, puis repartaient à l’attaque au printemps. Ce sont des « feux grégeois » lancés depuis les proues des dromons qui permirent d’éloigner les flottes musulmanes et de mettre fin au siège. Pendant leur retraite, l’orage se chargea de détruire les derniers vaisseaux. Une trêve de trente ans, prévoyant l’évacuation de Chypre et de Rhodes, fut conclue.
Jusqu’à la fin du siècle. f Afrique du Nord fut au cœur des événements. Dès 665, une expédition prit la direction de la province romaine d’Ifriqiya. Elle se solda par la défaite des forces byzantines. En 669, les musulmans tentèrent un nouvel assaut et établirent une base avancée à Kairouan, depuis laquelle ils attaquèrent les tribus berbères de l’intérieur. Toutefois, en 681, ils surestimèrent leurs forces et se hasardèrent dans une longue incursion visant la côte atlantique. L’armada byzantine les mit en échec et leur chef fut vaincu et tué près de Tahuda, en Algérie, par une coalition réunissant les tribus berbères et l’Empire. Berbères et Byzantins prirent alors Kairouan, obligeant les musulmans à se retirer à la frontière égyptienne. En 693, une armée colossale, commandée par Flassan ibn al-Nu’man al-Ghassani, réussit à s’emparer de Carthage.
Une mystérieuse reine kabyle, prénommée al-Kahira, orchestra un soulèvement berbère. Dans le même temps, Carthage subissait deux attaques combinées sur mer et sur terre de la part des Byzantins. Mais ni l’une ni l’autre n’eut les effets escomptés. Dès lors, Byzance renonça définitivement à l’Afrique. Le port de Carthage s’étant révélé trop vulnérable aux attaques maritimes, Tunis devint la nouvelle capitale et fut dotée d’un arsenal. Pour peupler la ville, le gouverneur d’Egypte envoya mille hommes chargés de construire une flotte de cent vaisseaux de guerre. Pendant son mandat, le gouverneur Moussa ibn Noussayr les utilisera pour conquérir, à partir de 704, le Maghreb, la Sicile, la Sardaigne et les Baléares) en maintenant les Byzantins à distance de leurs derniers bastions dans le bassin occidental de la Méditerranée.
Moussa participa également à l’invasion de l’Espagne dont certaines circonstances demeurent obscures. Pour une raison que nous ignorons, Tariq ibn Ziyad, gouverneur de Tanger, aurait expédié quatre vaisseaux, fournis par le comte Julian, gouverneur byzantin de Ceuta, dans le but d’explorer le détroit en 710. L’année suivant cette première traversée, Tariq décida d’entreprendre un deuxième voyage à bord de la flotte vraisemblablement offerte par Julian. En avril 711, il accosta près d’une montagne qui depuis porte son nom, Gibraltar, de l’arabe Jabal Tariq. Le roi wisigoth Rodéric, occupé à mater les rebelles dans le nord-est, revint alors dans le sud, ralliant sur son passage toutes les forces wisigothes disponibles. Les deux armées se rencontrèrent à proximité du Guadalete. Rodéric succomba au cours de la bataille et son royaume disparut en même temps que lui. En juin ou juillet 712, fort d’une nouvelle armée, Moussa ibn Noussayr débarqua à Algésiras.
Tariq le retrouva aux abords de Tolède et ils entreprirent ensemble la conquête de la péninsule. Ils ne purent imposer d’emblée leur autorité et faillirent renoncer. Toutefois, en 718, ils parvinrent à asseoir leur pouvoir sur tout le territoire, à l’exception des Asturies, région montagneuse du nord-ouest, où un dignitaire wisigoth nommé Pelage fomenta une révolte. La défaite qu’il infligea aux troupes islamiques à proximité de Covagonda devait rester dans les annales. Plus tard, il y fut assiégé mais défia l’ennemi et l’obligea à se retirer. La petite poignée d’hommes et de femmes qui survécut à cet assaut constitua une enclave chrétienne dans les Asturies.
Forts de leurs supériorité technique
À maints égards, on peut considérer que la conquête de l’Espagne fut relativement pacifique. Très minoritaires, les musulmans se contentèrent de se concilier la noblesse wisigothe. En 713, Abd al-Aziz ibn Moussa et le duc Théodemir signèrent un accord : en contrepartie de la soumission de ce dernier, lui-même, ses seigneurs et les habitants de ses sept villes gardaient leurs propriétés et le droit de pratiquer leur religion moyennant le versement d’un tribut annuel, la jizyab En revanche, le sang coula ailleurs. A Narbonne, avant de transformer la ville en camp militaire, les musulmans massacrèrent tous les hommes et réduisirent en esclavage les femmes et les enfants. Les gouverneurs successifs tentèrent non seulement de briser la résistance chrétienne dans les montagnes du nord mais aussi de traverser les Pyrénées.
Leurs expéditions les menèrent jusqu’à Nîmes 716 . Autun (721′ et Sens (726). Le plus célèbre de ces gouverneurs, Abd al-Rahman al-Ghafiqi. en rapporta un riche butin. Toutefois, il ne sortit pas vivant de la bataille de Tours qui l’opposa à Charles Martel en 732. Cette défaite n’empêcha pas les campagnes transpyrénéennes de reprendre dès 737. La Septimanie gothique réserva un accueil favorable aux musulmans qui, aux yeux de l’aristocratie locale, constituaient un contre-pouvoir aux Francs. Mais une révolte berbère éclata dans le Maghreb et tâche d’huile dans l’al-Andalous, le nom arabe donné à l’Espagne, compromettant cette dernière avancée.
Lorsque les musulmans tentèrent à nouveau d’assiéger Constantinople, l’Empire byzantin était dans une mauvaise passe. Les préparatifs d’al-Walid incitèrent Anastase II à l’imiter. Il ordonna à ceux qui ne disposaient pas de réserves suffisantes pour tenir trois ans de quitter la ville. Une expédition navale préventive se chargea de détruire la flotte islamique. Lorsque les armées arabes donnèrent l’assaut en 717, le trône fut pris par le stratèges d’Antolikon, qui devint empereur sous le nom de Léon III. Sous le commandement du frère du calife, une armada s’avança vers Constantinople. Pour la première fois de l’histoire, l’entrée de la Corne d’Or était fermée par une chaîne en fer. De nombreux navires furent détruits par les feux grégeois. En outre, le froid, la famine, la désertion des renforts chrétiens égyptiens et les attaques des troupes de Tervel, khan des Bulgares (avec qui Léon III avait passé une alliance), obligèrent les musulmans à lever le siège en août 718.
En 725, Léon III ordonna que l’on ôte le Christ qui ornait le vestibule du Grand Palais de Constantinople. Cette décision provoqua la querelle iconoclaste qui eut raison de l’Empire. En 727, les flottes de l’Hellade et des Cyclades se rebellèrent, mais furent détruites par les troupes impériales. Lorsque les fonctionnaires de l’Empire tentèrent de proscrire le culte des images en Italie, des révoltes éclatèrent et le roi lombard Liutprand s’empara de Luni et de la Corse. Une expédition navale censée restaurer l’ordre fit naufrage dans l’Adriatique en 730. En 735, le pape Grégoire III et les Lombards expulsèrent les Byzantins de Ravenne mais la papauté se fâcha rapidement avec ses alliés. Si bien qu’en 742 Venise et le pape Zacharie rendirent Ravenne à Byzance. Les troubles persistèrent jusqu’à la condamnation de l’iconoclasme en 787 par le second concile de Nicée. Bien qu’il refît surface au IXe siècle, entre 813 et 843, sa résurgence provoqua moins de dégâts.
En 693, Chypre tomba aux mains des mahométans qui y établirent une garnison. L’année suivante, l’île passa aux Byzantins puis de nouveau aux musulmans en 695. Violant le pacte préalablement conclu, les Chypriotes aidèrent à maintes reprises l’Empire, obligeant les musulmans à renforcer constamment leur suzeraineté. La Crète essuya également une offensive vers 713. En 703, une flotte égyptienne attaqua la Sicile à la demande du gouverneur d’Ifriqiya, Moussa ibn Noussayr. L’île fit l’objet d’offensives quasi incessantes pendant les cinquante années qui suivirent. La Sardaigne fut également touchée (708 et 711) ainsi que les îles Baléares (708). Les Byzantins répliquèrent en attaquant l’Egypte et en capturant le commandant de la flotte en 709. Ils lancèrent une série d’incursions visant les villes des côtes égyptiennes et syriennes. La riposte prit la forme d’interminables attaques terrestres. Du fait de la réaction byzantine et de problèmes internes au monde islamique, l’expansion musulmane cessa vers 750. Lors des cinquante années suivantes, l’Empire disposa de la quasi-totalité des forces navales présentes en Méditerranée. Pendant un demi-siècle, les guerres avaient transformé cette mer en un no man’s land.
Le chaos se stabilise : de 750 à 875
Jusqu’en 750, l’empire musulman, avec Damas pour capitale, était dirigé par les califes omeyyades. Cette année-là, le dernier membre de la dynastie fut tué par les hommes d’Abu Abbas as-Saffah. Son parti, la chi’a, estimait que le califat devait revenir à un descendant d’Ali ibn Abi Talib, le cousin du prophète Mohamed. Or, les chiites avaient été persécutés et leurs imams contraints à la clandestinité par la police secrète omeyyade. Au lendemain de la victoire abbasside, les Omeyyades furent massacrés. Toutefois, l’un d’entre eux, Abd al-Rahman ibn Muawiya, réussit à fuir en Espagne où il instaura un émirat en 756. La naissance de cet État ouvrit une première brèche dans le monde musulman uni. Autre déplacement de son centre de gravité, le deuxième calife abbasside, al-Mansour, ignora Damas et fonda une nouvelle capitale à Bagdad en 762. À cette époque, l’influence culturelle perse était manifeste. Dès lors, le califat tourna son attention vers l’Est et le Sud, délaissant la Méditerranée. À la même époque, il adopta l’islam sunnite et rejeta les principes chiites.
Le califat abbasside atteignit rapidement son apogée sous le règne de Haroun al-Rachid. Toutefois, à la mort de ce dernier en 809, une guerre civile éclata. Elle entraîna la perte définitive de la grande province perse de Khorasan en 821. Une tentative pour établir une nouvelle capitale à Samarra, en Irak, échoua. En outre, le sud de l’Irak fut le théâtre d’une violente révolte d’esclaves noirs, les Zanj, de 869 à 883.
Les dissensions qui affectaient le cœur même du monde musulman entraînèrent la désintégration de ses provinces occidentales. Au Maghreb, les gouverneurs, aux prises avec les nouvelles fractions arabes et les tribus berbères, ne parvenaient à exercer aucune autorité à l’ouest de l’Ifriqiya. Les communautés berbères converties furent profondément influencées par les kharijites, sécessionnistes nostalgiques d’une supposée pureté musulmane remontant à l’époque du calife Omar ibn al-Khattab. Cette faction contestait l’hérédité du califat, chaque calife, à ses yeux, devant être choisi par la communauté. Une branche de ce mouvement donna naissance à l’Etat de Tahert, fondé par Abdallah ibn Rustam, un chef de la secte ibadite, des Berbères Zenata. Il devint imam de l’Ibadiyya en 777 et entra en conflit avec les Idrissides chiites à l’ouest et les Aghlabides sunnites à l’est. Les Rustumides durent s’allier aux Omeyyades de l’al-Andalous. Les marins andalous d’Almeria-Pechina établirent une colonie près de Ténès, sur la côte nord de Tahert, en 875-876, et nouèrent des relations commerciales avec l’Etat rustamide et les Omeyyades.
Au Maghreb, le chiisme fut représenté par les Idrissides. descendants d’un arrière-arrière-petit-fils d’Ali qui fonda en 793 une nouvelle capitale à Fès. Ils furent proclamés califes mais leur dynastie commença à se morceler vers 830 et ses membres se partagèrent les villes. Au X’ siècle, ils durent reconnaître la souveraineté des Fatimides, des chiites qui occupèrent Fès jusqu’en 921. D’un point de vue chrétien, le plus important Etat maghrébin séparatiste fut celui des Aghlabides. Ibrahim ibn al-Aghlab fut nommé gouverneur de l’Ifriqiya en 800 par Haroun al-Rachid mais il s’émancipa de Bagdad. Les attaques navales aghlabides furent particulièrement violentes. Elles ciblèrent le sud de l’Italie, la Corse, la Sardaigne, la Sicile et les Alpes maritimes.
La suprématie musulmane connut son apogée entre la révolution abbasside et l’accession au pouvoir de l’empereur byzantin Basile Ieen 867. « Les musulmans, écrirait ibn Khaldoun bien plus tard, contrôlaient toute la Méditerranée. Leur pouvoir et leur domination étaient considérables. Les nations chrétiennes étaient impuissantes face aux flottes islamiques partout en Méditerranée. Les musulmans sillonnaient sans cesse ses flots, à l’assaut de nouveaux territoires. » Même si ces propos semblent exagérés, l’occupation des îles et la forte implantation maritime conférèrent aux musulmans un pouvoir certain. Toutefois les différents Etats islamiques entrèrent en conflit les uns avec les autres et le califat fut transféré à Bagdad. A la même période, les Byzantins durent affronter le premier empire bulgare, alors que la péninsule italienne était le théâtre de batailles opposant Lombards et Francs.
le cheval arabe
le cheval arabe fut l’un des facteurs de la rapide expansion de l’islam au levant et en Afrique du Nord. Suivant leurs prédécesseurs, les Abbassides se lancèrent dans d’interminables attaques et contre-attaques et franchirent la frontière que constituait la chaîne du Taurus. Ils érigèrent de nombreuses forteresses monastères appelées ribats, à partir desquelles des moudjahiddines propageaient la foi dans le cadre du jihad. Leurs adversaires byzantins, les akritai, devinrent des héros immortalisés dans l’épopée de Digenis Akritas. Leurs confrontations transfrontalières inspirèrent aussi Dhat al-Himma et certains contes des Mille et Une Nuits. La première attaque navale eut lieu en 790 lorsqu’une flotte musulmane croisa celle de Kibyrrhaiotai dans le golfe d’Attalea. Les strategoi byzantins furent vaincus, capturés et tués. En 806, Haroun al-Rachid déporta de nombreux Chypriotes suspectés de sympathie avec l’ennemi. Sous son règne, la Crète et Rhodes furent également conquises.
Dans la province d’al-Andalous, tout en consolidant sa propre autorité, Abd al-Rahman Ier repoussa en 778 l’expédition de Charlemagne à Saragosse qui se solda par le massacre des Francs dans le col pyrénéen de Roncevaux, lequel était entre les mains des Basques et non des musulmans. Ses successeurs s’attaquèrent aux chrétiens établis dans les Asturies, les territoires basques, les États chrétiens d’Aragon et la marche franque de Barcelone, mais ils traversèrent aussi les Pyrénées. En 793, les forces d’Hicham Ier détruisirent Gérone et s’aventurèrent jusqu’à Narbonne et en terre franque. En 801-803, Louis d’Aquitaine prit Barcelone, mais en 808-809, l’armée omeyyade chassa ses troupes de Tortosa. En 813 ou 815, les Francs furent écrasés non loin de Barcelone. Dévastant les terres au nord de Gérone, Abd al-Rahman II envoya ses hommes à Barcelone en 828, mais la ville fut reprise en 852.
En Italie, les choses évoluaient. Rome et la papauté s’étaient émancipées de Constantinople. Constant II fut le dernier empereur à se rendre à Rome en 663 et Constantin le dernier pape à se rendre à Constantinople en 711. Pour combler le vide laissé par l’Empire, la papauté se tourna vers le royaume franc et notamment vers le maire du palais, Charles Martel, puis vers son fils Pépin III. Lorsqu’en 751 ce dernier demanda à Stéphane Ier qui, de lui ou de l’héritier mérovingien, devait porter le titre de souverain, le pape fit la réponse souhaitée. Ainsi Pépin fut-il couronné. Une alliance vitale unit la papauté au royaume franc. En 800, Charlemagne, le fils de Pépin, fut sacré empereur.
Les papes craignaient les Lombards, dont le roi Aistulf exigea en 752 un tribut de Rome ainsi que le contrôle des forteresses des Etats pontificaux. À la demande de Stéphane II, Pépin envahit l’Italie et écrasa Aistulf. Lorsque le roi lombard Didier attaqua les territoires papaux en 772 et 773, Hadrien Ierdemanda à Charlemagne d’intervenir. Ses troupes laminèrent l’armée lombarde et prirent Pavie. L’année suivante, il se fit sacrer roi des Lombards. Dès lors l’Italie se scinda en deux : le royaume franc au nord et les États pontificaux au centre. Le sud, contrôlé par le duc Arichis de Bénévent, se soumit, mais en théorie seulement, à Charlemagne. En 787, Arichis mourut et, en échange de la libération de son fils qui était otage à la cour de Charlemagne, sa veuve accepta la suzeraineté carolingienne. Toutefois, cette tutelle fut éphémère et au IX’ siècle les Lombards, disposant d’une nouvelle capitale à Salerne, envahirent le sud.
De son côté, al-Hakam Ier tenta d étendre son pouvoir à la Corse puis à la Sardaigne. Une flotte andalouse assaillit les Baléares dès 798. En 806, le fils de Charlemagne, Pépin, roi d’Italie, envoya une armada en Corse pour s’opposer aux forces maures qui avaient pillé l’île. L’année suivante, Charlemagne expédia une flotte qui délogea les Andalous établis en Corse. En 810, les musulmans débarquèrent en Sardaigne et en Corse et prirent pratiquement le contrôle de cette dernière. En 813, le comte d’Ampurias les intercepta à leur retour de Corse via Majorque et confisqua huit de leurs vaisseaux. Ils se vengèrent en saccageant Civitavecchia et Nice, mais aussi en attaquant la Sardaigne. Les corsaires musulmans se lancèrent à l’assaut de Marseille (838) et d’Arles (842 et 850). Us établirent une base permanente en Camargue juste avant 869. Trois cents vaisseaux assujettirent les Baléares en 849 et exigèrent leur neutralité vis-à-vis de l’Espagne musulmane. Toutefois, ce n’est qu’en 902-903 que les îles furent réellement conquises.
Constantinople fut assiégée plusieurs fois entre le VI et le IX siècle par divers ennemis venus du Nord et du sud
Au IXe siècle, la Méditerranée fut aussi le théâtre d’incursions vikings qui incitèrent al-Andalous à renforcer son arsenal. Une flotte viking remonta le Tage en 844 et s’attaqua à Lisbonne. Vaincues, les troupes naviguèrent vers le sud et razzièrent Séville. Chassées par la cavalerie musulmane, elles mirent le cap sur Asilah, au Maroc, et se retirèrent en Aquitaine l’hiver suivant. En 859-860, les vaisseaux vikings accostèrent de nouveau sur les rives du Guadalquivir. Expulsés par les forces mahométanes, ils saccagèrent alors Algésiras, une partie de l’équipage s’attaquant à Nukur au Maroc, l’autre aux Baléares. Un détachement remonta le long de l’Ëbre jusqu’à Pampelune et pilla Arles, Nîmes, Valence en Provence, Luni en Ligurie.
Au nord de l’Italie, les querelles entre les communautés vénitiennes des lagunes entraînèrent la soumission de la Sérénissime à Charlemagne en 805. Après la débâcle d’une expédition byzantine qui devait la restituer aux Grecs en 809-810, Pépin tenta de l’annexer en 810 mais la défense vénitienne le força à se retirer et il n’obtint que le versement annuel d’un tribut. Venise connut une montée en puissance qui lui permit de prendre le contrôle de l’Adriatique. La faiblesse des gouverneurs abbassides d’Ifriqiya au cours de la seconde moitié du VIIIesiècle offrit un répit aux îles, mais lorsque Ibrahim ibn al-Aghlab eut pris le pouvoir, des escadres sillonnèrent de nouveau la Méditerranée centrale.
En 805, elles se lancèrent à l’assaut du Péloponnèse. En 812 et 813, elles débarquèrent en Corse, en Sardaigne, à Lampedusa. Ponza et Ischia. En 820, les corsaires capturèrent huit navires marchands partis de Sardaigne vers l’Italie. L’année suivante, ils s’en prirent à la Sardaigne mais furent repoussés. Ziyadat-Allah Ier entreprit la conquête de la Sicile en 827. Cependant, les forces carolingiennes tentèrent de se venger des Aghlabides. En 828, une armada quitta Pise et Luni à destination de Bône en Algérie, et le gouverneur de Corse se dirigea vers l’Afrique pour mener une série de raids entre Utique et Carthage.
La première moitié du IXe siècle fut désastreuse pour l’Empire byzantin. Les relations avec les Bulgares, un peuple turc qui s’était établi sur un vaste territoire s’étendant sur les deux rives du Danube, étaient relativement amicales sous le règne des khans précédents. Mais, en 807, un nouveau chef, Krum, déclencha les hostilités. En 811, il prit au piège une armée byzantine dans un défilé et tua l’empereur Nicéphore Ier. On raconte qu’il transforma son crâne en timbale. En 813, il mit en déroute une autre troupe et marcha sur Constantinople. La capitale fut fortuitement sauvée par son décès ; son fils, Omurtag, conclut en 816 une trêve de trente ans. La menace bulgare à peine dissipée, la révolte de Thomas le Slave secoua l’Empire en 820. Il s’appropria la plupart des thèmes asiatiques, y compris le Kibyrrhaiotai. L’attrait que suscita Thomas fut attribué tantôt au mécontentement à l’égard des Grecs parmi les communautés ethniques, tantôt à une réaction contre l’iconoclasme et à l’insatisfaction sociale. Cependant, bien qu’elles aient pu assiéger Constantinople en 821-823, ses forces furent finalement dispersées par les escadres impériales recourant au feu grégeois et par l’armée d’Omurtag qui leur prêta main-forte, conformément au traité.
L’affaiblissement de la défense navale dû à la perte de Kibyrrhaiotai permit aux corsaires andalous de débarquer en Crète entre 824 et 827. La chute de la Crète bouleversa profondément la composition stratégique de la Méditerranée orientale. À partir du port-forteresse de Chandax. les musulmans, en quête d’esclaves et de butin, attaquèrent les côtes égéennes. Ils exercèrent un contrôle important dans le sud de la mer Egée et occupèrent certaines îles de manière épisodique, forçant les insulaires à payer un tribut. Ils réussirent également à jouir d’une certaine influence sur Rhodes et Chypre sans avoir jamais tenté de les envahir. Vers 839, ils infligèrent une sévère défaite à une escadre byzantine au large de Thassos et, vers 860, ils s’attaquèrent aux Cyclades et pénétrèrent la mer de Marmara. En guise de riposte, l’Empire regroupa les îles du nord en une province baptisée « Mer Égée » (Aigaion Pelagos) et celles du sud sous l’appellation de Samos. L’efficacité de ces mesures est discutable, bien que les Byzantins aient rencontré un certain succès. Vers 840-842, ils détruisirent une armada Crétoise. Puis, en 853, s’apercevant que l’Egypte prêtait son appui à la Crète, une flotte byzantine s’attaqua à Damiette, la pilla, en confisqua les armes destinées aux Crétois et en détruisit l’arsenal.
La Conquête de la Sicile
La conquête musulmane de la Sicile commença en 827, lorsque le gouverneur byzantin de l’île se révolta et offrit à Ziyadat-Allah Ier la suzeraineté en échange de son maintien au poste de gouverneur. Elle fut encore plus dévastatrice que celle de la Crète. Accostant à Mazara, l’expédition aghlabide rencontra une ferme résistance à Syracuse. Une expédition vénitienne volant à son secours échoua également, et Palerme finit par tomber en 831. Les musulmans contrôlaient alors la quasi-totalité de la partie occidentale de l’île. Vers 843, ils occupaient Messine et son principal détroit, menaçant tout le sud de l’Italie. Leurs incursions débutèrent bien avant la chute de la ville. Brindisi et Tarente furent prises en 838 et 839. En outre, une flotte vénitienne, envoyée sur requête impériale pour libérer Tarente, fut écrasée en 840.
L’année suivante, Bari tomba aux mains des musulmans dont les escadres appareillèrent pour le nord. Ils razzièrent Ancône et infligèrent une nouvelle défaite aux Vénitiens dans le golfe de Quarnaro en 842. Détournant leur attention vers la Calabre et la côte ouest, ils attaquèrent Rome et pillèrent Saint-Pierre en 846. Chassées par l’armée de l’empereur franc Lothaire Ier, petit-fils de Charlemagne, qui a hérité de l’Italie, puis dispersées par la flotte napolitaine à Gaeta, plusieurs communautés musulmanes réussirent cependant à s’établir dans des forteresses jalonnant la côte. Bari devint la capitale d’un émirat qui perdura trente ans.
En réponse aux attaques musulmanes, Lothaire envoya son fils Louis II en Apulie en 848-849. Il y rencontra un certain succès, même si une seconde expédition ainsi que le siège de Bari échouèrent en 852. Les incursions musulmanes qui atteignirent Bénévent et la Campanie incitèrent Louis à intervenir de nouveau en 866. L’année suivante, lorsqu’un assaut aghlabide cibla Raguse-Dubrovnik. Basile L’envoya une flotte pour secourir la ville. Venise expédia également une armada qu’écrasa les mahométans au large de Tarente. Une alliance fut alors signée entre Louis II et l’Empire. En 869, la coalition assiégea Bari. Ce fut un échec et il fallut attendre 871 pour que les forces de Louis, assistées de la marine croate, conquissent enfin la ville. La tentative des musulmans de Tarente pour inverser le cours des événements avorta. Par la suite, l’attitude de Louis lui fit perdre le soutien des Bénéventins qui l’emprisonnèrent et le chassèrent. A sa mort, en 875, les Byzantins occupaient Bari, qui fut la capitale de l’Italie byzantine au cours des deux siècles suivants.
A partir de 673, Rhodes fut occupée pendant sept ans. Chypre fut investie vers 670, probablement pour préparer le grand assaut visant Constantinople. Le raid commença en 671-672, lorsque deux flottes pénétrèrent la mer Egée puis mirent le cap sur Smyrne avant de s’établir en Cilicie et en Lycie. En 672 débuta le siège qui se prolongea sept ans. Pendant cette période, les troupes musulmanes se retiraient à Kyzikos (Crète’ et à Rhodes en hiver, puis repartaient à l’attaque au printemps. Ce sont des « feux grégeois » lancés depuis les proues des dromons qui permirent d’éloigner les flottes musulmanes et de mettre fin au siège. Pendant leur retraite, l’orage se chargea de détruire les derniers vaisseaux. Une trêve de trente ans, prévoyant l’évacuation de Chypre et de Rhodes, fut conclue.
Jusqu’à la fin du siècle. f Afrique du Nord fut au cœur des événements. Dès 665, une expédition prit la direction de la province romaine d’Ifriqiya. Elle se solda par la défaite des forces byzantines. En 669, les musulmans tentèrent un nouvel assaut et établirent une base avancée à Kairouan, depuis laquelle ils attaquèrent les tribus berbères de l’intérieur. Toutefois, en 681, ils surestimèrent leurs forces et se hasardèrent dans une longue incursion visant la côte atlantique. L’armada byzantine les mit en échec et leur chef fut vaincu et tué près de Tahuda, en Algérie, par une coalition réunissant les tribus berbères et l’Empire. Berbères et Byzantins prirent alors Kairouan, obligeant les musulmans à se retirer à la frontière égyptienne. En 693, une armée colossale, commandée par Flassan ibn al-Nu’man al-Ghassani, réussit à s’emparer de Carthage.
Une mystérieuse reine kabyle, prénommée al-Kahira, orchestra un soulèvement berbère. Dans le même temps, Carthage subissait deux attaques combinées sur mer et sur terre de la part des Byzantins. Mais ni l’une ni l’autre n’eut les effets escomptés. Dès lors, Byzance renonça définitivement à l’Afrique. Le port de Carthage s’étant révélé trop vulnérable aux attaques maritimes, Tunis devint la nouvelle capitale et fut dotée d’un arsenal. Pour peupler la ville, le gouverneur d’Egypte envoya mille hommes chargés de construire une flotte de cent vaisseaux de guerre. Pendant son mandat, le gouverneur Moussa ibn Noussayr les utilisera pour conquérir, à partir de 704, le Maghreb, la Sicile, la Sardaigne et les Baléares) en maintenant les Byzantins à distance de leurs derniers bastions dans le bassin occidental de la Méditerranée.
Moussa participa également à l’invasion de l’Espagne dont certaines circonstances demeurent obscures. Pour une raison que nous ignorons, Tariq ibn Ziyad, gouverneur de Tanger, aurait expédié quatre vaisseaux, fournis par le comte Julian, gouverneur byzantin de Ceuta, dans le but d’explorer le détroit en 710. L’année suivant cette première traversée, Tariq décida d’entreprendre un deuxième voyage à bord de la flotte vraisemblablement offerte par Julian. En avril 711, il accosta près d’une montagne qui depuis porte son nom, Gibraltar, de l’arabe Jabal Tariq. Le roi wisigoth Rodéric, occupé à mater les rebelles dans le nord-est, revint alors dans le sud, ralliant sur son passage toutes les forces wisigothes disponibles. Les deux armées se rencontrèrent à proximité du Guadalete. Rodéric succomba au cours de la bataille et son royaume disparut en même temps que lui. En juin ou juillet 712, fort d’une nouvelle armée, Moussa ibn Noussayr débarqua à Algésiras.
Tariq le retrouva aux abords de Tolède et ils entreprirent ensemble la conquête de la péninsule. Ils ne purent imposer d’emblée leur autorité et faillirent renoncer. Toutefois, en 718, ils parvinrent à asseoir leur pouvoir sur tout le territoire, à l’exception des Asturies, région montagneuse du nord-ouest, où un dignitaire wisigoth nommé Pelage fomenta une révolte. La défaite qu’il infligea aux troupes islamiques à proximité de Covagonda devait rester dans les annales. Plus tard, il y fut assiégé mais défia l’ennemi et l’obligea à se retirer. La petite poignée d’hommes et de femmes qui survécut à cet assaut constitua une enclave chrétienne dans les Asturies.
Forts de leurs supériorité technique
À maints égards, on peut considérer que la conquête de l’Espagne fut relativement pacifique. Très minoritaires, les musulmans se contentèrent de se concilier la noblesse wisigothe. En 713, Abd al-Aziz ibn Moussa et le duc Théodemir signèrent un accord : en contrepartie de la soumission de ce dernier, lui-même, ses seigneurs et les habitants de ses sept villes gardaient leurs propriétés et le droit de pratiquer leur religion moyennant le versement d’un tribut annuel, la jizyab En revanche, le sang coula ailleurs. A Narbonne, avant de transformer la ville en camp militaire, les musulmans massacrèrent tous les hommes et réduisirent en esclavage les femmes et les enfants. Les gouverneurs successifs tentèrent non seulement de briser la résistance chrétienne dans les montagnes du nord mais aussi de traverser les Pyrénées.
Leurs expéditions les menèrent jusqu’à Nîmes 716 . Autun (721′ et Sens (726). Le plus célèbre de ces gouverneurs, Abd al-Rahman al-Ghafiqi. en rapporta un riche butin. Toutefois, il ne sortit pas vivant de la bataille de Tours qui l’opposa à Charles Martel en 732. Cette défaite n’empêcha pas les campagnes transpyrénéennes de reprendre dès 737. La Septimanie gothique réserva un accueil favorable aux musulmans qui, aux yeux de l’aristocratie locale, constituaient un contre-pouvoir aux Francs. Mais une révolte berbère éclata dans le Maghreb et tâche d’huile dans l’al-Andalous, le nom arabe donné à l’Espagne, compromettant cette dernière avancée.
En 725, Léon III ordonna que l’on ôte le Christ qui ornait le vestibule du Grand Palais de Constantinople. Cette décision provoqua la querelle iconoclaste qui eut raison de l’Empire. En 727, les flottes de l’Hellade et des Cyclades se rebellèrent, mais furent détruites par les troupes impériales. Lorsque les fonctionnaires de l’Empire tentèrent de proscrire le culte des images en Italie, des révoltes éclatèrent et le roi lombard Liutprand s’empara de Luni et de la Corse. Une expédition navale censée restaurer l’ordre fit naufrage dans l’Adriatique en 730. En 735, le pape Grégoire III et les Lombards expulsèrent les Byzantins de Ravenne mais la papauté se fâcha rapidement avec ses alliés. Si bien qu’en 742 Venise et le pape Zacharie rendirent Ravenne à Byzance. Les troubles persistèrent jusqu’à la condamnation de l’iconoclasme en 787 par le second concile de Nicée. Bien qu’il refît surface au IXe siècle, entre 813 et 843, sa résurgence provoqua moins de dégâts.
Le chaos se stabilise : de 750 à 875
Jusqu’en 750, l’empire musulman, avec Damas pour capitale, était dirigé par les califes omeyyades. Cette année-là, le dernier membre de la dynastie fut tué par les hommes d’Abu Abbas as-Saffah. Son parti, la chi’a, estimait que le califat devait revenir à un descendant d’Ali ibn Abi Talib, le cousin du prophète Mohamed. Or, les chiites avaient été persécutés et leurs imams contraints à la clandestinité par la police secrète omeyyade. Au lendemain de la victoire abbasside, les Omeyyades furent massacrés. Toutefois, l’un d’entre eux, Abd al-Rahman ibn Muawiya, réussit à fuir en Espagne où il instaura un émirat en 756. La naissance de cet État ouvrit une première brèche dans le monde musulman uni. Autre déplacement de son centre de gravité, le deuxième calife abbasside, al-Mansour, ignora Damas et fonda une nouvelle capitale à Bagdad en 762. À cette époque, l’influence culturelle perse était manifeste. Dès lors, le califat tourna son attention vers l’Est et le Sud, délaissant la Méditerranée. À la même époque, il adopta l’islam sunnite et rejeta les principes chiites.
Le califat abbasside atteignit rapidement son apogée sous le règne de Haroun al-Rachid. Toutefois, à la mort de ce dernier en 809, une guerre civile éclata. Elle entraîna la perte définitive de la grande province perse de Khorasan en 821. Une tentative pour établir une nouvelle capitale à Samarra, en Irak, échoua. En outre, le sud de l’Irak fut le théâtre d’une violente révolte d’esclaves noirs, les Zanj, de 869 à 883.
Les dissensions qui affectaient le cœur même du monde musulman entraînèrent la désintégration de ses provinces occidentales. Au Maghreb, les gouverneurs, aux prises avec les nouvelles fractions arabes et les tribus berbères, ne parvenaient à exercer aucune autorité à l’ouest de l’Ifriqiya. Les communautés berbères converties furent profondément influencées par les kharijites, sécessionnistes nostalgiques d’une supposée pureté musulmane remontant à l’époque du calife Omar ibn al-Khattab. Cette faction contestait l’hérédité du califat, chaque calife, à ses yeux, devant être choisi par la communauté. Une branche de ce mouvement donna naissance à l’Etat de Tahert, fondé par Abdallah ibn Rustam, un chef de la secte ibadite, des Berbères Zenata. Il devint imam de l’Ibadiyya en 777 et entra en conflit avec les Idrissides chiites à l’ouest et les Aghlabides sunnites à l’est. Les Rustumides durent s’allier aux Omeyyades de l’al-Andalous. Les marins andalous d’Almeria-Pechina établirent une colonie près de Ténès, sur la côte nord de Tahert, en 875-876, et nouèrent des relations commerciales avec l’Etat rustamide et les Omeyyades.
Au Maghreb, le chiisme fut représenté par les Idrissides. descendants d’un arrière-arrière-petit-fils d’Ali qui fonda en 793 une nouvelle capitale à Fès. Ils furent proclamés califes mais leur dynastie commença à se morceler vers 830 et ses membres se partagèrent les villes. Au X’ siècle, ils durent reconnaître la souveraineté des Fatimides, des chiites qui occupèrent Fès jusqu’en 921. D’un point de vue chrétien, le plus important Etat maghrébin séparatiste fut celui des Aghlabides. Ibrahim ibn al-Aghlab fut nommé gouverneur de l’Ifriqiya en 800 par Haroun al-Rachid mais il s’émancipa de Bagdad. Les attaques navales aghlabides furent particulièrement violentes. Elles ciblèrent le sud de l’Italie, la Corse, la Sardaigne, la Sicile et les Alpes maritimes.
La suprématie musulmane connut son apogée entre la révolution abbasside et l’accession au pouvoir de l’empereur byzantin Basile Ieen 867. « Les musulmans, écrirait ibn Khaldoun bien plus tard, contrôlaient toute la Méditerranée. Leur pouvoir et leur domination étaient considérables. Les nations chrétiennes étaient impuissantes face aux flottes islamiques partout en Méditerranée. Les musulmans sillonnaient sans cesse ses flots, à l’assaut de nouveaux territoires. » Même si ces propos semblent exagérés, l’occupation des îles et la forte implantation maritime conférèrent aux musulmans un pouvoir certain. Toutefois les différents Etats islamiques entrèrent en conflit les uns avec les autres et le califat fut transféré à Bagdad. A la même période, les Byzantins durent affronter le premier empire bulgare, alors que la péninsule italienne était le théâtre de batailles opposant Lombards et Francs.
le cheval arabe
le cheval arabe fut l’un des facteurs de la rapide expansion de l’islam au levant et en Afrique du Nord. Suivant leurs prédécesseurs, les Abbassides se lancèrent dans d’interminables attaques et contre-attaques et franchirent la frontière que constituait la chaîne du Taurus. Ils érigèrent de nombreuses forteresses monastères appelées ribats, à partir desquelles des moudjahiddines propageaient la foi dans le cadre du jihad. Leurs adversaires byzantins, les akritai, devinrent des héros immortalisés dans l’épopée de Digenis Akritas. Leurs confrontations transfrontalières inspirèrent aussi Dhat al-Himma et certains contes des Mille et Une Nuits. La première attaque navale eut lieu en 790 lorsqu’une flotte musulmane croisa celle de Kibyrrhaiotai dans le golfe d’Attalea. Les strategoi byzantins furent vaincus, capturés et tués. En 806, Haroun al-Rachid déporta de nombreux Chypriotes suspectés de sympathie avec l’ennemi. Sous son règne, la Crète et Rhodes furent également conquises.
En Italie, les choses évoluaient. Rome et la papauté s’étaient émancipées de Constantinople. Constant II fut le dernier empereur à se rendre à Rome en 663 et Constantin le dernier pape à se rendre à Constantinople en 711. Pour combler le vide laissé par l’Empire, la papauté se tourna vers le royaume franc et notamment vers le maire du palais, Charles Martel, puis vers son fils Pépin III. Lorsqu’en 751 ce dernier demanda à Stéphane Ier qui, de lui ou de l’héritier mérovingien, devait porter le titre de souverain, le pape fit la réponse souhaitée. Ainsi Pépin fut-il couronné. Une alliance vitale unit la papauté au royaume franc. En 800, Charlemagne, le fils de Pépin, fut sacré empereur.
Les papes craignaient les Lombards, dont le roi Aistulf exigea en 752 un tribut de Rome ainsi que le contrôle des forteresses des Etats pontificaux. À la demande de Stéphane II, Pépin envahit l’Italie et écrasa Aistulf. Lorsque le roi lombard Didier attaqua les territoires papaux en 772 et 773, Hadrien Ierdemanda à Charlemagne d’intervenir. Ses troupes laminèrent l’armée lombarde et prirent Pavie. L’année suivante, il se fit sacrer roi des Lombards. Dès lors l’Italie se scinda en deux : le royaume franc au nord et les États pontificaux au centre. Le sud, contrôlé par le duc Arichis de Bénévent, se soumit, mais en théorie seulement, à Charlemagne. En 787, Arichis mourut et, en échange de la libération de son fils qui était otage à la cour de Charlemagne, sa veuve accepta la suzeraineté carolingienne. Toutefois, cette tutelle fut éphémère et au IX’ siècle les Lombards, disposant d’une nouvelle capitale à Salerne, envahirent le sud.
De son côté, al-Hakam Ier tenta d étendre son pouvoir à la Corse puis à la Sardaigne. Une flotte andalouse assaillit les Baléares dès 798. En 806, le fils de Charlemagne, Pépin, roi d’Italie, envoya une armada en Corse pour s’opposer aux forces maures qui avaient pillé l’île. L’année suivante, Charlemagne expédia une flotte qui délogea les Andalous établis en Corse. En 810, les musulmans débarquèrent en Sardaigne et en Corse et prirent pratiquement le contrôle de cette dernière. En 813, le comte d’Ampurias les intercepta à leur retour de Corse via Majorque et confisqua huit de leurs vaisseaux. Ils se vengèrent en saccageant Civitavecchia et Nice, mais aussi en attaquant la Sardaigne. Les corsaires musulmans se lancèrent à l’assaut de Marseille (838) et d’Arles (842 et 850). Us établirent une base permanente en Camargue juste avant 869. Trois cents vaisseaux assujettirent les Baléares en 849 et exigèrent leur neutralité vis-à-vis de l’Espagne musulmane. Toutefois, ce n’est qu’en 902-903 que les îles furent réellement conquises.
Constantinople fut assiégée plusieurs fois entre le VI et le IX siècle par divers ennemis venus du Nord et du sud
Au nord de l’Italie, les querelles entre les communautés vénitiennes des lagunes entraînèrent la soumission de la Sérénissime à Charlemagne en 805. Après la débâcle d’une expédition byzantine qui devait la restituer aux Grecs en 809-810, Pépin tenta de l’annexer en 810 mais la défense vénitienne le força à se retirer et il n’obtint que le versement annuel d’un tribut. Venise connut une montée en puissance qui lui permit de prendre le contrôle de l’Adriatique. La faiblesse des gouverneurs abbassides d’Ifriqiya au cours de la seconde moitié du VIIIesiècle offrit un répit aux îles, mais lorsque Ibrahim ibn al-Aghlab eut pris le pouvoir, des escadres sillonnèrent de nouveau la Méditerranée centrale.
En 805, elles se lancèrent à l’assaut du Péloponnèse. En 812 et 813, elles débarquèrent en Corse, en Sardaigne, à Lampedusa. Ponza et Ischia. En 820, les corsaires capturèrent huit navires marchands partis de Sardaigne vers l’Italie. L’année suivante, ils s’en prirent à la Sardaigne mais furent repoussés. Ziyadat-Allah Ier entreprit la conquête de la Sicile en 827. Cependant, les forces carolingiennes tentèrent de se venger des Aghlabides. En 828, une armada quitta Pise et Luni à destination de Bône en Algérie, et le gouverneur de Corse se dirigea vers l’Afrique pour mener une série de raids entre Utique et Carthage.
L’affaiblissement de la défense navale dû à la perte de Kibyrrhaiotai permit aux corsaires andalous de débarquer en Crète entre 824 et 827. La chute de la Crète bouleversa profondément la composition stratégique de la Méditerranée orientale. À partir du port-forteresse de Chandax. les musulmans, en quête d’esclaves et de butin, attaquèrent les côtes égéennes. Ils exercèrent un contrôle important dans le sud de la mer Egée et occupèrent certaines îles de manière épisodique, forçant les insulaires à payer un tribut. Ils réussirent également à jouir d’une certaine influence sur Rhodes et Chypre sans avoir jamais tenté de les envahir. Vers 839, ils infligèrent une sévère défaite à une escadre byzantine au large de Thassos et, vers 860, ils s’attaquèrent aux Cyclades et pénétrèrent la mer de Marmara. En guise de riposte, l’Empire regroupa les îles du nord en une province baptisée « Mer Égée » (Aigaion Pelagos) et celles du sud sous l’appellation de Samos. L’efficacité de ces mesures est discutable, bien que les Byzantins aient rencontré un certain succès. Vers 840-842, ils détruisirent une armada Crétoise. Puis, en 853, s’apercevant que l’Egypte prêtait son appui à la Crète, une flotte byzantine s’attaqua à Damiette, la pilla, en confisqua les armes destinées aux Crétois et en détruisit l’arsenal.
La Conquête de la Sicile
La conquête musulmane de la Sicile commença en 827, lorsque le gouverneur byzantin de l’île se révolta et offrit à Ziyadat-Allah Ier la suzeraineté en échange de son maintien au poste de gouverneur. Elle fut encore plus dévastatrice que celle de la Crète. Accostant à Mazara, l’expédition aghlabide rencontra une ferme résistance à Syracuse. Une expédition vénitienne volant à son secours échoua également, et Palerme finit par tomber en 831. Les musulmans contrôlaient alors la quasi-totalité de la partie occidentale de l’île. Vers 843, ils occupaient Messine et son principal détroit, menaçant tout le sud de l’Italie. Leurs incursions débutèrent bien avant la chute de la ville. Brindisi et Tarente furent prises en 838 et 839. En outre, une flotte vénitienne, envoyée sur requête impériale pour libérer Tarente, fut écrasée en 840.
L’année suivante, Bari tomba aux mains des musulmans dont les escadres appareillèrent pour le nord. Ils razzièrent Ancône et infligèrent une nouvelle défaite aux Vénitiens dans le golfe de Quarnaro en 842. Détournant leur attention vers la Calabre et la côte ouest, ils attaquèrent Rome et pillèrent Saint-Pierre en 846. Chassées par l’armée de l’empereur franc Lothaire Ier, petit-fils de Charlemagne, qui a hérité de l’Italie, puis dispersées par la flotte napolitaine à Gaeta, plusieurs communautés musulmanes réussirent cependant à s’établir dans des forteresses jalonnant la côte. Bari devint la capitale d’un émirat qui perdura trente ans.
Vidéo : L’offensive musulmane et la reconquête impériale : de 560 à 750
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