L'ONU
On a vu que l’ONU était un critère de dénombrement des États, et surtout que son rôle avait été, au moins en apparence, considérable dans la guerre du Golfe. Les Nations unies avalisèrent l’usage de la force contre l’Irak en 1990-1991 mais lancèrent une Mission préparatoire au Cambodge, qui sera suivie en 1992 de la mise en place de l’Autorité provisoire des Nations unies (plus de 19 000 hommes). Cette même année, l’ONU constitua une Force de protection dans l’ancienne Yougoslavie (près de 40 000 hommes) et mena à bien une première opération en Somalie, suivie d’une autre, en 1993 (près de 30 000 hommes). L’année 1993 fut celle de la Mission d’observation en Haïti et d’une mission pour l’assistance au Rwanda.
En dépit de cette montée en puissance, l’ONU n’a-t-elle pas été confisquée par les grandes puissances ? « Si, à leur création en 1945, les Nations unies exprimaient l’engagement des Etats en faveur du maintien de la paix et d’une avancée vers plus de justice internationale, leur fonctionnement fut gouverné jusqu’en 1989 par les aléas de la guerre froide. Puis, après la chute du mur de Berlin, sous couvert de nouvel ordre international, les Etats-Unis les confisquèrent. Abasourdis par l’effondrement brutal du communisme et occupés par une crise économique particulièrement aiguë, les peuples ont mal mesuré comment l’organisation mondiale entrait dans une spirale d’échec. L’ONU est d’abord minée par son déficit. Le solde non acquitté des contributions se montait à 3,9 milliards de dollars au 10 août 1995 . Les plus grands pays, violant Particle 17 de la Charte, refusent de payer leur quote-part, pourtant insignifiante si on la compare aux dépenses militaires ou au volume des transactions du secteur privé.
Malgré la personnalité juridique reconnue à l’organisation, celle-ci n’a pas pu se construire comme un sujet, c’est-à-dire comme une entité fondée sur suffisamment de démocratie et de respect entre ses membres pour que chacun ait fierté ou intérêt à dire nous en son nom. Aucun pouvoir politique autonome et fort n’a surgi de cinquante ans de pratique. Les États les plus faibles, les peuples menacés et les individus persécutés n’y ont pas trouvé la garantie d’un peu plus de justice face au pur rapport de puissance.
Apparemment stoppée, mais par les Etats-Unis, la guerre en Bosnie restera pourtant la “honte” de l’Occident . Dominée par les gouvernements les plus étroitement complices des acteurs financiers mondiaux, les Nations unies n’ont pu leur opposer aucun contre-pouvoir. Durant les années 70 avait émergé un discours favorable à l’encadrement de l’économie mondiale, mais le nouvel ordre économique international alors entrevu a fait long feu. La mode est désormais aux opérations d’assistance électorale clés en main. »
Et Gilbert Achcar poursuit : « Obsolète, l’Organisation des Nations unies ? Alors que se déroule sa cinquantième Assemblée générale, elle doit tirer le bilan des formidables révolutions qui ont ébranlé la planète durant ce demi-siècle : bouleversements démographiques et scientifiques, décolonisation, extinction du tommunisme, victoire du capitalisme, crise du Golfe consécutive à l’invasion du Koweït par l’Irak, le 2 août 1990. Elle constituera en quelque sorte la pierre de touche de la fin de la guerre froide et du nouveau “multilatéralisme” : pour la première fois, les grandes puissances condamnaient unanimement un fiat majeur du tiers-monde, allant jusqu’à décréter contre lui un blocus naval, puis a autoriser le refoulement de ses troupes “par tous les moyens nécessaires”.
George Bush comprit très vite le parti qu’il pouvait tirer de la complaisance manifestée par Moscou à son égard, dès le début de la crise. Le “multilatéralisme” allait ainsi devenir une pièce maîtresse de l’entreprise de marketing politique déployée par son administration pour “vendre” la guerre qu’elle préparait à l’opinion américaine et au Congrès.
Autre intérêt, et non des moindres, de la couverture onusienne : légitimer le moyen choisi par Washington pour contourner l’autre handicap majeur de l’interventionnisme américain, à savoir le problème du financement d’un effort militaire massif en ces temps de déficit budgétaire colossal et d’endettement net des États-Unis. La solution fut la mise à contribution des alliés les plus riches : monarchies pétrolières du Golfe, Japon, Allemagne, etc. L’enthousiasme “ internationaliste” suscité par la guerre du Golfe fut aussi éphémère que la promesse du “nouvel ordre mondial” qui l’accompagnait. La fin de la guerre froide a plutôt nourri le sentiment, très répandu parmi les Américains, que leur pays, après avoir porté le principal fardeau de la lutte anticommuniste, devrait jouir d’un repos bien mérité. De ce fait, la nouvelle lune de miel entre Washington et l’ONU, inaugurée par liush, aura été trop courte pour effacer le legs de deux décennies de divorce litigieux.
Et, comme au cours des années précédentes, les tensions ont une traduction financière. Voilà qui définit bien les termes du débat interne à Y establishment sur la politique à suivre à l’égard des Nations unies : utiliser l’organisation à la carte, au gré des besoins américains, ou la diriger de façon conséquente afin d’en lixer le menu. En ces temps où nombre de projets de réforme de l’ONU sont formulés qui, sans l’agrément des États-Unis, resteront de vaines chimères, il est bon de garder à l’esprit ce que ceux-ci veulent faire de l’organisation. »
Vidéo : L’ONU
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : L’ONU
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