la nouvelle organisation mondiale
La conférence de Yalta (4-11 février 1945):
Elle réunit Churchill, Roosevelt et Staline qui résolvent les problèmes l’occupation de l’Allemagne et du gouvernement de la Pologne, alors que guerre n’est pas encore terminée.
L’Allemagne serait occupée par les armées des trois grandes puissance: s’attribuent une zone d’occupation, selon l’avance supposée des troupes alliées en territoire allemand. Les Soviétiques recevraient le Mecklembourg la Poméranie, le Brandebourg, la Saxe-Anhalt, la Thuringe et les territoires situés plus à l’est. Les Britanniques occuperaient le Nord-Est de l’Allemagne, y compris la Ruhr ; les Américains, le Sud. Berlin constituerait un îlot à part, enclavé dans la zone d’occupation soviétique. A condition que la zone d’occupation française soit prélevée sur les zones anglaise et américaine, Staline accepte que la France soit puissance occupante à part entière et fasse partie de la Commission de contrôle interalliée avec des droits égaux à ceux des autres.
La Pologne serait administrée par un gouvernement d’unité national issu du comité de Lublin, prosoviétique, élargi à quelques membres du comité de Londres, pro-occidental. On crée aussi une Commission des réparation pour évaluer le montant de ce que les Allemands devraient payer à leurs victimes. Et l’on adopte une « déclaration sur l’Europe libérée », par laquelle on prévoit d’organiser, dans tous les territoires européens libérés, des élections ouvertes à tous les partis démocratiques et contrôlés par des représentants des trois grandes puissances.
À Yalta, l’atmosphère est encore bonne, mais les signes d’une déchirure se multiplient dans les mois qui suivent.
C’est d’abord l’établissement de l’emprise soviétique sur la Roumanie par la mise en place d’un gouvernement communiste homogène (27 février 1945), ensuite les arrière-pensées des chefs militaires alliés lors de la ruée sur les réduits de résistance nazis. Une fois le Rhin franchi, le 23 mars, tentation est grande pour les troupes américaines de foncer sur Berlin pour y arriver les premières.
Le commandement américain laisse cependant les Soviétiques s’emparer de la capitale du Reich et libérer la Tchécoslovaquie. Il accepte néanmoins la capitulation d’armées allemandes à l’Ouest, comme celle d’Italie commandée par le maréchal Kesselring (avril 1945), et surtout la capitulation générale le 7 mai 1945, signée à Reims au PC du général Eisenhower par le maréchal Keitel en présence d »un général soviétique. Malgré cela, Staline tient à ce que le maréchal Keitel signe de nouveau la capitulation sans condition de l’Allemagne au nom du nouveau chef de l’État allemand, l’amiral Donitz, à Berlin, le 9 mai au PC du maréchal Joukov.
La conférence de Potsdam (17 juillet-2 août 1945):
Six mois à peine après la conférence de Yalta, une conférence au sommet réunit les trois vainqueurs de l’Axe à Potsdam. Mais le monde entre-temps a beaucoup changé. Roosevelt est mort le 12 avril, et avec lui l’idée de maintenir la grande alliance ; son successeur H. Truman va devenir plus méfiant à l’égard de l’Union soviétique. La capitulation de l’Allemagne et le succès de l’expérience de la première bombe atomique ont bouleversé les données de la situation. Truman n’a plus autant besoin du concours de Staline dans sa lutte contre le Japon. Quant à Churchill, présent à l’ouverture de la conférence, il est remplacé après les élections anglaises gagnées par les travaillistes par le nouveau Premier ministre Clément Attlee. Avant que cela soit rendu définitif par un traité de paix, Staline impose un profond remaniement de la carte politique de l’Europe orientale. L’URSS obtient le détachement du territoire allemand de la région de la Prusse orientale : la partie nord, autour de la ville de Kônigsberg – rebaptisée Kaliningrad -, est annexée par l’URSS et la partie sud-est remise à la Pologne.
C’est le territoire de la Pologne qui subit le plus de modifications. Comme frontière orientale. l’URSS impose « la ligne Curzon » (du nom de lord Curzon. secrétaire au Foreign Office, qui avait négocié en 1919 les frontières orientales de la « nouvelle Pologne ») qui maintient dans l’orbite de Moscou tous les territoires ukrainiens et biélorussiens. À l’Ouest, l’URSS obtient de laisser la Pologne administrer tous les territoires allemands situés à l’est du fleuve Oder et de la rivière Neisse occidentale, c’est-à-dire la Poméranie et la Silésie. Les Occidentaux, qui ax aient proposé un tracé plus « occidental » de la frontière, acceptent provisoirement la ligne Oder-Neisse, jusqu’à la conclusion d’un traité de paix. Mais les Soviétiques font tout pour pérenniser cette situation. Dès le 17 août, ils signent avec la Pologne un accord sur la délimitation des frontières. Du coup, la Pologne passe de 388 000 km2 à 310 000 km2. Plus de deux millions d’Allemands sont expulsés des territoires annexés. Deux millions de Polonais sont rapatriés des territoires cédés à l’URSS.
Pour élaborer les traités de paix, les trois Grands décident la création d’un organisme appelé Conseil des ministres des Affaires étrangères, composé des représentants des cinq grandes puissances ayant le droit de veto à l’ONU. Ce Conseil se réunit à plusieurs reprises : en avril 1946 à Paris, en novembre-décembre 1946 à New York, en mars-avril 1947 à Moscou et enfin en décembre 1947 à Londres, mais n’aboutit à aucune conclusion positive.
Les traités de paix:
La conférence de Paris (juillet-octobre 1946) permet aux vainqueurs d’élaborer des traités avec les cinq satellites de l’Allemagne (l’Italie, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie et la Finlande).
Avec l’Italie deux questions épineuses se posent : que faire des colonies italiennes (Libye, Erythrée, Somalie) ? L’Union soviétique revendique une tutelle sur la Tripolitaine. Le Royaume-Uni propose l’octroi de l’indépendance. Finalement, on décide d’ajourner toute décision. En ce qui concerne Trieste, disputée entre les Yougoslaves soutenus par les Soviétiques et les Italiens par les Anglo-Saxons, elle fait l’objet d’un long débat diplomatique. Le traité de Paris crée le territoire libre de Trieste, sous la tutelle de l’ONU. Mais cette solution ne se révèle pas viable. Français, Anglais et Américains proposent en mars 1948 le retour du territoire libre de Trieste à l’Italie ; Soviétiques et Yougoslaves refusent; et le statu quo est maintenu.
La Roumanie, qui perd la Bessarabie et la Bukovine du Nord au profit de l’URSS et qui récupère la Transylvanie sur la Hongrie, n’a plus qu’une étroite façade maritime sur la mer Noire. La Bulgarie est ramenée à ses anciennes frontières. Les clauses sont beaucoup plus dures pour la Hongrie qui revient à ses frontières de 1920 ; celle-ci perd la Transylvanie, rendue à la Roumanie, et la Ruthénie subcarpatique, annexée par l’Union soviétique, le sud de la Slovaquie au profit de la Tchécoslovaquie, qui en expulse les habitants hongrois. La Finlande doit céder 43 700 km2 aux Soviétiques, qui la soumettent à de lourdes réparations. En revanche, la conclusion de traités de paix avec l’Allemagne, l’Autriche, le Japon semble plus difficile à atteindre.
L’Allemagne en particulier est l’objet d’un débat permanent et contradictoire. La tutelle sur l’Allemagne, telle qu’elle est conçue en juin 1945, est commune aux quatre puissances ; elle implique l’existence d’une autorité suprême : le Conseil de contrôle composé des quatre commandants en chef. Son siège, Berlin, est divisé en quatre secteurs, mais une autorité interalliée de gouvernement, la Kommandantura, subordonnée au Conseil de contrôle, assure l’administration de la ville. La tutelle commune suppose surtout l’entente sur une politique. Mais si l’on y parvient pour l’objectif final, extirper le national-socialisme et assurer la victoire de la démocratie en Allemagne, on est en désaccord à peu près sur tout le reste.
D’abord sur le problème du territoire, que les alliés ont l’intention non seulement d’occuper, mais aussi de tronçonner et de démembrer. Le 9 mai 1945, Staline abandonne l’idée d’un démembrement de l’Allemagne et contraint les Anglo-Américains à l’imiter. Tandis que ceux-ci souhaitent réinsérer l’Allemagne dans le concert des nations par l’unification économique de leurs zones – la mise en vigueur de la bi-zone date du 17 décembre 1947 -, les Français, suivant en cela la politique définie par le général de Gaulle, refusent toute idée d’unification tant que n’auront pas été satisfaites leurs exigences et réclament le contrôle de la Sarre ainsi que l’internationalisation de la Ruhr. On décide de prélever les réparations, dont le principe avait été admis à la conférence de Yalta, sur le potentiel industriel par le moyen de démontages d’usines. La France réclame une application stricte des réparations, en particulier en charbon de la Ruhr. De leur côté, les Soviétiques effectuent de larges prélèvements dans leur zone d’occupation. Au régime de type marxiste (nationalisation, laïcisation du régime scolaire et réforme agraire radicale) que les Soviétiques y établissent, les trois puissances occidentales opposent la résurrection d’institutions politiques et économiques libérales dans les zones qu’elles contrôlent. L’impuissance frappe alors l’organisation quadripartite au niveau du Conseil de contrôle comme à celui de la Kommandantura. Institué pour juger les criminels de guerre nazis, le tribunal interallié de Nuremberg (20 novembre 1945-1er octobre 1946) prononce sa sentence (12 condamnations à mort, 7 à la prison), mais c’est le dernier acte solidaire des alliés concernant la question allemande. L’Allemagne est devenue un enjeu des relations internationales de l’après-guerre.
Les premières frictions:
Bref, entre les alliés la confiance ne règne pas. La volonté de Staline de constituer un glacis autour de l’Union soviétique est évidente. La Pologne, où l’influence soviétique et marxiste élimine systématiquement l’influence occidentale, en fait les frais et cette affaire provoque les premières frictions graves entre Moscou d’une part, Washington et Londres de l’autre. Des deux côtés, le temps est au durcissement. Quand le 5 mars 1946, Winston Churchill, qui n’est plus Premier ministre, évoque dans son discours de Fulton (Missouri) « le rideau de fer qui, de Stettin dans la Baltique à Trieste dans l’Adriatique, s’est abattu sur notre continent », il désigne clairement le danger qui menace le monde : la tyrannie soviétique. Tout en ajoutant qu’il ne croit pas que la Russie désire la guerre, mais les fruits de la guerre et une expansion illimitée de sa puissance et de sa doctrine, il en appelle à la vigilance et au renforcement des nations occidentales. De son côté, l’ambassadeur américain il Moscou, George Kennan, souligne dans un rapport que le premier impératif de la diplomatie américaine à l’égard de l’Union soviétique doit être «de contenir avec patience, fermeté et vigilance ses tendances à l’expansion ». Faut-il faire des concessions aux Soviétiques ou faut-il au contraire les empêcher d’aller plus loin ? Cette dernière orientation finit par l’emporter. L ’esprit de Riga, capitale de la Lettonie – la tendance des diplomates américains comme Charles Bohlen et George Kennan qui ont appris le russe dans les pays Baltes et sont partisans de la fermeté -, se substitue à l’esprit de Yalta qui était celui de la conciliation.
Le passage de l’un à l’autre est symbolisé par la démission du secrétaire d’Etat, James Byrnes, favorable à la poursuite des négociations avec les Soviétiques. Son successeur, nommé le 9 janvier 1947, est le général Mars- hall, ancien commandant en chef des troupes américaines en Chine. Ainsi, quelques mois après la fin de la guerre, les vainqueurs sont désunis, ils ont échoué dans leur tâche qui consistait à bâtir un monde nouveau. Et l’Europe n’est pas le seul terrain de confrontation.