La révolution contre les femmes
La radicalisation de la Révolution :
Au cours de l’année 1793, la composante féminine du mouvement révolutionnaire populaire est très active et prépare les journées insurrectionnelles des 31 mai, 1er et 2 juin 1793.
Le Club des citoyennes républicaines révolutionnaires :
Le 10 mai 1793, est fondé le Club des citoyennes républicaines révolutionnaires, par Pauline Léon, ouvert à toute femme de plus de dix-huit ans qui prête serment « de vivre pour la révolution et de mourir pour elle » ; ses membres appartiennent au petit peuple des ouvrières, des marchandes et des couturières. Très préoccupées par les problèmes de subsistance, les citoyennes républicaines révolutionnaires désignent les femmes comme les gardiennes de la nation, formée par la famille des citoyens dont les femmes sont les mères. Elles se prononcent pour une « déclaration des droits communs à l’un et l’autre sexe » dans lesquels elles incluent les droits politiques. Or le 24 juin 1793, la Convention vote la Constitution de l’an I, expression de la volonté des Montagnards, après l’élimination des Girondins. La formule de 1791 : « La souveraineté appartient à la nation », est remplacée par : « La souveraineté appartient au peuple », défini comme l’universalité des citoyens. Les étrangers, qui vivent et travaillent en France depuis un an, accèdent aux droits de citoyen français s’ils sont jugés avoir bien « mérité de l’humanité ». Cette nouvelle définition ne connaît donc plus de citoyen passif. Pourtant, les femmes sont exclues de la citoyenneté, à la quasi-unanimité ; le député Guyomar fait figure d’exception (brochure d’avril 1793). Nombreuses sont les femmes qui tiennent à prêter serment à la Constitution, au cours de la campagne organisée durant l’été ; par cet acte, elles refusent leur exclusion et la vision d’une nation sexuée.
Après s’être consacrées à la commémoration de Marat, assassiné par Charlotte Corday (1768-1793) le 13 juillet 1793 – occasion pour ces femmes d’insister sur leur fonction reproductrice qui leur permettra d’offrir à la Révolution de nouveaux Marat les républicaines révolutionnaires, qui soutiennent les Enragés, présentent une pétition à la Convention le 23 août 1793 pour réclamer le contrôle populaire de l’exécutif par le biais des sections ; de forts liens unissent donc le club à la sans-culotterie parisienne.
Les femmes révolutionnaires divisées :
Toutes les femmes révolutionnaires ne partagent pas cette radicalisation et certaines s’opposent au jacobinisme des républicaines révolutionnaires. Celles-ci déclarent que l’obligation – sans précision de sexe – de porter la cocarde tricolore, depuis le 3 avril 1793, doit s’étendre aux femmes. Partisanes et adversaires de la cocarde s’opposent, dans de véritables rixes. Pour mettre fin à la « guerre des cocardes », sous la pression, la Convention décrète le 21 septembre 1793 que le port en est obligatoire pour les femmes. C’est là une victoire en faveur de la citoyenneté et aussi une victoire populaire. Elle fait naître une rumeur : les républicaines révolutionnaires exigeraient, à présent, le port obligatoire du bonnet rouge, nouveau stade qui préparerait la demande du port des armes et l’acquisition de la pleine citoyenneté. Les dames de la Halle agressent les républicaines révolutionnaires.
Le féminin en accusation :
Les échauffourées du 28 octobre 1793 (7 brumaire an II) fournissent aux conventionnels l’occasion de préciser leur position sur la participation des femmes au politique, après les avoir exclues de l’armée le 30 avril 1793.
L’exclusion des femmes du politique :
Rapporteur du Comité de sûreté générale, institué par la Terreur, Amar défend, le 30 octobre, l’exclusion des femmes du politique, au nom de leur faiblesse naturelle, accentuée par le manque d’éducation morale. En conséquence, il est déclaré qu’« il n’est pas possible que les femmes exercent les droits politiques » et les clubs et sociétés populaires de femmes sont interdits. Cette décision est approuvée par tous les conventionnels, à l’exception du député Charlier. Le 3 novembre (13 brumaire an II), Olympe de Gouges est guillotinée pour avoir enfreint, par un manifeste en faveur des Girondins, la loi du 29 mars 1793 interdisant les écrits contre-révolutionnaires ; son élimination est aussi une condamnation sans appel des femmes révolutionnaires ; le procureur Chaumette la condamne en tant que « femme-homme », « virago » qui « abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes ». La définition des rôles selon les sexes est alors clairement précisée.
Si le 9 thermidor (27 juillet 1794), la sans-culotterie féminine est inexistante, les femmes redeviennent émeutières au cours des insurrections d’avril et de mai 1795, qui réclament du pain et la Constitution de l’an II. La réponse de la Convention ne se fait pas attendre : le 20 mai 1795 (1er prairial), elle interdit l’entrée des tribunes aux femmes et les fait chasser à coups de fouet de poste ; les décrets du 24 mai 1795 (4 prairial) leur interdisent de pénétrer dans les tribunes de la Convention, d’assister à toute assemblée politique, de s’attrouper à plus de cinq dans la rue.
Le féminin dans l’imaginaire :
Cette exclusion par la loi a été préparée par le dénigrement du féminin, pendant les années précédentes, par la presse, les pamphlets et les caricatures. Ces productions reflètent l’imaginaire masculin, avec un étonnant consensus sur l’échiquier politique. Bacchantes, tribades, prostituées, courtisanes, amazones, grenadières, folles, furies de guillotine assoiffées de sang, harpies plus cruelles que les hommes, les révolutionnaires sont injuriées jusque dans leur intimité; c’est par leur sexualité supposée anormale que l’engagement politique raisonné de toute femme est nié. Aussi, sous ce flot d’injures, se retrouvent pareillement noyées une Théroigne de Méricourt (de son vrai nom Anne-Josèphe Terwagne), ainsi nommée par la presse contre-révolutionnaire, et une Marie-Antoinette. En 1794, l’amazone devient folle; Esquirol (1772- 1840), l’aliéniste qui la soigne, voit dans son aliénation présente la preuve de son aliénation passée, qui explique son engagement politique et se confond même avec lui. Louve autrichienne, tribade aux fureurs utérines, Frédégonde, Marie-Antoinette est traînée dans la boue. La Révolution a tué le roi-père sur îles arguments politiques, elle guillotine le 16 octobre 1793 la reine en tant que mauvaise mère par laquelle le malheur arrive.
Le Moniteur universel du 19 novembre 1793 relie les trois récentes exécutions de femmes : Marie-Antoinette a perdu la vie pour avoir été « une mauvaise mère, une épouse débauchée », Olympe de Gouges pour avoir voulu « être homme d’État », madame Roland (1754-1793) – qui tint salon et défendit des positions girondines – pour avoir oublié « les vertus qui conviennent à son sexe ».
Les perdantes de la Révolution :
Les femmes apparaissent comme les grandes perdantes de la Révolution qui permettait tous les espoirs. Leur sont cependant acquis un statut civil et les mesures qui touchent les membres de la famille sans distinction de sexe : le mariage contrat civil, le divorce (septembre 1792), la suppression de toute inégalité entre héritiers à degré égal (12 mars 1791), celle de la puissance paternelle sur les majeur(e)s. En matière d’éducation, les révolutionnaires défendent une vision sexuée des formations, censée correspondre aux aptitudes de chaque sexe; l’enseignement laïque et obligatoire reste à l’état de principe pour des raisons matérielles et idéologiques : l’éducation maternelle demeure pour les filles le modèle.
La Révolution a fondé l’exclusion des femmes du politique et préparé le terrain au Code civil qui enferme les femmes mariées, mineures perpétuelles, dans la sphère du privé. Toutefois, elle oblige à penser la citoyenneté et la potentialité qu’elle concerne tous et toutes. Si le féminisme ne surgit pas avec la Révolution, celle-ci crée les conditions de sa naissance puisque le conflit entre les sexes cesse de ne s’exprimer que dans des discours contradictoires.