La vie politique française : Mythe et poids des réalités
Loin de la France des citoyens ?
Cette histoire « officielle » n’est-elle pas loin, trop loin, des citoyens ? artificielle, comme il était dit à l’instant de la présence de certaines femmes dans le premier gouvernement Juppé ? N’a-t-on pas —pour reprendre les termes de Christian de Brie d’un côté la « France des princes » et de l’autre celle des citoyens ? « Sans pouvoir invoquer la contrainte extérieure, les socialistes français ont manqué l’occasion de réformer les institutions et les pratiques politiques pour renforcer la démocratie. Mai-juin 1981 : 1,5 million de chômeurs et les “affaires” du régime signent l’échec des conservateurs. Pour la première fois depuis 1958, la gauche conquiert la présidence de la République et la majorité à l’Assemblée nationale. Portés au pouvoir pour sortir le pays de la crise économique et sociale mais aussi pour démocratiser l’Etat, restaurer les vertus républicaines, les socialistes auront échoué sur l’un et l’autre terrain. Pour tenter de justifier la conversion au libéralisme et la politique d’austérité, on invoquera les circonstances, les contraintes internationales et européennes subies par l’économie française. Mais, quant à la réforme de l’État, aucune “contrainte extérieure” n’a pesé sur les institutions. A l’accroissement des inégalités sociales, au développement de l’exclusion, frappant des millions de personnes, répondent le repli sur soi et le délitement des solidarités.
Pour les avoir pertinemment dénoncés lorsqu’elle était dans l’opposition, la gauche connaissait les blocages d’un régime politique aux tentations et dérives plus absolutistes que démocratiques : concentration excessive et confusion des pouvoirs, parrainage et cumul des fonctions, rétention de l’information, pratiques occultes et secret des décisions, faiblesse des contrôles et irresponsabilité. Ces dysfonctionnements qui profitaient si bien à la caste des élites politiques, administratives et privées tenant depuis longtemps le pays sous sa coupe, la gauche sera plus tentée d’en tirer parti à son tour que de les corriger.
À commencer par la présidence de la République où l’auteur du Coup d’Etat permanent reprit le rôle en forme de monologue de ses prédécesseurs, dans la même mise en scène, sans changer la partition ni les décors : personnalisation spectaculaire du pouvoir ; permanence d’un domaine prétendument réservé — défense nationale, affaires étrangères, en particulier africaines et européennes que n’institue ni la lettre ni l’esprit de la Constitution, en dépit de l’intcrprela don complaisante des juristes ; droit usurpé d’intervention dans la gestion di n’importe quelle affaire publique, où les souhaits téléphonés de l’Elysée ont force de loi écrite ; activisme débridé d’une nuée de courtisans et de conseillers du prince aussi irresponsables qu’illégitimes. Avec, pour conséquence, les inévi tables abus des “affaires” chaque fois que le pouvoir n’est pas strictement limité par les exigences de l’esprit public et les règles de PEtat de droit.
À défaut d’avoir tenté d’établir séparation, équilibre et responsabilité des pouvoirs qui fondent la légitimité d’un État démocratique, les socialistes auront réussi à dépouiller celui-ci d’une part de ses prérogatives et de sa souveraineté. Délibérément, au profit des collectivités locales, par les lois de décentralisation votées en 1982-1983, complétées dix ans plus tard Plus que les mesures sociales des premiers mois — cinquième semaine de congés payés, retraite .1 soixante ans, lois Auroux (1982) —, elles resteront sans doute la grande réforme de la gauche. Insensiblement, avec le transfert massif de compétences opéré par l’Acte unique de 1985 puis par le traité de Maastricht de 1992. Au profit de la Communauté européenne, au détriment de la législation parlementaire et de l’initiative gouvernementale
Reste à expliquer pourquoi la participation des citoyens aux décisions qui les concernent n’a guère progressé au cours de la période. Cela tient d’abord à la faiblesse des liens reliant les socialistes au “peuple de gauche” qui les a portés au pouvoir. Alors que celui-ci, à l’image de la population active, est composé pour les deux tiers d’employés et d’ouvriers, on n’en retrouve guère dans les instances dirigeantes du parti, pratiquement aucun dans la représentation parlementaire, moins encore au gouvernement.
Eu égard à leur base sociale et électorale, la faiblesse endémique des effectifs syndicaux, comme celle des adhésions au Parti socialiste, ont constitué un obstacle majeur. Le tournant de la rigueur, la mise en place de politiques d’austérité puis de désinflation compétitive, dont ouvriers et employés sont les victimes désignées, vont provoquer une véritable hémorragie laissant exsangues syndicats et partis. Déserté par un grand nombre de militants de base qui s’étaient activement mobilisés dans les premières années, le Parti socialiste tend à se réduire à un rassemblement de permanents et d’élus constitué en machine électorale disputée entre quelques ténors ».
N’a-t-on pas, d’un côté et de l’autre, « un pouvoir politique de plus en plus subordonné à la loi des marchés, dont il feint de s’affranchir le temps d’une campagne électorale, un pouvoir économique soumis à la logique de la mondialisation imposée par “les nouveaux maîtres du monde”, l’un et l’autre pataugeant dans un magma d’affaires de corruption mettant en cause les plus grands dirigeants d’entreprise et des responsables et notables politiques de tous bords, entretenant une collusion permanente pour l’octroi d’aides financières et fiscales. »L’indifférence est bien visible avec le référendum sur le quinquennat du 24 septembre 2000. Le taux d’abstention est énorme, battant tous les records nationaux : 69,68 %, le pourcentage n’avait été « que » de 63,11 % n 1an 1 ’clciendum nui I.i Nouvelle Calédonie. Le nombre des bulletins nuls 1 blancs est considérable. ( crics, le « oui » l’emporte (73,15 % des suffrages) et le quinquennat remplace le septennat, vieux de 127 ans.
La part des femmes
I .1 part des femmes est une problématique qui souligne bien les difficultés I » mi la « vie » politique française à correspondre réellement à la réalité. Faudra- 1 il recourir au référendum demandé par Gisèle Halimi ?« S’habituer au scan- ilalc tic la sous-représentation des femmes dans la vie publique est le signe d’une 11naine dégénérescence des vertus démocratiques. Le justifier par la lenteur de I 1 volution des mentalités reflète une tendance à la mauvaise foi. Le déplorer sans Ienter d’y remédier, ou s’y résigner en attendant le miracle, révèle un attachement tout relatif aux principes de la République. Constat accablant, en effet, à l’entrée de ce troisième millénaire : l’égalité, proclamée en France et dans le monde, a engendré une réalité sans rapport, voire contraire à ce principe. »
Une droite extrême issue de la « désespérance populaire »
Mais, et ce n’est pas une surprise pour le lecteur, il est une formation politique dont le chef a le 30 mai 1997 agressé physiquement une femme, candidate aux législatives, Annette Peulvast-Bergeal, qu’il a ensuite moquée en tant que femme dont l’envol s’explique par l’exploitation de la crise sociale — la désespérance populaire » au nom de la démocratie politique.
La création du FNUF (Front national pour l’Unité française) remonte au 5 octobre 1972. La dissolution d’Ordre nouveau (28 juin 1973), permet à Le Pen de prendre le contrôle du FN. Pour l’élection présidentielle de mai 1981, Le Pen n’avait pu recueillir les 500 signatures de maires nécessaires pour être candidat. Aux législatives suivantes, le parti n’obtient que 0,35 % des voix.
En 1984, invité le 13 février, pour la première fois, à « L’Heure de Vérité », sur Antenne 2, Le Pen atteint un record d’audience. Le 17 juin, la liste qu’il mène aux européennes obtient 10,95 % des suffrages, ce qui assure l’élection de 10 députés FN. Deux ans plus tard, grâce au scrutin proportionnel, le FN entre à l’Assemblée nationale, où il forme un groupe de 35 députés, et dans les conseils régionaux, où il compte 137 élus.
Le président du FN obtient 14,39 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle de 1988 qui ne compte plus qu’une députée, laquelle rejoint bientôt l’UDF.
Depuis sa percée sur la scène politique française lors îles élections européennes de juin 1984 jusqu’à son éclatement de 1998″, la progression du Front national aura été continue, à la seule exception des élections européennes de juin 1994, où le FN aura enregistré un tassement ( 10,5 % contre I 1,7 % eu 1989), notamment sous l’effet de la concurrence de la liste de Philippe de Villiers, qui avait alors recueilli 12,3 % des voix. C’est 1995 qui a été l’« année faste » (Jérôme Jaffré) pour le FN, avant même le second tour des élections municipales. Ses résultats électoraux, tant à la présidentielle qu’aux municipales, bouleversent la plupart des idées reçues sur les caractéristiques de son vote, l’enracinement du mouvement et sa pérennité. La barre des 15 % des voix dans une élection nationale sur l’ensemble du territoire n’avait jamais été franchie par le mouvement dans aucun scrutin depuis sa percée de 1984. A la présidentielle de 1988, son score éclatait comme un « séisme », pour reprendre le terme employé sur le moment par Le Pen, avec 14,4 % des voix. Aux régionales de 1992, il recueillait 13,9 %, aux législatives de 1993 12,7 %. Or, au premier tour de la présidentielle de 1995, Le Pen dépasse pour la première fois la barre des 14 % (15,3 %) des suffrages exprimés en métropole : 4,5 millions de Français ont voté pour lui et le vote FN devient alors le vote dominant au sein de la classe ouvrière !
Le Front national est sorti en 1995 des frontières traditionnelles de l’extrême droite. D’autant plus que beaucoup d’électeurs ont manifestement voté en 1995 FN pour avoir un maire FN. Le vote FN n’est plus protestataire, il n’est plus une flambée populiste et démagogique, il repose sur une assise locale, il y a des leaders frontistes, qui se déchireront en 1998…« Le score élevé (15,07 % des suffrages exprimés) réalisé lors du premier tour de l’élection présidentielle française du printemps [1995] par le dirigeant du Front national n’aura été une surprise que pour ceux qui, régulièrement, prédisent le déclin de cette formation. […] Manifestation d’une révolte impuissante habilement exploitée par le discours de Jean-Marie Le Pen, la percée électorale du Front national chez les ouvriers et les employés qui représentent en 1995 près de la moitié de son électorat, contre moins d’un tiers en 1988 sanctionne l’attitude des responsables politiques de la gauche qui, pendant des années, ont conduit l’offensive contre les milieux populaires.
En 1988, c’est parmi les catégories moyennes traditionnelles et travailleurs indépendants (agriculteurs, artisans et commerçants, professions libérales) que le chef du Front national réalisait ses meilleurs résultats. Près d’un artisan ou commerçant sur trois avait alors voté pour lui. Sept ans plus tard, les agriculteurs, artisans, commerçants et les membres des professions libérales ne sont proportionnellement pas plus nombreux que la moyenne de l’électorat à pencher vers l’extrême droite. C’est qu’entre ces deux dates une partie de cet électorat a été accaparée par de Villiers.
Mais si le dirigeant du FN a perdu des voix dans les classes moyennes traditionnelles, il en a incontestablement gagné au sein du prolétariat : employés Dans cette dernière catégorie, Le Pen, avec 1 %, vient même largement eu tête, loin devant Lionel Jospin (21 %) et Robert I lue (15%). bref, en 1988, Le Pen était le champion de la “boutique”; en IW5, il est celui de l’atelier.
C’est cette progression, déjà en partie perceptible lors des élections régionales de 1992 et des élections législatives de 1993, qui est le fait le plus notable du dernier scrutin présidentiel. […] C’est sur lui que pèsent les effets les plus massifs de | la J crise : le développement du chômage et de la précarité, la baisse du pouvoir d’achat, le démantèlement rampant du système public de protection sociale, la restriction de possibilités déjà limitées d’ascension sociale, la relégation dans des banlieues déshéritées, l’extension de la vulnérabilité et de l’exclusion. À cela, une raison essentielle : la crise du mouvement ouvrier, qui a pris en France un tour singulier et particulièrement aigu, et la remise en question du compromis social d’après-guerre dans le cadre d’une transnationalisation accélérée des économies.
C’est auprès de [la] base populaire trahie et abandonnée par les siens, que le discours du FN a rencontré une audience grandissante. Car il a su exploiter la peur et l’angoisse, le profond sentiment d’insécurité, la dégradation de l’environnement matériel et social (services publics et équipements collectifs), la désocialisation due au sous-encadrement associatif, syndical, politique, administratif, particulièrement dans ces zones de relégation que sont devenues certaines banlieues.
Deux aspects de cette peur doivent tout particulièrement être pris en considération. D’une part l’attachement des milieux populaires à la propriété de biens matériels (notamment l’automobile et le logement) souvent durement acquis et de ce fait hautement symboliques, qui ne peut que donner prise à l’obsession sécuritaire face à la montée de la petite délinquance. D’autre part, et surtout, la peur du déclassement et l’obsession de se distinguer du sous prolétariat se sont intensifiées avec la multiplication des “sans-domicile-fixe” et des “nouveaux pauvres”.
Par son pathos caractéristique, le discours lepéniste a su exploiter le ressentiment populaire : cette sorte de révolte passive sans objectifs définis ni moyens accessibles que ne peut manquer d’engendrer une situation vécue comme profondément injuste et à laquelle il est pourtant devenu impossible de se soustraire. »
Longtemps, la popularité de Le Pen, les sondages le montrent, ne pâtit pas de % ses provocations verbales, en général imposées à l’opinion fin août-début septembre, Le Pen dénonçant une cabale de rentrée, alors qu’il est lui-même à l’origine des polémiques. Toutefois, à partir du second semestre de 1997, les sondages montrent la dégradation de l’image de Le Pen, au profit de celle de Mégret, plus « lisse ». Un instant isolé au sein du Front national, Bruno Mégret a imposé sa stratégie de séduction de la droite classique, opérant une reconquête, orchestrée par des fidèles issus de multiples courants de l’extrême droite, de l’OAS au Club de l’Horloge. Au même moment, l’électorat RPR-UDF est de moins en moins insensible aux thèses du FN, le sentant peu comme un danger pour la démocratie.
Vidéo : La vie politique française : Mythe et poids des réalités
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : La vie politique française : Mythe et poids des réalités