Le dévonien
La fermeture du Iapetus provoque la collision de la Baltica et de la Laurentia ; leur réunion au dévonien forme la Laurussia, également appelée le « Continent des Vieux Grès Rouges », et provoque la surrection d’une importante chaîne de montagnes : la chaîne calédonienne.
L’océan Rhéique commence à se refermer, rapprochant l’Avalonia (désormais soudée à la Laurussia) de la Nigritia.
Les plantes et animaux continentaux (essentiellement les poissons d’eau douce) deviennent d’intéressants
objets d’étude pour les paléobiogéographes qui distinguent plusieurs royaumes à partir de ces poissons au début du dévonien.
L’Euramérique (Laurussia et Avalonia) est caractérisée par des ostéostracés ; la Sibéria est peuplée d’amphiaspidés ; le sud de la Chine est habité par des galeaspidés et
des yunnanolepidés tandis que les côtes nigritiennes (incluant le sud de l’Europe) ont aussi un peuplement particulier.
Le provincialisme diminue au cours du dévonien :
ainsi les poissons phyllolepidés nigritiens envahissent-ils l’Euramérique à la fin de cette période, quand se ferme l’océan Rhéique. La diminution de l’endémisme des
formes marines au cours du dévonien est liée à l’augmentation du niveau des mers qui va noyer un certain nombre de barrières émergées ; celle des animaux continentaux est due, quant à elle, aux collisions continentales.
Une importante extinction survient au dévonien supérieur (plusieurs groupes de poissons dont les ostéostracés, les hétérostracés et les placodermes vont alors disparaître).
Une fraude scientifique
Dans le nord du Vietnam, de riches gisements de vertébrés du dévonien inférieur ont livré une intéressante ichthyofaune endémique que l’on
retrouve dans le sud de la Chine. Les agnathes sont représentés par un groupe inconnu ailleurs : les galéaspidés, au bouclier céphalique aplati muni de curieux appendices. Ces poissons possédaient un large orifice dorsal entre les yeux, dont la fonction olfactive semble avoir été primordiale.
Les ichthyofaunes asiatiques du dévonien furent découvertes en 1915 par le géologue français Jacques Deprat, et furent interprétées avec justesse comme des poissons sans mâchoire (il s’agissait en fait des premiers spécimens de galéaspidés). Mais Deprat fut bientôt accusé de fraude scientifique par certains de ses collègues affirmant que des trilobites cambriens et ordoviciens indochinois qu’il disait avoir récoltés provenaient en fait d’Europe ! Malgré ses dénégations l’establishment géologique se déchaîna contre lui : il fut révoqué de son poste au Service géologique d’Indochine en 1919 et radié de la Société Géologique de France, pour cause d’indignité, par un « jury d’honneur » composé de mandarins de la géologie, parmi lesquels se trouvait un seul spécialiste de trilobites, Jules Bergeron.
Ce dernier, qui ne croyait guère aux accusations contre Deprat, mourut une semaine avant le « procès » qui conclut à l’unanimité à la culpabilité de Deprat.Le principal argument contre Deprat mérite d’être évoqué ici, car il illustre bien certains préjugés plus fréquents qu’on ne pourrait le croire dans le monde scientifique : pour les accusateurs, il était « inadmissible et, à tout le moins, invraisemblable que l’on pût trouver en Asie des espèces de trilobites du Cambrien d’Europe ». Ce n’est qu’en 1991, plus d’un demi-siècle après sa mort, que Deprat fut réhabilité, car on a retrouvé dans certains gisements asiatiques des trilobites très proches des formes européennes. De fait, nul ne s’avisa de retourner en Asie constituer des collections sur les indications douteuses d’un
« triceur ».
Ce furent donc les paléontologues chinois qui eurent tout loisir, dans les années soixante, de décrire l’exceptionnelle faune asiatique du dévonien. Dans les années 1970, les géologues vietnamiens retrouvèrent les sites de Deprat, et confièrent leurs découvertes pour étude au paléontologue russe Obruchev (le Vietnam et PUR.S.S. étaient dans ce temps des pays frères). Mais les relations sinorusses étant alors au plus bas, Obruchev n’avait pas idée des travaux de ses collègues chinois. 11 ignorait donc tout des galéaspidés, et rapporta les poissons vietnamiens à des formes euraméricaines classiques… Ce n’est finalement que dans les années quatre-vingt que le paléontologue français Philippe Janvier put étudier le matériel vietnamien et déterminer sa vraie nature cela démontre que l’autarcie scientifique au temps de la « guerre froide » a rendu délicates les interprétations paléobiogéographiques, car elles impliquent de travailler sur des faunes à l’échelle mondiale.
Un autre type d’attitude scientifique a induit des interprétations biogéographiques fâcheuses. Ainsi, dans les années soixantedix et quatre vingt, un paléontologue indien de l’université de Chandigarh décrivit de très nombreuses formes dévoniennes aux affinités tantôt chinoises, tantôt euraméricaines, originaires de l’Himalaya. En réalité, ce matériel provenait d’Amérique du Nord et de Chine. 11 s’agissait, cette fois, d’une véritable fraude scientifique !