Les effets de la première guerre mondiale sur le genre: Le retour à la normale
De la louange à la critique :
Emphatiques, moralistes, les discours font des femmes les gardiennes des valeurs et du foyer et les louent de participer à la sauvegarde de la France. Les journaux leur emboîtent le pas mais tous précisent, clairement ou en filigrane, que les femmes remplacent provisoirement les hommes. L’approche de la fin du conflit voit converger les rappels du caractère exceptionnel de la situation et les critiques sur les femmes. Elles s’inscrivent dans le soupçon qui pèse sur l’arrière, profiteur du conflit pendant que les poilus se meurent dans les tranchées. Les hauts salaires féminins, la liberté des femmes, vite confondue avec l’infidélité, leur soi-disant coquetterie de bas de soie sont mis à l’index. La crainte des hommes va au-delà de la peur de la concurrence ; elle se fixe sur le brouillage des rôles dans le public comme dans le privé. Repérable dans les courriers des soldats, elle s’exprime dans l’éclosion d’une littérature misogyne et antiféministe à laquelle applaudissent les censeurs, les lecteurs attachés à la tradition de la différence des sexes, le public d’un théâtre vaudevillcsque qui montre, à plaisir, la femme frivole, futile, infidèle dès que la censure laisse libre court à ces écrits, interdits au cœur du conflit pour ne pas démoraliser les troupes. La conviction d’une masculinisation des femmes par le travail retrouve de la vigueur, soutenue par des théories médicales selon lesquelles l’identification des femmes aux hommes peut conduire à une destruction du foyer. Peu importe les travailleuses et les femmes, seules comptent les mères qui vont avoir la lourde charge de repeupler la France exsangue, de sauvegarder la race.
Le retour au foyer des femmes :
Au « pourvu qu’elles tiennent » de l’année 1917 succède un « les femmes à la maison ». Peu après l’armistice, 500 000 des 600000 femmes employées dans l’armement sont remerciées par l’État; la démobilisation féminine est souhaitée dès le 13 novembre 1918, elle devient officielle en janvier 1919. La reconversion d’une économie de guerre en une économie de paix passe par le renvoi des femmes au foyer et la reprise par les hommes de leurs anciens postes, vue théorique qui ne tient nullement compte des pertes masculines sur les champs de bataille mais cherche à gommer les blessures morales et les humiliations subies par les soldats par un retour pur et simple à l’avant- guerre. Pourtant, le dépassement des frontières de sexes laisse des traces : les femmes ont acquis une autonomie, ont prouvé et se sont prouvé qu’elles n’étaient pas des êtres faibles et qu’elles pouvaient assumer responsabilités et travaux, qu’elles pouvaient mener de front activité salariée et vie familiale, tournant ainsi le dos au traditionnel cycle du travail féminin. En dépit de cette prise de conscience, les femmes rentrent au foyer, sans résistance. Ce consentement étonnant s’explique peut-être par une survalorisation de la maternité.
Une différence des sexes accentuée :
Monuments aux morts, médailles posthumes, tombe du soldat inconnu… la France rend hommage au sacrifice des combattants ; de temps à autre, la silhouette d’une mère complète la statuaire à la gloire de l’homme, cet éternel soldat. La femme, elle, est mère; du reste, on lui invente alors une fête; la maternité est sa nouvelle mobilisation, réponse à l’impôt du sang versé par les hommes. Aussi les femmes ne seront-elles pas citoyennes.
En 1920, la Chambre dite « bleu horizon » vote la loi réprimant « la provocation à l’avortement et à la propagande anticonceptionnelle », elle sanctionne donc une intention et assimile avortement et mesures contraceptives.
Cette atmosphère explique le scandale que provoque en 1922 la parution du roman de Victor Margueritte, La Garçonne, lu par 20 % des Français et traduit en douze langues. Son héroïne, Monique Lerbier, cheveux courts et silhouette longiligne, refuse un mariage avec un fiancé qui la trompe, rompt avec sa famille, devient décoratrice et assume une liberté sexuelle qui passe par le plaisir lesbien, à la mode dans les années 20, et la vengeance sur les hommes. Mais Monique retrouve « le droit chemin » en épousant un ancien combattant. L’inversion des rôles, la confusion des genres déchaînent les hostilités de toutes parts, de la très catholique Ligue des pères de famille aux féministes qui défendent la féminité contre la masculinisation des femmes, en passant par une extrême droite particulièrement virulente. La gauche est, elle, divisée : elle défend la liberté d’expression mais critique le contenu du roman, les communistes réaffirment que la question des femmes sera résolue par la fin du capitalisme, seuls les syndicalistes révolutionnaires de la CGTU défendent La Garçonne.