Magie en Afrique : Le pouvoir des chefs
Au royaume d’Akuapem, l’année prend fin et commence avec l’odwira (« purification »). Seule la conclusion de cette fête annuelle, célébrée au mois de septembre, autorise la consommation de la nouvelle igname, l’aliment traditionnel des Akan. Les habitants d’Akuapem disent : «Nous lavons avant de mangen »
Conforme à l’idéologie qu’il reflète, l’odwira est considéré comme aussi intemporel et immuable que les ancêtres royaux, leurs sièges noircis et le roi lui- même. L’odwira célèbre la continuité sans rupture du royaume, de la monarchie et de ses structures « naturelies » de pouvoir. La réalité fait cependant apparaître une image différente : depuis la fondation du royaume vers 1730, différentes factions se sont disputé le pou-voir au sein d’Akuapem. Outre les querelles intestines dans une même dynastie, l’unité du royaume fut à plusieurs reprises menacée par la volonté de certaines communes de faire sécession. Ces tensions ont leur origine, entre autres, dans l’interprétation de certainsévénements historiques qui varie d’un groupe à l’autre, ce qui revient à mettre en cause le pouvoir légitime du roi qui réside àAkuropon. Pendant la période coloniale, la politique de pacification que les Britanniques tentèrent de mettre en œuvre a conservé ces structures de pouvoir bien fragiles. Mais encore récemment, des troubles ont éclaté à plusieurs reprises dans la région. En 1994, le conflit a atteint son point culminant lorsque plusieurs communes se sont ouvertement révoltées contre le roi. Depuis, aucun de leurs représentants n’a participé à l’odwira qui a lieu dans la capitale. En revanche, ces communes célèbrent désormais leur propre fête, afin de manifester leur pouvoir et leur autonomie.
Or, officiellement, il n’existe qu’un seul roi sacré en Akuapem. C’est lui qui fait le lien entre les ancêtres, les vivants et ceux qui ne sont pas encore nés ; sa personne incarne – idéalement — l’unité et la cohésion du royaume. Le roi joue un rôle crucial lors de la célébration de l’odwira, dont la monarchie et le souverain lui-même sortent régénérés. A Akuropon, les festivités s’étalent sur deux mois et culminent en une semaine mouvementée. Tout se passe alors comme si l’histoire de la monarchie était découpée en événements singuliers avant d’être recomposée. Ayant subi une mort symbolique, le roi renaît, plein d’une nouvelle vigueur.
Le mercredi précédant cette semaine de fête, on met de côté les sièges noircis des ancêtres royaux : ils «reposeront» jusqu’au début de la semaine de l’odwira. Dès ce moment, il est interdit d’utiliser les tambours, c’est-à-dire d’organiser des funérailles, mais aussi de consommer de l’igname. Dans la matinée du lundi de la semaine de fête, les serviteurs du roi nettoient la route qui mène au lieu où l’on conserve les os des ancêtres royaux. Ils préparent ainsi Lors de l’odwira, l’« enfant âme » porte une coiffe composée de plumes d’aigle et de fragments de peau de léopard et de crocodile, cousus à l’aide d’un fil en or. Son front est paré des cornes d’un bélier couvertes d’or. Cet enfant qui habite au palais a pour fonction de protéger le roi contre tout danger, en goûtant, par exemple, aux mets royaux. Jadis, il était mis à mort après le décès du souverain.
l’entrée de ces derniers dans la ville. Le mardi, on expose au grand jour la nouvelle igname. Dès l’aube, on lave les sièges « blancs » dont se servent le roi et ses conseillers. Puis, les anciens de la ville, accompagnés de deux tambours, se rendent au mausolée royal. Le premier gardien des tombeaux, le banmuhene, enlève un peu de terre aux tombes ancestrales et raccompagne les visiteurs vers la ville. Le cortège entonne des chants guerriers, s’arrêtant brièvement sur les lieux de commémoration historique. Dès que la pro¬cession entre dans Akuropon, l’interdit de battre les tambours est levé. Ceux-ci annoncent alors bruyamment que l’odwira a commencé. Puis le roi, qui s’est tenu à l’écart dans sa résidence, est soumis à un rituel à l’effet dramatique spectaculaire. En tenue de deuil, il se retire derrière un écran de tissus, où le banmuhene le frotte avec la terre provenant des tombes : le roi vivant est reçu parmi les ancêtres. Son pouvoir ainsi renouvelé, il se présente un peu plus tard en grande tenue à la foule. L’heure est venue où les ancêtres régnent sur la ville et sur la résidence. L’ordre quotidien a perdu son équilibre : lorsque le roi se tient comme entre la vie et la mort, son royaume est ébranlé.
La nouvelle année commence le mercredi de la semaine de l’odwira. C’est un jour de deuil : partout dans la ville, on entend le roulement des tambours et les chants funèbres. Ce jour-là, la vie se déroule à l’envers du quotidien : on jeûne en buvant, les femmes chantent des chansons paillardes, et il règne une certaine licence. L’anarchie a fait son entrée dans Akuropon. Le roi apparaît non pas en souverain clément et généreux, mais dans le rôle de ses ancêtres- conquérants, en guerrier terrifiant, paré de nombreuses amulettes. Minuit passé, un cortège de jeunes hommes porte les sièges ancestraux noircis jusqu’à la rivière où on les lave pour enlever la « souillure » qui s’y est accumulée au cours de l’année écoulée.
Au lendemain de ce jour ténébreux associé à la mort, la vie reprend ses droits : le jeudi matin, à l’aube, on met à mort de nombreux moutons, symboles de la paix chez les Akan. Leur viande sert au repas festif que l’on prépare avec l’oto, de l’igname qui n’est pas réduite en bouillie blanche par une cuisson comme d’habitude, mais qui est broyée et servie « rouge » ou « blanche », avec ou sans huile de palme. L’oto est considérée comme la nourriture des dieux, des ancêtres et des âmes. Puis on remet les sièges ancestraux noircis à leur place et on les «nourrit ».
La nuit suivante, la ville ferme ses portes aux étrangers. C’est alors qu’ont lieu des rites secrets en l’honneur des dieux. On apaise les esprits des morts pour que les ancêtres et les vivants puissent désormais coexister en paix. Le vendredi, tous ceux qui détiennent une charge publique dans le royaume doivent se présenter à la cour. Pendant qu’ils s’y préparent, le roi est discrètement emmené depuis sa résidence jusqu’à la périphérie, point de départ de son entrée solennelle dans la ville, qui est une mise en scène de son opulence et de son pouvoir. A la fin du parcours, il monte sur une plate-forme, érigée devant la résidence royale. La paix est rétablie et tous les assistants se souhaitent une bonne année. Par leur présence, les princes et les chefs de village renouvellent au roi le serment de fidélité qu’ils avaient prêté au moment de leur investiture. Jadis, ils avaient juré de répondre à l’appel du roi, « qu’il pleuve ou que le soleil brille » – promesse qui, aujourd’hui, n’est plus tenue par tous.
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