Méditerranée : Grenade Au XVe siècle
les bouleversements, intervenus notamment en Méditerranée orientale, qui permirent aux Italiens de prendre le contrôle de la mer Intérieure. Des liens furent également établis avec la mer Noire, qui fournissait les produits de la forêt venus des steppes asiatiques, des céréales de Crimée et d’Ukraine ainsi que des noisettes de Trébizonde. Un autre changement déterminant survint en 1277, à l’autre extrémité de la Méditerranée : des vaisseaux réussirent à franchir le détroit de Gibraltar vers l’Atlantique, pour gagner l’Angleterre et les Flandres d’où ils revenaient chargés d’étoffes et de laine brute (le XIVe siècle fut à Florence l’âge d’or du textile). Tout comme le bassin oriental de la Méditerranée, l’Occident était devenu le champ de bataille où s’affrontaient chrétiens et musulmans. Jusqu’en 1492, un État islamique contrôlait encore Grenade et les deux ports florissants qu’étaient Malaga et Almeria. Jusqu’à ce que Gibraltar passe aux chrétiens en 1462, ce rocher fut généralement occupé par des Marocains (les berbères Marinides) ou par les Nasrides de Grenade. Le grand port musulman de Ceuta, face à Gibraltar, était également très convoité et changeait sans cesse de main. Dans le détroit de Gibraltar, pas moins de six puissances rivales s’affrontaient. Les Marocains cherchaient à prendre pied dans le sud de l’Espagne.
Très habilement, les Grenadins les dressèrent contre les Castillans afin de préserver leur fragile indépendance. La marine catalane du roi d’Aragon intervenait, changeant sans cesse d’alliés. S’unissant tantôt aux chrétiens tantôt aux musulmans, elle était soucieuse de préserver le libre accès au détroit. Les Génois adoptèrent la même attitude. Les Portugais débarquèrent sans crier gare en 1415 et s’établirent dans le grand port musulman de Ceuta, qui connut une décadence économique et démographique immédiate. Cette tête de pont leur coûta d’autant plus cher qu’ils ne tirèrent aucun profit, contrairement à ce qu’ils avalent escompté, du trafic de l’or et de la sole. On estime que la chute de Ceuta (qui, depuis, est restée aux mains des Ibères, après son transfert à l’Espagne en 1656)
marque la première étape de l’expansion du Portugal, de la création d’un réseau commercial et de la construction de l’Empire qui allait bientôt relier Lisbonne, et même Anvers, aux Indes sans passer par la Méditerranée. Toutefois, il ne fait pas de doute que la cour portugaise, et notamment l’enthousiaste prince Henri « le navigateur», considérèrent la chute de Ceuta comme le signe que le lointain royaume ibère était entré dans la guerre contre l’islam, de laquelle il avait été isolé faute de frontière commune avec un État musulman depuis la moitié du XIIIe siècle. Le Portugal espérait s’emparer d’une partie du Maroc et du royaume de Grenade, bien que les Castillans fussent prioritaires dans la région (tandis que l’Aragon-Catalogne s’était réservée la future conquête de l’Algérie). En 1497, les Castillans concrétisèrent leurs convoitises sur le Maroc en prenant Melilla, aujourd’hui encore sous domination espagnole.
Il est tentant de penser que Grenade et le Maroc, territoires musulmans, s’opposaient à la Castille, au Portugal et à l’Aragon chrétiens. Pourtant, l’économie de Grenade était de plus en plus dominée par les négociants génois, florentins et catalans, sans lesquels les revenus de cet État auraient été bien inférieurs et n’auraient pas permis à l’Alhambra de voir le jour. Almeria et Malaga mettaient à la disposition des commerçants occidentaux de la soie, des fruits secs et des articles de cuir. La poterie de Grenade figurait aussi parmi les produits très demandés dans le Nord de l’Europe, de même que les céramiques hispano-mauresques produites dans le style maure à Valence. Au XIe siècle, des services de vaisselle entiers étaient décorés d’armoiries et régulièrement expédiés, via Gibraltar, à une clientèle royale ou noble en Angleterre et dans les Flandres. La région de Valence jouait un rôle économique similaire. Bien que royaume chrétien sous autorité aragonaise depuis les années 1230, Valence abritait une importante communauté d’artisans et d’agriculteurs maures qui produisaient du riz, des fruits et des céramiques à destination de clients vivant dans des pays aussi éloignés que l’Angleterre. Au XVe siècle, cette cité connut un essor spectaculaire. Elle devint une escale incontournable pour les vaisseaux qui traversaient l’Atlantique et bénéficia d’importants investissements de la part des Génois, des Milanais, des Flamands et des Allemands, avides d’acheter son sucre, ses céramiques, ses fruits secs et son riz pour les exporter vers les contrées du nord de l’Europe. Des banquiers allemands de Ravensburg allèrent jusqu’à acquérir leurs propres plantations de canne à sucre du côté de Valence, où ils employaient des Maures. Parallèlement, un trafic régional intensif reliant des ports sis sur les côtes espagnoles acheminait des quantités importantes de poissons péchés dans le golfe de Gascogne à Barcelone, Valence et Lent. Il en allait de même du bois que l’on chargeait sur la Costa Brava à destination des chantiers navals de Barcelone ou des céréales cultivées dans le sud de la France. Vers 1450, la spécialisation régionale privilégiant la production de denrées alimentaires, de matières premières et de biens manufacturés stimula un renouveau commercial qui s’appuya sur le commerce local. Les historiens remettent de plus en plus en cause le déclin économique qu’auraient connu la Catalogne ou la Sicile.
Autre évolution de taille : le regain d’intérêt pour Grenade et d’autres régions pourvoyeuses de sucre et de fruits secs qui s’étendaient en Méditerranée occidentale et sur la façade est de l’Atlantique, à une époque où l’accès aux marchés orientaux, qui fournissaient traditionnellement ces marchandises, était rendu difficile par les invasions turques.
Ainsi Grenade, Valence et la Sicile se substituèrent à la Syrie comme fournisseurs de sucre de qualité. En même temps, on préféra aux importations de raisins en provenance de Grèce ceux de Grenade et de Valence. Un changement important était intervenu en Méditerranée au cours du XVe siècle : les sources d’approvisionnement en denrées de luxe s’étaient déplacées vers l’ouest. Ce glissement allait en effet au-delà du détroit de Gibraltar pour atteindre des territoires nouvellement découverts : Madère, les Açores et les îles Canaries qui possédaient leurs propres plantations de canne à sucre. Enfin, au XVIe siècle, les Caraïbes et le Brésil devinrent de nouveaux centres de production de sucre.
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