Méditerranée : Livourne et Smyrne au XVIIe siècle
Au XVIIe siècle, on assista à l’essor de deux grandes villes marchandes qui tirèrent profit dé cette époque chaotique et violente. Livourne et Smyrne (l’actuelle Izmir) jouirent de la même aura que Venise et Gênes du temps des républiques maritimes italiennes. Le port de Livourne (Leghorn), à l’origine un petit bourg abritant cinq cents âmes, au milieu du XVIIe siècle en comptait douze mille. Il fut fondé par les Médicis de Florence, une famille qui prospéra notamment en trouvant des solutions originales aux problèmes de l’époque. Du temps de leur gloire, Gênes et Venise avaient adopté une réglementation portuaire qui favorisait leurs propres marchands et vaisseaux, au détriment des autres (ainsi un marchand crétois, Costa Michel, parvint à acheminer une cargaison de poivre à Venise au début du XIVesiècle, mais sa cargaison fut saisie car son nom n’apparaissait pas sur la liste des citoyens de la Sérénissime) Toutefois, au XVIIe siècle, la capacité navale et la vitalité commerciale des traditionnelles villes portuaires italiennes étaient en déclin. Il s’agissait non plus d’exclure mais d’attirer les étrangers dans les ports. Cette politique fut difficilement envisageable dans les prestigieuses cités comme Venise, où la hiérarchie était déjà bien établie et où l’on refusait tout privilège aux étrangers afin de protéger les marchands locaux.
Livourne , »la cité idéale »
Les Médicis promurent également avec habileté le port franc de la cité. La marchandise en transit était libre de droits et les marchands étrangers établis à Livourne étaient favorisés. Une importante crise céréalière, qui frappa la Méditerranée et la péninsule italienne, profita à Livourne. Pour la première fois, des cargaisons de céréales d’Europe du Nord (Allemagne, Pologne, Angleterre) étaient largement acheminées et le grand-duc de Toscane était à l’avant-garde de ce commerce. En 1590, il fut le premier dirigeant italien à envoyer des agents à Dantzig (puis à Venise). Au fil du temps, Livourne devint la plaque tournante du négoce de céréales. Bien entendu, les marchands du nord étaient également invités à s’y établir. Ainsi, le nouveau port devint le lieu favori des Anglais qui le baptisèrent « Leghorn ».
Livourne bénéficia du transit de marchandises entre l’Orient et l’Occident, mais exploita aussi sa proximité avec les ports nord-africains. S’étant développée au XVIIesiècle, la cité fut profondément impliquée dans l’économie corsaire qui prospérait en Méditerranée. Un rapport vénitien datant de 1624 explique son fonctionnement : « Les marchands livournais, corses, génois, français, flamands, anglais, juifs, vénitiens et autres s’installaient en Algérie et en Tunisie. Ils achetaient toutes les marchandises volées et les envoyaient dans le port franc de Livourne, d’où elles étaient écoulées dans toute l’Italie. » Cette activité, connue de tous, n’était pas rendue publique, pour d’évidentes raisons. Officiellement, les Médicis soutenaient les Croisades chrétiennes contre les infidèles malgré la tolérance religieuse de mise à Livourne. Le port était le siège des chevaliers de Santo Stefano, ordre fondé en 1562 et fortement inspiré de celui de Malte. Les attaques des chevaliers fournissaient Livourne en esclaves turcs ou nord-africains dont le trafic était fort lucratif. Cosme II de Médicis (1609-1621) veillait à ce que dix galères fussent toujours prêtes pour mener de tels raids. En 1607, pour ne citer qu’un exemple, les chevaliers brûlèrent Annaba (Bône), le principal port marchand à l’est d’Alger, tuant quatre cent soixante-dix personnes et faisant mille cinq cents captifs.
Smyrne(Izmir)
Le port de Smyrne (Izmir), sur la côte ouest de l’Anatolie, était assez semblable à Livourne au XVIIe siècle, même si le contexte différait. Tout au long du XVIesiècle, Smyrne n’était qu’un des nombreux petits bourgs portuaires jalonnant la côte anatolienne. Tous les surplus agricoles disponibles, si ridicules fussent-ils, étaient expédiés vers la capitale impériale. Ainsi l’exigeait Istanbul. Le sultan était soucieux d’approvisionner la capitale et ne voulait pas que les denrées alimentaires de l’Empire fussent détournées par les marchands occidentaux. vers la fin du siècle, la situation, jusqu’alors relativement paisible, évolua. La région abritait depuis toujours des commerçants étrangers impliqués dans un petit trafic favorisé par la côte découpée et ses nombreuses, criques. Avec les crises céréalières répétées des années 1590, le nombre de marchands occidentaux, d’abord vénitiens puis anglais et français, commença à croître, tout comme le trafic. Smyrne était au cœur de ce commerce.
Les négociants occidentaux étaient avides de céréales, et leurs homologues ottomans enclins à les approvisionner, notamment pendant les révoltes celali qui s’amplifièrent au XVIIe siècle en Anatolie occidentale. Du fait des conditions de sécurité incertaines dans la région, le gouvernement stamboulite peinait à augmenter l’approvisionnement de la capitale (à bas prix) et les commerçants établis dans les régions profitèrent de la situation. Un document datant de 1592 évoque le cas d’un « fripon et voleur » dénommé Firinci oglu Reis. Il officiait dans les alentours de Smyrne et se présentait comme le capitaine d’une galère royale envoyé pour acheter des céréales à destination d’Istanbul. Il en acquit des quantités énormes qu’il revendait à des marchands occidentaux, réalisant ainsi des profits faramineux.
Initialement attirés par les céréales, les commerçants étrangers découvrirent rapidement les produits (miel, fruits, noisettes, coton et tabac) des fertiles vallées anatoliennes. Plus tard, au XVIIe siècle, Smyrne s’imposa comme le comptoir méditerranéen de la soie orientale. Alimentée par la demande occidentale, l’insécurité en Anatolie et la complicité des gens du cru, Smyrne connut une expansion rapide. En 1600, moins de cinq mille personnes habitaient la ville. Vers 1650, elle comptait entre trente et quarante mille âmes. Si aucun consul européen ne résidait à Smyrne en 1600, vingt ans plus tard, les Hollandais, les Anglais, les Français et les Vénitiens disposaient désormais tous d’une représentation.
A l’instar de Livourne, Smyrne supplanta au XVIIe siècle les anciennes cités marchandes, comme Alep. Et tout comme dans le port italien, ceux qui avaient insufflé la vitalité à la ville et ceux qui y prospéraient étaient de nouveaux arrivants, originaires notamment d’Europe du Nord. Les Hollandais et les Anglais préféraient Smyrne, parce que son réseau commercial était en développement et non encore dominé par les négociants marseillais ou les marchands vénitiens. Bien sûr, ces derniers étaient présents à Smyrne, mais ils peinèrent à s’adapter aux nouvelles conditions du XVIIe siècle, à l’inverse des Hollandais et des Anglais. Les Vénitiens, rompus à certaines habitudes et à une bureaucratie rigide, se plaignirent auprès d’Istanbul des bandits et des fonctionnaires corrompus qui entravaient leur activité. Pendant ce temps, les Anglais et les Hollandais soudoyaient ces mêmes personnes et étendaient leurs réseaux à l’intérieur des terres. Cet effort impliqua le recrutement de locaux qui servirent d’intermédiaires (des juifs, des Grecs et des Arméniens).
C’est à Smyrne que s’amorça au XVIIe siècle l’émergence de populations ottomanes non musulmanes, notamment des chrétiens. La communauté juive s’étendit et connut une importante renaissance culturelle, résultant de l’immigration d’israélites originaires d’Espagne ainsi que de nombreux artisans. En outre, elle fut un centre d’impression hébraïque à compter du milieu du XVIIe siècle. Lieu de naissance de Shabbetai Zevi, qui prétendait être le messie et attira de nombreux adeptes, Smyrne fut également une capitale mystique. Ainsi émergèrent deux villes grouillantes de marchands étrangers, qui n’hésitaient pas à traiter avec les pirates et . les bandits. Toutefois, une énorme différence distinguait Livourne de Smyrne. La prospérité commerciale de la première résulta de la concrétisation des ambitions du grand-duc de Toscane.
Quant à l’essor de Smyrne, qui bénéficia à certains Ottomans, il ne découlait pas d’une politique officielle et entra à bien des égards en conflit avec les objectifs de la classe dirigeante stamboulite, et ce sans vouloir agiter de nouveau le spectre usé du déclin ottoman. Des recherches récentes ont montré qu’au fil du temps les autorités profitèrent du commerce qui se développait en Méditerranée orientale. Néanmoins, les nouvelles règles promulguées ne l’étaient pas par Istanbul.
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