Méditerranée : l'empire Ottoman
Enrayée tant bien que mal au XVIe siècle, la peste bubonique frappa de nouveau au milieu du XVIIe siècle. L’écrivain italien Alessandro Manzoni a relaté ses ravages à Milan dans son roman I Promessi Sposi (Les Fiancés), publié en 1827. Manzoni déduisit des recherches qu’il mena dans les archives de la ville que les deux tiers de ses habitants avaient succombé à la maladie. Même si les épidémies que connut la région furent moins spectaculaires que celles des XIVe et XV siècles, la peste était endémique dans une ville comme Smyrne. Les marchands locaux paraissent l’avoir acceptée comme une fatalité. Il ne semble pas, néanmoins, qu’elle ait freiné une croissance démographique modérée mais constante depuis la fin du xx^siècle. Celle-ci avait pour effet de doper le commerce du blé auquel une région comme la Sicile devait sa prospérité. Des Hollandais et d’autres marchands du Nord de l’Europe firent de fructueuses affaires en approvisionnant les villes méditerranéennes.
Leur présence en grand nombre sur les rives de la mer Intérieure reflète également le déclin des anciennes puissances commerciales. Si les Catalans pesaient encore de quelque poids dans le commerce international vers 1450, ils n’étaient plus rien en 1650. Les troubles politiques qui minaient la Catalogne nuisaient d’ailleurs à l’économie autant qu’ils contribuaient à asseoir la domination castillane sur une région jadis fière de sa culture. Gênes s’était tournée vers le commerce transatlantique, qui transitait par Séville, et offrait des services bancaires à l’Espagne des Habsbourg, tout en restant une puissance économique de première importance dans le royaume de Naples, par exemple. Quant à Venise, elle diversifiait son activité grâce au développement des industries du textile et du verre. Parallèlement, les familles patriciennes n’investissaient plus désormais dans le commerce au long cours, mais plutôt dans la Terra Ferma, qui s’étendait jusqu’aux confins de la plaine lombarde. Faute de pouvoir se marier selon les règles très strictes en usage à Venise, beaucoup de jeunes nobles étaient condamnés au célibat et des jeunes filles de bonne famille au couvent.
Nombre d’anciennes lignées s’éteignirent dès le XVIIIe siècle. Un autre bouleversement démographique majeur s’explique par les conflits religieux qui déchiraient la région. En Espagne, expulsion partielle des populations non chrétiennes, après la chute de la Grenade musulmane en 1492, eut des conséquences dans le royaume de Valence et en Aragon, territoires placés sous l’autorité de Ferdinand le Catholique.
pour des raisons fiscales, notamment, les musulmans furent autorisés à pratiquer leur religion jusqu’en 1525. À cette date, le grand nombre de « nouveaux chrétiens », convertis de force et baptisés durant la révolte des Germanias, à Valence, incita Charles V à décréter la fin de l’islam en Aragon et dans le royaume de Valence. Mais la christianisation des Morisques ne mobilisa guère les énergies. Les tentatives pour imposer le costume occidental et faire disparaître les coutumes maures, comme les danses traditionnelles, ne rencontrèrent qu’un succès limité. De nombreux ecclésiastiques avaient même peur de se rendre dans les villages maures où ils étaient censés officier. Aussi l’islam était-il loin d’avoir disparu d’Espagne, même si l’inquisition n’hésitait pas à s’en prendre aux Morisques faute de pouvoir mettre la main sur des Marranes – ces juifs demeurés secrètement fidèles à leur religion -, des protestants ou des sorcières. À vrai dire, personne n’avait envie de chasser des côtes orientales une communauté à la fois nombreuse et active. L’industrie de la céramique hispano- mauresque put continuer à se développer et le riz et d’autres produits exotiques à être cultivés en Espagne.
Le pays ne disposait pas des ressources humaines suffisantes pour repeupler rapidement les régions où vivaient les Morisques. Déjà, en 1492, l’expulsion des juifs avait eu des conséquences économiques désastreuses. Aussi Olivares, le Premier ministre de Philippe IV, conclut-il vers le milieu du siècle qu’il était dans l’intérêt de l’Espagne d’accueillir de nouveau des juifs, mais rien ne fut fait en ce sens. Officiellement, les Morisques étaient d’ailleurs chrétiens, ce qui rendait leur expulsion délicate, tout en étant perçus comme les alliés potentiels des Turcs. Les attaques répétées qu’essuyaient les côtes espagnoles, notamment Majorque, et qui imposèrent de déplacer plusieurs populations côtières, n’arrangeaient pas la situation. Quand ils furent finalement chassés, en 1609-1614, ils s’établirent pour la plupart en Afrique du Nord, où ils rejoignirent, notamment à Oran et à Bougie, des descendants des premières communautés musulmanes d’Espagne. Certains étaient bien décidés à se venger en lançant des raids contre les rivages où il leur était désormais interdit de vivre. Ils furent peut-être deux cent cinquante mille Morisques à devoir ainsi quitter les royaumes de Valence et d’Aragon.
A l’égard des minorités religieuses, les Ottomans adoptèrent une politique diamétralement opposée. Ils avaient déjà accueilli les juifs d’Espagne, qui comptaient des artisans réputés. Des communautés non musulmanes étaient établies à Istanbul, qui comptait un quartier juif à Galata et d’importantes populations grecque et arménienne. Vers le XVIIIe siècle fut mis en place un système semi-officiel qui honorait les chefs spirituels des communautés religieuses, notamment le patriarche des Grecs orthodoxes, dont l’autorité était reconnue en Grèce comme en Asie Mineure, et le Haham Bashi, ou grand rabbin des juifs. On leur accorda une large autonomie dans la gestion des affaires de la communauté, tant qu’ils acquittaient les taxes. Ce système reposait sur le principe de la tolérance sous conditions établi à l’époque des premiers empires musulmans, rendu nécessaire du fait de l’existence de zones étendues où l’islam restait minoritaire, même s’il fit de nombreux adeptes jusqu’en terres bosniaque et albanaise.
Le prix à payer, pour les communautés chrétiennes, était l’engagement de jeunes hommes dans l’armée ottomane, où ils formaient le célèbre corps des janissaires. Dans nombre de domaines, l’Empire ottoman conjugua brutalité et indolence. Pendant qu’Istanbul et Smyrne prospéraient, l’Albanie et la Grèce, prises en tenaille lors du conflit opposant l’Espagne et la Turquie, s’enfonçaient dans le marasme. Toute la question était de savoir si, au XVIIIe siècle, les forces qui soutenaient l’Empire continueraient à l’emporter sur celles qui travaillaient à son affaiblissement.
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