Méditerranée : Les plantes
La flore des pays méditerranéens est très riche. Bien qu’elle ait subi le contrecoup des glaciations du pléistocène, la région n’a jamais été prise dans les glaces au point que toute vie végétale y devienne impossible. Grâce à leur relief tourmenté et à leur isolement, les montagnes et les îles ont favorisé l’évolution de certaines espèces, d’où le grand nombre de plantes endémiques représentées uniquement dans une région, sur une île, ou même seulement sur tel escarpement rocheux. En Crète, une plante sur huit appartient à une espèce endémique, la zone d’extension de certaines étant parfois très limitée.
En Méditerranée, les généralisations sont aussi malvenues en matière de flore qu’en matière de climat. La végétation n’est pas partout la même, elle ne constitue même pas toujours une part essentielle de l’environnement. Pour l’étudier, il faut commencer par s’intéresser à une douzaine d’arbres, quelques arbrisseaux (autrement dit, les espèces ligneuses qui, contrairement aux arbres, sont ramifiées dès la base), et observer la façon dont ils réagissent à l’intervention de l’homme.
Les plantes méditerranéennes sont a priori mal adaptées au climat tel qu’il existe depuis un peu plus de cinq mille ans. Quelques-unes seulement, dont l’euphorbe arborescente (Euphorbia dmdroïdes), perdent leurs feuilles en été. Les arbres considérés comme typiquement méditerranéens passent en général pour garder leur feuillage vert toute l’année — ou presque toute l’année, comme le chêne-liège. En réalité, beaucoup perdent leurs feuilles en hiver : selon un rythme biologique acquis voilà très longtemps, alors que les variations saisonnières n’étaient pas aussi tranchées, leur période d’activité se situe durant la saison chaude et sèche.
Quel que soit le climat, toutes les plantes ne réagissent pas de la même façon aux agressions des animaux et des hommes. Si on les abat, les pins meurent. Beaucoup d’espèces de chênes émettent des rejets. Les chèvres s’attaquent au frêne et au chêne, mais tant qu’elles ont autre chose à se mettre sous la dent, elles épargnent le cyprès et la sauge, à cause de leur goût très prononcé. Certaines plantes se protègent par des épines, en dégageant des odeurs désagréables, en sécrétant des poisons ou encore en se couvrant d’un duvet dissuasif : autant d’adaptations qui requièrent des dizaines de milliers d’années d’évolution et qui furent sans doute développées pour se protéger des cerfs et des éléphants plutôt que des animaux domestiques.
Les incendies jouent un rôle majeur dans les écosystèmes méditerranéens. Les formations végétales brûlent facilement parce qu’elles ont développé des agents chimiques qui propagent le feu : il s’agit bien d’une adaptation et non d’une fatalité. Beaucoup d’arbres et de plantes sensibles au feu ont inventé différentes stratégies pour survivre aux incendies. Le feu tue le pin d’Alep, qui brûle très facilement, mais il a aussi pour effet de faire germer instantanément les graines contenues dans ses pommes. Le chêne-liège, lui-même peu inflammable mais poussant au milieu de buissons qui le sont beaucoup plus, résiste, grâce à son écorce, à l’épreuve de la chaleur.
Les formations végétales se répartissent parfois par étages, mais le plus souvent maquis, phrygane et steppe composent une mosaïque qui s’organise en fonction de l’eau présente dans le sol et de la faculté de pénétration des racines. Savane et maquis sont tantôt naturels, tantôt artificiels, et il n’est pas facile de les distinguer. Dans les forêts qui poussent sous un climat plus humide, les grands arbres trouvent assez d’eau à leurs pieds. Là où il n’y a pas assez d’humidité, ou bien ils ne dépassent pas la taille des arbrisseaux — c’est le cas du maquis —, ou bien ils poussent assez loin les uns des autres pour pouvoir étaler leurs racines et capter l’humidité sur une plus grande surface — c’est le cas des savanes. Là où les conditions sont encore moins favorables, même les arbres les plus petits ne peuvent pas survivre.
On a tendance, en Europe, à considérer les terres méditerranéennes comme des paysages « dégradés ». Selon cette conception, la forêt dense aurait à l’origine couvert toute la région. Cette « superbe forêt » aurait été détruite par la faute des défrichements, des incendies, des chèvres et des moutons, autrement dit du fait des agressions qu’elle subit depuis le Néolithique. Les paysages actuels, phryganes, steppes, savanes, sont interprétés comme autant de paliers dans un processus de dévastation mis en oeuvre par l’homme, les transformations décisives étant intervenues récemment. Cette dégradation serait en outre à peu près irréversible.
La thèse se révèle très contestable. Pour l’étayer, il faudrait pouvoir prouver que tel paysage, aujourd’hui à l’état de phrygane, était autrefois du maquis, que telle zone de maquis était autrefois une forêt. Or, si nous disposons de nombreux témoignages historiques sur les défrichements, nous connaissons mal en revanche les capacités de régénération de la forêt. Dans ces conditions, il est téméraire de parler de déforestation. L’Empire romain, avec ses populations nombreuses et ses industries très actives, fut un gros consommateur de charbon, de bois de chauffage et de bois de construction : la demande n’avait en fait jamais été aussi forte. Mais qui pourra dire s’il y avait plus ou moins d’arbres en Méditerranée après l’Empire qu’avant ? Rien ne permet de le savoir avec certitude.
En réalité, la végétation méditerranéenne a déjà montré qu’elle est capable de se régénérer. Dans les zones naguère dédiées à l’élevage, qui ne subissent ni défrichements ni incendies, maquis et savanes se transforment en forêt, les arbustes grandissent et deviennent de vrais arbres, la savane elle-même se boise si les conditions climatiques le permettent. Seule la steppe demeure inchangée. De leur côté, les terres jadis cultivées et désormais laissées à l’abandon se transforment en phrygane ou en forêt, les arbres étant déjà présents sous la forme des buissons coiffant les murets des champs en terrasses.
Cette régénération, qui est au moins aussi rapide que sous les climats tempérés, a d’ailleurs des conséquences négatives : les arbres et les arbrisseaux qui poussent dans les campagnes abandonnées, en particulier les pins et les cistes, s’enflamment souvent très facilement. Si les incendies sont récemment devenus plus fréquents, c’est en grande partie parce que la végétation brûle plus facilement qu’autrefois, les campagnes où pâturages et cultures ont régressé étant particulièrement vulnérables. La sylviculture moderne, qui n’apprécie guère les chèvres mais raffole en revanche des pins et des eucalyptus, a aussi sa part de responsabilité.
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