Femmes et hommes russes
L’URSS comptait 285 millions d’habitants au début de la décennie, avec une nés forte dissymétrie entre les hommes et les femmes (89,9 hommes pour 100 femmes), qui s’est peu atténuée par la suite. D’après Denis Paillard, « Encouragée par des activistes occidentaux. L’inquiétante renaissance de l’extrême droite », Le Monde diplomatique, janv. 1993.
La fin de l’URSS : l’héritage d’une société soviétique
La société soviétique était une société longtemps présentée comme liomo gène, grâce au socialisme qui aurait opéré une fusion complète des groupes sociaux. En réalité, il s’agissait d’une société hétérogène. D’abord, et contraire ment à la légende, la société était relativement peu urbanisée. Le pourcentage global de 66 % de population urbaine n’avait été atteint qu’en 1987, il recouvrait de fortes différences entre république fédérées, et c’était la population des villes de plus d’un million d’habitants qui avait grandi le plus vite.
En matière d’emploi et de chômage, il y avait loin du dogme, proclamant l’éradication définitive du chômage dans les années 30, à la réalité : plus de six millions de Soviétiques, soit 3,8 % de la population active, étaient à la fin des années 80 au chômage, délibérément oubliés par les statistiques. Ils étaient dans l’illégalité au bout de trois mois, car c’était un « devoir » de travailler d’après la constitution de 1977, selon un article toujours en vigueur dans celle de 1988. Aux causes structurelles, s’ajoutaient le fait que beaucoup de chômeurs — les jeunes, les ambitieux, ceux qu’attiraient les chantiers de l’Est… — avaient quitté leur travail volontairement, et en toute illégalité, ou encore le chômage d’Asie centrale provoqué par la surpopulation. Et, dans le même temps, les entreprises procédaient à des délestages, pour réduire leurs effectifs pléthoriques ! Tout ceci montrait bien l’échec de la régulation de l’emploi. Théoriquement, l’exode rural était freiné par l’emploi exclusif de la population « enregistrée », c’est-à-dire ayant le droit d’habiter dans les villes. Mais à cause de la pénurie de main- d’œuvre pour les emplois pénibles, les usines avaient reçu le droit de recruter des limitcbiki, autrement dit des gens venus le plus souvent de la campagne, qui vivaient en foyers, et qui n’avaient pas le droit d’être « enregistrés ». Ces citoyens de seconde zone, qui ne pouvaient espérer obtenir un appartement, exclus de la vie normale, utilisés comme simple main-d’œuvre, constituaient une des plaies sociales des grandes villes soviétiques.
Les grèves de 1989 montrèrent bien les désordres sociaux de la construction soviétique: le mouvement de 1989 — révolutionnaire— fut précédé par une secousse sociale. Les grèves étant évidemment interdites, en faire — elles ont débuté chez les mineurs de Sibérie occidentale — fut une remise en cause de l’interdiction et de l’ordre établi tout court ! Et même la grève devint brusquement un moyen de lutte banal et à multiples buts. Le mouvement s’étendit à l’été 1989, prit une dimension politique, et culmina avec la grève des mineurs à l’automne 1989. A ce moment, le Soviet suprême, après qu’il eut été envisagé de les interdire toutes (sic) pour quinze mois, les interdit dans les transports, l’énergie et la métallurgie. Fondamentalement, la société russe des années 90 est en situation de « grande détresse ».
Détresse
« Chaque matin, en pleine chaleur de juillet comme par les journées de froid rigoureux du plein hiver, sept jours sur sept, des dizaines de milliers de vendeurs à la sauvette et un nombre plus important encore d’acheteurs se rassemblent dans l’immense stade Lénine) non loin de la rivière Moskova, au cœur de Moscou. Là, comme en quelques dizaines d’autre lieux — devant les gares, à la sortie du métro, sur des terrains vagues et dans les rues — se tiennent ces interminables marchés de la misère, signes de la paupérisation de la société russe, de tout un peuple. Tout ce qu’on peut imaginer se trouve dans ces tristes bazars nés depuis l’effondrement Ide l’URSS. A Moscou comme dans d’autres villes de Russie, des gens de tous âges arrivent pour vendre n’importe quoi, afin de joindre les deux bouts. Beaucoup de chômeurs sont là, des jeunes qui n’ont pas encore trouvé d’emploi et, surtout, des femmes dans le besoin. Le chômage qui déferle sur ce grand pays était un phénomène inconnu il y a encore trois ou quatre ans. 80 % des chômeurs inscrits à Moscou sont des femmes ( En 1990 y en Union Soviétique? les femmes représentaient encore 51 % de la main-d’œuvre (contre 45 % aux Etats-Unis). Aujourd’hui, le pourcentage, déjà en dessous de 50 %, continue de chuter avec la fermeture en série des entreprises. »
Les crèches et les jardins d’enfants gratuits ont été supprimés pour les enfants dont les mères travaillent au-dehors, mesure visant à éjecter les femmes du marché du travail. Un chômeur inscrit reçoit aujourd’hui une somme dérisoire, très en dessous du salaire minimum, et 87 % de la population n’atteignent pas le seuil de pauvreté. « Le système scolaire n’a pas échappé à la privatisation. Des écoles réservées aux élèves dont les parents peuvent payer de fortes sommes en devises ont été ouvertes. Là se trouvent des professeurs de qualité et le chauffage fonctionne normalement en hiver, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des écoles d’État. Le réseau d’écoles, qui n’était certes pas perfectionné mais qui couvrait au moins les besoins de la majorité, se dégrade rapidement.
À l’Université, le système des concours est doublé par le système des enveloppes que l’on glisse au directeur. Les enfants de riches n’ont décidément pas de soucis à se faire. Dans les locaux mêmes du MGU (université d’Etat de Moscou), des écoles privées payantes ont été ouvertes.
Les cours du soir se faisant de plus en plus rares, les étudiants qui ont un emploi ne peuvent plus venir étudier après leur journée de travail. Sans – l’aide des parents, la vie est très difficile, voire impossible, surtout pour les études t de médecine ou de sciences exactes. Phénomène très répandu : des étudiantes : pratiquent une prostitution occasionnelle. Dans cette Russie chaotique, les valeurs disparaissent à l’exception d’une seule : l’argent. Les banques poussent ï comme des champignons.
Les villes créées en Sibérie pour la recherche scientifique se vident, agonisent. = Akademgorod, naguère centre de recherches de très haut niveau, se dégrade. Les l salaires sont bas. Les chercheurs ont peu de motivations. La fuite des cerveaux : perturbe le travail quotidien.
[En 1992], le budget de la santé a été amputé de 39 %. Les services sanitaires se dégradent constamment : hôpitaux délabrés, pénuries, locaux vétustes souvent peu propres. Les soins sont aléatoires en raison de l’âge du matériel. Souvent, les familles des malades doivent fournir elles-mêmes médicaments et nourriture. Tandis que les cliniques privées font leur apparition, au service des“nouveaux riches” . La tuberculose revient. La diphtérie a également lait sa réapparition dans des proportions inattendues, car le vaccin fait défaut. I .es prisons ne parviennent pas à nourrir leurs détenus. Les familles ou les amis des prisonniers leur envoient régulièrement des conserves. Les morts eux-mêmes se partagent en deux catégories. Ceux dont les familles ne peuvent faire face à [la] dépense restent à la morgue. Quant le chiffre de trente ou quarante cadavres est atteint, ils sont enterrés dans des fosses communes.
Trois mille groupes de crime organisé (“mafia”, dans le langage local) opéreraient en Russie sous la direction de 150 organisations qui se partagent le terrain. Les lois contradictoires et les désordres qui accompagnent la privatisation facilitent la tâche de la pègre. Des sociétés fictives se sont emparées des entreprises privatisées avec un succès certain. Des spéculateurs appartenant aux milieux du crime organisé ont fait baisser le prix du bon de privatisation attribué à chaque citoyen, d’une valeur initiale de 10 000 roubles, à 4 000 roubles. Des agents disséminés dans tout Moscou proposèrent alors d’acheter ces bons qui, au bout de quelques mois, étaient revenus à leur valeur nominale. Des centaines de milliers de bons, sinon des millions, sont ainsi passés entre les mains des spéculateurs.
W Le mot de “solidarité” a disparu du vocabulaire. On touche là à l’un des plus graves échecs des communistes, qui n’ont pas su faire adopter de nouvelles normes de conduite sociale. Entraide, solidarité ? Tous les idéaux progressistes ont disparu d’un seul coup. » Et ajoutons que l’épidémie de Sida atteint en 2000 des proportions considérables.
Des liquidations
En Russie, le troc et le paiement en nature remplacent les salaires, le rouble devenant une monnaie-fantôme. Les dirigeants de la Russie se sont attachés à démanteler l’école et la santé publiques. Ils ont à cette fin utilisé deux procédés : réduire enseignants et médecins à des salaires de misère (au sens strict du terme) ; rentabiliser l’école et la santé et privatiser la sécurité sociale gérée par les anciens syndicats officiels.
« un enseignant de Moscou gagne de 750 à 800 roubles, tout juste la limite de survie physiologique. Pas question pour lui d’acheter des vêtements, des livres ou des cahiers (le prix du papier a, comme celui du pain, augmenté de plus de cinquante fois en [ 1991]). Une infirmière perçoit le même salaire (750 à 800 roubles). Un médecin gagne de 1 000 à 1 400 roubles, tout juste de quoi survivre.
Mais les enseignants et les médecins se dressent aussi contre la liquidation de leur secteur d’activité. Le gouvernement et la mairie de Moscou [ont voulu] rentabiliser les hôpitaux et la santé en substituant à l’actuelle sécurité sociale un système d’assurance individuelle avec remboursement proportionnel aux versements, en privatisant une partie des services hospitaliers qui [ont été] confiés à
des coopératives commerciales, en réduisant le nombre de lits dans les hôpitaux et en instaurant un paiement partiel des soins, déjà réalisé pour les soins dentaires. En même temps, pour garantir à la nomcnklnturn recyclée dans le camp “démocrate” ses privilèges traditionnels, le gouvernement a placé sous son contrôle direct les anciens établissements de luxe de la section médicale du Kremlin.
[Avec un cynisme très reaganien…] Le gouvernement s’est d’abord attaqué aux jardins d’enfants qui reçoivent les enfants de trois à six ans, l’équivalent de l’école maternelle en France. La mairie de Moscou a décidé de supprimer la gratuité ; depuis janvier [1992] les jardins d’enfants sont payants : 200 roubles par mois et par enfant, première étape vers les… 2 000 roubles que coûte, parait- il, chaque enfant à l’Etat… Aujourd’hui en Russie, neuf femmes sur dix travaillent. Beaucoup d’entre elles vivent seules ou sont divorcées. Les pensions alimentaires ridicules sont rarement payées. Le jardin d’enfants payant est donc une pression économique pour contraindre la femme à rester au foyer sans être considérée comme chômeuse et donc sans droit à la moindre indemnité. »
Vidéo : Femmes et hommes russes
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