Le commerce dans les temps archaïques : le modèle phénicien
Les Phéniciens se firent les propagateurs d’une tradition artisanale influente et très spécialisée, née, sinon sur la côte phénicienne elle-même, du moins dans une région englobant le Liban, la Syrie et Chypre, mais qui s’inspirait d’objets et de pratiques répandus depuis longtemps en Egypte, en Anatolie, en Mésopotamie et dans le royaume d’Urartu. Ses productions comprenaient des articles confectionnés dans des matériaux précieux, métaux, ivoire ou bois durs, des coupes de bronze, d’argent ou d’or, des récipients utilisés lors des rites et des cérémonies, encensoirs, chaudrons, trépieds, fioles à parfum en faïence, en verre ou en albâtre, pièces de mobilier avec des éléments de métal ou des appliques d’ivoire sculpté, sans compter toute une « bimbeloterie », œufs d’autruche transformés en figurines zoomorphes par l’adjonction de colliers, de bouches et de pattes d’ivoire, talismans ou scarabées de faïence ou de pierres semi-précieuses. L’acquisition de ces objets par les hautes classes des sociétés en contact avec les marchands phéniciens induisit des mutations profondes dans les habitudes de ces élites. Non seulement celles-ci imitèrent les habitudes des classes dirigeantes du Croissant fertile — comme la pratique des banquets ou l’usage de faire cuire les viandes dans de grands chaudrons —, mais elles adoptèrent aussi un art de vivre lié à des conceptions du pouvoir inspirées par les grandes dynasties d’Orient. Parmi les objets importés du Levant, figuraient notamment des trônes, des sceptres, des marchepieds, des chasse-mouches, des pectoraux, des bracelets, des vêtements brodés d’or et teints de pourpre, soit autant d’attributs du pouvoir royal tel qu’il était conçu en Orient. Transmis à Rome par les Etrusques, puis par les Romains aux sociétés du Moyen Age, beaucoup de ces objets sont restés les symboles du pouvoir royal bien au-delà de l’Antiquité.
C’est ce qui semble ressortir, quelques siècles plus tard, de la relation nouée entre les marchands phocéens et les Tarquin de Rome, confirmée par un célèbre passage de Justinus, qui s’inspire de Pompeius Trogus, historien marseillais bien renseigné sur la colonisation et les établissements phocéens. D’après ce que Thucydide rapporte d’Amphipolis, qui se développa à partir d’un emporium pour devenir une véritable polis, c’est-à-dire une cité, ces comptoirs voués au négoce se transformèrent peu à peu en colonies, toujours caractérisées par une vocation maritime marquée et établies sur les marges, dans les îles, au bout des caps ou dans des sites côtiers faciles à défendre, cernés par des lagunes ou des marais, comme Cadix en Espagne, Lixus, Utique et Carthage en Afrique, Motyé, Solonte ou Palerme en Sicile, Nora, Cagliari, Bithia, Sulcis ou Tharros en Sardaigne. Ces colonies exercèrent une influence considérable. Le rayonnement de la culture punique en Espagne, en Afrique ou en Sardaigne (un peu moins en Sicile) l’atteste. Il y était encore perceptible à l’époque de l’Empire romain, tout comme en Numidie, en Libye ou en pays berbère.
Cet emporium phénicien donna rapidement des idées aux Grecs, qui adoptèrent de nombreuses routes commerciales déjà utilisées par les Phéniciens, tout en s’aventurant aussi sur d’autres chemins moins fréquentés. Les Grecs empruntèrent également à la langue sémitique des Phéniciens une série de mots ayant trait au commerce, de même qu’un alphabet qui allait se révéler très utile dans la conduite des affaires. Ainsi, s’immisçant dans le commerce syrien, côtoyant dans les premiers temps les marchands phéniciens et imitant délibérément leurs méthodes, les Grecs commencèrent à investir le Levant. Des marchands eubéens, du IXe au VIIe siècle, puis aux VIIe et VIesiècles, des négociants venus d’Ionie et de l’île d’Egine établirent d’importants comptoirs sur les côtes phéniciennes, entre Tell Sukas, dans le royaume de Hama, et Bassit (l’ancienne Posideion), à Al-Mina, dans l’embouchure de l’Oronte, et à Naucratis, en Egypte. Ils se tournèrent ensuite vers l’Occident, les côtes d’Italie, de France et d’Espagne, en concurrence, là encore, avec les Phéniciens, s’intéressant aux mêmes produits, négociant non seulement des marchandises orientales mais aussi des productions grecques, de la céramique surtout. A tel point que les poteries grecques devinrent les articles les plus répandus en Méditerranée, de la fin du VIIe siècle au IVe siècle.
Les temples d’Uni-Ishtar à Pyrgi, le port de Caere, et ceux d’Aphrodite. d’Héra. de Déméter et d’Apollon à Gravisca. le port de Tarquinia, sont exemplaires de ce type d’emporia. On peut leur associer toute une série de sanctuaires italiens où les activités commerciales jouaient un rôle et où les mariages étaient célébrés, facilitant l’intégration sociale et culturelle. La tendance au contrôle collectif des échanges allait se développer dans les cités étrusques. Les formes républicaines de gouvernement mirent fin aux relations personnelles du négociant avec le roi ou le tyran. Les clauses d’un traité conclu entre les Romains et les Carthaginois en 509, et consignées par l’historien Polybe, rendent manifeste cette évolution : comme dans les cités grecques, les activités commerciales se voient transférées du sanctuaire au forum et placées sous l’autorité de fonctionnaires, alors que les marchands ne doivent plus rester dans le temple que le temps nécessaire « pour accomplir les sacrifices et constituer leur réserve d’eau pour la journée ». Le modèle du temple d’emporium, centre du commerce colonial, évolua ainsi avec l’apparition d’une place du marché contrôlée par la cité elle-même. Il se perpétua à la faveur des foires régulières, les nundinae, liées aux réunions religieuses. Le système a survécu dans toute l’Europe bien après la fin de l’Ancien Monde. Strabon, qui visita le site de la colonie latine de Fregellae, en Campanie, un siècle et demi après la destruction de la cité, put constater que les habitants des villes voisines, reliées par la via Latina, continuaient à se rassembler à Fregellae les jours de marché et en profitaient, comme jadis, pour y célébrer certains rites religieux.
Vidéo : Le commerce dans les temps archaïques : le modèle phénicien
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