La coexistence pacifique et ses limites: Les limites de la coexistence pacifique
Début de la coexistence :
Entre les deux camps, Est-Ouest, la coexistence pacifique succède à la guerre froide. Dès la mort de Staline, s’était amorcé un dégel des relations, mais c’est surtout en 1955 que la signature du traité de paix concernant l’Autriche et la réconciliation des dirigeants soviétiques avec Tito illustrent le changement de la politique extérieure soviétique.
Les facteurs sont essentiellement l’émergence du Tiers Monde et l’équilibre de la terreur. À la faveur de la décolonisation, sont nés en Asie et en Afrique des États qui refusent l’alignement sur l’Est ou sur l’Ouest et veulent vivre en paix : un nouvel acteur, le Tiers Monde, vient troubler le jeu bipolaire. D’autre part, la menace d’anéantissement que font peser les armes nucléaires n’est plus le monopole d’une seule puissance. Elle est bilatérale, équilibrée, bref : elle se neutralise.
Sur le plan de l’équilibre mondial, la crise de Suez comme celle de Hongrie démontrent que les deux superpuissances ont préféré ne pas s’affronter. Les dirigeants soviétiques, et en particulier Nikita Khrouchtchev, sont plus rapides que les Américains à adapter leur politique à cette évolution. Dans son rapport au Soviet suprême, le 31 octobre 1959, Khrouchtchev abandonne l’idée d’une confrontation militaire inévitable entre les systèmes capitaliste et communiste. Même si la victoire du communisme reste l’objectif à long terme, la compétition doit se limiter aux terrains économique et idéologique.
Les limites de la coexistence pacifique :
De fait, entre 1955 et 1962 le style des relations diplomatiques change : les dirigeants soviétiques multiplient les voyages à l’étranger. Khrouchtchev rencontre Eisenhower aux États-Unis en septembre 1959, de Gaulle en France en mars 1960, Kennedy à Vienne en juin 1961. Et il privilégie désormais la compétition économique avec les Etats-Unis, en prédisant qu’en 1980 l’Union soviétique aura largement dépassé les États-Unis en matière de production. La victoire communiste doit se faire dans le domaine économique.
Mais la guerre froide n’en continu pas moins. Elle affecte particulièrement son « épicentre », Berlin, à partir de 1958 et elle s’étend à l’Afrique à l’occasion des conflits de décolonisation, à l’Amérique latine avec la crise de Cuba, et à l’Asie dans le détroit de Formose où les communistes chinois bombardent les îles de la Chine nationaliste, Quemoy et Matsu (22-23 août 1958). Les Américains, par la voix de leur secrétaire d’État J.F. Dulles, prennent l’affaire très au sérieux et se déclarent prêts à aller jusqu’à la guerre. Cette crise dans le détroit de Formose intervient dans un contexte ambigu des relations entre l’Union soviétique, qui a promis à son allié une aide technique pour la fabrication d’un arsenal atomique, et la Chine qui se lance dans une profonde transformation interne connue sous le nom de « Grand Bond en avant », critiquée par Khrouchtchev lors de son voyage à Pékin en juillet 1958. Il faut donc voir dans cette crise un signe d’indépendance de la Chine à l’égard de l’Union soviétique, même si Khrouchtchev informe le président Eisenhower que toute attaque contre la Chine communiste serait considérée comme dirigée contre l’URSS. La crise s’apaise d’elle-même. La question de Taiwan est gelée.
L’équilibre de la terreur :
La diplomatie soviétique sait tirer parti du jeu de la dissuasion nucléaire en brandissant contre la France et l’Angleterre au moment de la crise de Suez la menace du feu nucléaire et en intimidant l’Amérique par l’utilisation de ses succès dans l’espace.
Le succès soviétique dans l’espace. Le lancement du premier satellite artificiel de la Terre – le Spoutnik – par les Soviétiques, le 4 octobre 1957, et le premier vol d’un homme dans l’espace, le Soviétique Gagarine (12 avril 1961) représentent des exploits scientifiques et semblent prouver que l’URSS dispose de fusées à longue portée qui, lancées de son territoire, peuvent atteindre les États-Unis. Ceux-ci prennent conscience de ce qu’ils croient être leur retard, le missile gap. Ils décident d’entreprendre un effort gigantesque pour le rattraper.
Le 25 mai 1961, le président Kennedy relève le défi et demande au Congrès un effort accru pour la conquête spatiale. C’est aussi le début d’une nouvelle course aux armements destinée non à anéantir l’adversaire, mais à l’essouffler et à garder la supériorité.
La nouvelle stratégie américaine :
En même temps, les États-Unis infléchis sent leur stratégie. Le nouveau président, le démocrate J.F. Kennedy, affirme la volonté des Etats-Unis de protéger le monde libre, mais, sous l’impulsion du secrétaire à la Défense, R. MacNamara, les démocrates remplacent la doctrine des représailles massives par celle de la riposte graduée. Celle-ci vise à proportionner la riposte à la menace et à l’enjeu, suivant une escalade savante allant du conflit conventionnel à la guerre nucléaire. Cette stratégie implique par conséquent la possession d’une panoplie complète d’armes et, en particulier, le renforcement des forces conventionnelles américaines, rendues plus mobiles, ainsi que dans l’ordre nucléaire, le développement de nouveaux moyens de riposte – telles les fusées Polaris. Elle s’accompagne d’une profonde réforme de l’administration de la Défense américaine, le Pentagone, dans le sens d’une centralisation du commandement suprême. Malgré les inquiétudes américaines sur le missile gap, l’URSS est en fait très en retard sur les États-Unis dans la course aux armements stratégiques.
En 1962, Moscou dispose de 75 missiles intercontinentaux basés à terre et n’en fabrique que 25 par an. Les États-Unis possèdent déjà 294 missiles intercontinentaux et en fabriquent 100 par an. La supériorité américaine est encore plus écrasante dans le domaine des missiles sous-marins et des bombardiers intercontinentaux.
Les premières négociations pour le désarmement. L’autre conséquence de l’équilibre de la terreur est la relance du désarmement. L’Union soviétique s’en fait le champion, appuie le projet Rapacki de dénucléarisation de l’Europe centrale (1957-1958) et décrète un moratoire sur les essais nucléaires. En 1958 s’ouvrent des négociations entre les trois puissances alors dotées de l’arme atomique afin d’aboutir à un arrêt des expériences nucléaires dans l’atmosphère. Parallèlement à ces pourparlers qui traînent en longueur, en avril 1961 les gouvernements américain et soviétique décident de reprendre les négociations dans un nouvel organisme, « le Comité des 18 », formé des représentants des puissances occidentales, orientales et non-alignées.
Lors de la rencontre au sommet de Vienne (3-4 juin 1961), Khrouchtchev demande à Kennedy que les négociations sur les essais nucléaires soient replacées dans le cadre plus général du désarmement. En septembre 1961, les négociateurs américain et soviétique, MacCloy et Zorine, s’assignent un objectif ambitieux, le désarmement général et complet. Mais sa réalisation sera progressive, par étapes, de durée déterminée, équilibrée. En fait, la convergence américano-soviétique va entraîner l’abandon de la perspective d’une réduction générale des armements. Les deux super-Grands préfèrent désormais la négociation d’accords partiels et sélectifs.
Les crises de Berlin et de Cuba :
Alors qu’on aurait pu croire la guerre froide terminée, celle-ci menace tout spécialement son « épicentre », Berlin, à partir de 1958, mais elle affecte également désormais les mondes extra-européens, l’Afrique et l’Amérique latine, en particulier Cuba. À travers le développement de ces deux crises, c’est un long apprentissage de la coexistence qui débouche sur la détente.
L’enjeu de Berlin:
Dès 1948, l’ancienne capitale du Reich hitlérien constitue un enjeu fondamental entre l’Est et l’Ouest. Berlin-Ouest devient un symbole de liberté et l’objet même de la volonté occidentale de défendre cette liberté. Mais le maintien de la présence occidentale à Berlin est ressentie comme une remise en question permanente de la sphère d’influence soviétique et de l’édification d’une Allemagne communiste. Le flot des réfugiés est-allemands qui passe par Berlin ne cesse de croître. En quinze ans, 3 millions d’Allemands émigrent ainsi de l’Est vers l’Ouest, en profitant du statut de Berlin. Ce vote « avec les pieds » atteint la crédibilité de l’Allemagne de l’Est.
Malgré l’évolution générale de l’Allemagne, le statut de Berlin ne change pas. Lorsque, le 23 octobre 1954, les accords de Paris instaurent la souveraineté de l’Allemagne occidentale, ils maintiennent néanmoins les droits des puissances occidentales à Berlin, en particulier l’occupation militaire.
Brutalement, le 10 novembre 1958, Khrouchtchev relance la question de Berlin en reprenant à son compte la thèse est-allemande dénonçant le statut quadripartite. La note soviétique du 27 novembre déclare que Berlin-Ouest doit être rattachée à la RDA ou internationalisée sous le contrôle des Nations unies.
Si dans un délai de six mois, l’Union soviétique n’a pas obtenu satisfaction, elle menace de signer un traité de paix séparé avec l’Allemagne de l’Est, qui détiendrait ainsi le contrôle des voies d’accès à Berlin-Ouest. C’est une crise très sérieuse, car le problème est de savoir si les Américains accepteraient de risquer une guerre nucléaire pour la défense du petit territoire lointain mais symbolique de Berlin. Les Occidentaux refusent de traiter de la question de Berlin en dehors d’un règlement d’ensemble du problème allemand, qui n’aboutit pas lors de la conférence des ministres des Affaires étrangères à Genève (mai-juillet 1959).
Le voyage de Khrouchtchev aux États-Unis (septembre 1959) permet d’apaiser la tension et de prévoir une conférence au sommet des quatre puissances. Celle-ci, organisée à Paris en mai 1960, est également un échec puisqu’elle achoppe sur la demande d’excuses de Khrouchtchev suite au survol du territoire soviétique par l’avion espion U2 américain. Malgré les efforts de conciliation, la conférence est interrompue aussitôt. Les quatre Grands se séparent. La tension réapparaît. L’atmosphère s’alourdit encore du fait des réquisitoires violents de Khrouchtchev lors de l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre 1960. Lors de l’entrevue Kennedy-Khrouchtchev à Vienne (3-4 juin 1961), le dirigeant soviétique réclame à nouveau la transformation de Berlin-Ouest en ville libre, dans le cadre d’un traité de paix avec les deux Allemagnes.
Le mur de Berlin
La crise connaît son apogée lors de la construction, dans la nuit du 12 au 13 août 1961, du «mur de Berlin» par les autorités allemandes, la limite entre les secteurs Est et Ouest de Berlin est hermétiquement barrée. L’hémorragie de la population est stoppée, mais le prix politique du « mur de la honte » est considérable. Au lendemain de la crise, le rôle de Berlin comme enjeu politique dans les rapports Est-Ouest semble perdre de son acuité.
Cuba : le bras de fer des deux superpuissances. L’île de Cuba, ancienne possession espagnole, est, depuis la guerre hispano-américaine de 1898, indépendante sur le plan politique. Mais située à 150 kilomètres de la côte de Floride, elle vit sous la tutelle économique des États-Unis, qui y possèdent aussi la base militaire de Guantanamo. La prépondérance du sucre dans les exportations cubaines (80 % du total des exportations) renforce cette dépendance : si les États-Unis arrêtent leurs importations de sucre cubain, c’est la ruine. Une révolte larvée règne dans l’île, dirigée par le dictateur Batista, contre lequel un jeune avocat, Fidel Castro, anime depuis 1952 une lutte armée qui se transforme en guérilla de partisans. Le 26 juillet 1953, il lance une attaque qui échoue contre la caserne de Moncada et doit quitter le pays. De retour en 1956, réfugié dans ses bases de la Sierra Maestra, Fidel Castro entreprend, fin 1958, une offensive victorieuse.
Le 31 décembre 1958, Batista, abandonné par les Américains, s’enfuit, laissant le pouvoir à Fidel Castro et à ses « Barbudos ».
Les relations entre le nouveau régime cubain et les États-Unis ne se détériorent pas immédiatement. Mais au fur et à mesure que Castro veut dégager Cuba de l’emprise des États-Unis, il noue des liens de plus en plus étroits avec l’Union soviétique sur le plan diplomatique et sur le plan économique. En juillet 1960, l’annonce par un proche de Castro, Che Guevara, que Cuba fait partie du camp socialiste, est ressentie comme une atteinte inadmissible à la doctrine de Monroe, qui récuse toute intervention de pays non américains dans les affaires américaines. En octobre 1960, les États-Unis suspendent toute aide financière, arrêtent toute importation de sucre dans l’espoir d’asphyxier Cuba et rompent enfin les relations diplomatiques.
La tension s’accroît aussi du fait des activités des réfugiés cubains et des effets de la réforme agraire sur les grandes compagnies américaines propriétaires de terres. Des exilés cubains, hostiles au régime de Fidel Castro, préparent une intervention militaire, avec le soutien américain. Mais leur débarquement dans la baie des Cochons échoue (15 avril 1961), ce qui porte un coup très dur au prestige du nouveau Président et accroît le raidissement du castrisme. Dans le but de renforcer les régimes anticommunistes en Amérique latine et d’enrayer ainsi la contagion anti-castriste, Kennedy propose en août 1961 à l’Organisation des États américains (OEA) un vaste programme d’aide, l’« Alliance pour le progrès» et, en janvier 1962, l’exclusion de Cuba de I’OEA.
De leur côté les Cubains demandent et obtiennent des armes de l’URSS.
En octobre 1962, les services américains ont la certitude qu’en fait les Soviétiques installent à Cuba des rampes de lancement de fusées de portée intermédiaire, susceptibles d’atteindre le territoire américain. Apprenant en ou Ire l’arrivée imminente de cargos soviétiques transportant fusées et bombes, le président Kennedy est confronté à un défi d’autant plus grave qu’il dépasse l’enjeu cubain.
Les Soviétiques cherchent-ils à mesurer la volonté des Américains ? Ou veulent-ils contraindre les Américains à des concessions sur Berlin ? Résolu à une politique de fermeté, Kennedy va négocier « au bord du gouffre ». Il annonce, le 22 octobre, que la marine américaine établit un blocus autour de l’île pour intercepter les navires soviétiques et il demande à l’Union soviétique de démonter les installations existantes et de cesser d’armer Cuba. On paraît être au bord d’une troisième guerre mondiale. Le 26 octobre, à la faveur de discrètes tractations, Khrouchtchev cède : il donne l’ordre à ses navires de faire demi-tour et il propose de monnayer son acceptation des conditions américaines contre la promesse que les États-Unis renonceront à envahir Cuba et qu’eux-mêmes retireront leurs fusées installées en Turquie. Le 28 octobre, les Soviétiques acceptent de démonter et de ramener en URSS l’armement offensif installé à Cuba. Mais le règlement définitif du conflit tarde en raison de la mauvaise volonté et de la méfiance de Fidel Castro.
La crise de Cuba est une date importante dans l’histoire des relations internationales. Elle constitue d’abord une vérification de la théorie de la dissuasion
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