La guerre froide (1947-1955)
Deux ans après la fin de la guerre, l’Europe est coupée en deux blocs politiques et idéologiques, avec au Centre et au Nord quelques Etats qui restent neutres. En Europe de l’Est, l’URSS engage à partir de 1947 une brutale soviétisation. Les démocraties populaires sont mises au pas. Staline trouve toutefois les limites de son empire en Yougoslavie, en Finlande et en Grèce. ‘Les Etats de l’Europe occidentale, qui ont choisi de s’allier aux États-Unis, reconstruisent leur économie grâce au plan Marshall et s’engagent à tâtons dans la voie de la coopération européenne.
La naissance des deux blocs:
La relève américaine:
L’année 1947 marque réellement une coupure. Les problèmes se multiplient en Asie et en Europe. En Chine, la guerre civile tourne à l’avantage du communiste Mao Tsê-Tung aux dépens du nationaliste Tchang Kaï-Chek. L’Indochine est en proie à une guerre coloniale depuis la fin de 1946 et le sort de la Corée n’est pas réglé. La situation de l’Europe et de ses alentours n’est pas meilleure. Des troubles secouent la Turquie directement menacée par les visées de Moscou sur les détroits de la mer Noire et sur les districts frontaliers de Kars et d’Ardahan. En Grèce, depuis 1946, des maquis communistes s’opposent au gouvernement royaliste légal d’Athènes soutenu par les Britanniques qui y maintiennent 40 000 hommes. À la fin de 1946, la situation est critique car la guérilla communiste menée par le général Markos est facile¬ment aidée par les trois États frontaliers de la Grèce au nord : la Bulgarie, la Yougoslavie et l’Albanie. Et la Grande-Bretagne qui fournissait aux gouvernements grec et turc une aide militaire et financière, constate qu’elle ne peut plus faire face en Méditerranée orientale. Elle continue à occuper l’Égypte, Chypre, l’Irak, la Transjordanie, la Palestine. Le 24 février 1947, l’ambassadeur britannique à Washington informe le Département d’État que les troupes britanniques seraient prochainement retirées de Grèce. En Palestine, qui est encore sous mandat britannique, l’hostilité règne entre les Juifs qui veulent créer un foyer national et les Arabes palestiniens soutenus par les États arabes voisins. La Grèce, la Turquie, le monde arabe vont-ils à leur tour tomber sous la domination communiste ? Et que va-t-il advenir de l’Europe de l’Ouest dont l’économie doit être reconstruite ?
Pour la Grande-Bretagne, ruinée par la guerre et soucieuse de rendre ses engagements compatibles avec ses possibilités financières, c’est l’heure de la relevé. Voulant alléger ses charges, clic est amenée à limiter ses perspectives mondiales, décoloniser et à accepter le rôle de brillant second des États- Unis déguisé sous le nom de « spécial relationship ». Pour les Etats-Unis, attachés par tradition a ne pas s’engager hors d’Amérique, en particulier en Europe, et tentés par un nouveau repli après une guerre dont ils sortent la nation la plus puissante du monde, l’heure des responsabilités internationales est arrivée.
C’est dans ces conditions que, le 12 mars 1947, le président Truman déclare au Congrès que les Etats-Unis sont prêts à prendre le relais des Britaniques en Grèce et en Turquie et lui demande donc de voter des crédits :
<<Le moment est venu de ranger les États-Unis d’Amérique dans le camp et à la tête du monde libre. » Truman franchit ainsi le pas qui mène son pays de l’isolationnisme traditionnel à la direction du monde occidental. Les principes de la nouvelle politique extérieure américaine sont simples : c’est le maintien île la paix, la diffusion de la prospérité et l’extension progressive du modèle américain.
Lors de la session du Conseil des ministres des Affaires étrangères qui se tient à Moscou (mars-avril 1947) aucun accord ne se dégage sur le futur statut politique de l’Allemagne. Au désaccord succède bientôt la méfiance.
Dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest (France, Belgique, Italie), malgré la participation de communistes au gouvernement, l’agitation sociale se répand dans une atmosphère de grave crise économique.
Le problème, en effet, n’est pas seulement politique et militaire, il est aussi économique. A l’issue de la guerre, seuls les États-Unis ont gardé leur capacité économique intacte. Tous les autres pays sont dans le besoin et ressentent une double nécessité ; ils doivent assurer la survie des habitants et importer des grandes quantités de nourriture ou d’engrais pour améliorer la production agricole ; ils doivent reconstruire leur industrie et donc acquérir des machines,
Or les États-Unis sont le seul pays où ils peuvent s’en procurer. Mais pour cela les pays européens ont besoin d’une quantité énorme de dollars, qu’ils ne possèdent pas : c’est le dollar gap. Afin d’assurer le plein emploi chez eux, les responsables américains sont convaincus de l’intérêt pour eux-mêmes de remédier à ce problème. Celui-ci avait été résolu pendant la guerre par le prêt- bail (prêt qui doit être remboursé ou restitué à la fin de la guerre) et suspendu en août 1945 ; il fallait donc trouver autre chose que les expédients de la liquidation des surplus américains à bas prix, des prêts consentis par l’Export- Import Bank, toutes aides irrégulières et incertaines.
Le système monétaire international mis en place à la fin de la guerre est lui- même insuffisant. La conférence monétaire réunie en juillet 1944 à Bretton Woods dans le New Ftampshire (États-Unis) choisit le retour au Gold
Exchange Standard, qui fait du dollar le pivot du système monétaire international, car les États-Unis, détenteurs alors de 80 % de l’or mondial, sont seuls capables d’assurer la convertibilité de leur monnaie en métal. Chaque État signataire peut utiliser l’or ou des devises convertibles en or – c’est-à-dire en fait le dollar- pour garantir la valeur île sa monnaie et régler ses paiements extérieurs. Chaque Etat s’engage à maintenir un taux stable île sa monnaie et à ne pas le modifier, sauf en cas de déséquilibre. Ce retour à un système dans lequel les parités seraient fixes est censé favoriser les échanges internationaux, mais il implique des contraintes. Chaque banque centrale doit soutenir sa monnaie de sorte qu’elle ne s’écarte pas de plus de I % de sa parité officielle.
Le Fonds monétaire international (FMI), qui fonctionne comme une caisse de secours mutuel, est créé afin de consolider le système. Avant la guerre, un Etat dont la balance était déficitaire voyait fondre ses réserves en or. Il était contraint au dilemme déflation-dévaluation. Financé par l’ensemble de ses membres, chacun souscrivant un quota proportionnel à son poids économique, (1/4 en or, 3/4 en monnaie nationale), le FMI accorde aux pays qui souffrent d’un déficit temporaire de leur balance des paiements des crédits sous forme de droits de tirage. Dans un délai de trois à cinq ans, les pays emprunteurs doivent les rembourser. Ils peuvent ainsi continuer de participer aux échanges internationaux sans contraintes excessives pour leurs nationaux. Quant à la Banque internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), elle doit financer les investissements à moyen et long terme. Les accords de Bretton Woods, qui fondent un ordre monétaire nouveau, consacrent la primauté du dollar, mais ils ne peuvent pas remédier à la pénurie en devise forte (dollar gap). Or, le problème est urgent : l’Europe a froid et faim.
Le plan Marshall:
Le 5 juin 1947, le général Marshall, secrétaire au Département d’État, propose aux Européens, dans une allocution à Harvard, une aide collective pour quatre ans, à charge pour eux de s’entendre sur sa répartition. Ce plan doit assurer le relèvement économique de l’Europe, favoriser l’unification de leurs efforts et donc augmenter leur résistance au communisme, et en même temps permettre à l’économie américaine de maintenir sa prospérité. En principe, la proposition s’adresse aussi à l’Europe de l’Est, y compris l’Union soviétique. Mais devant le refus de Moscou, les démocraties populaires se dérobent et seuls seize pays – d’Europe occidentale principalement , réunis à Paris en juillet 1947, acceptent l’offre américaine.
L’Union soviétique voit alors dans le plan Marshall une manifestation de l’impérialisme américain pour établir sa domination politique et économique sur l’Europe.
De plus, comme au début les crédits tardent à arriver, la situation est critique en France et en Italie. Dans ces deux pays, les partis communistes sont puissants et participent aux gouvernements issus de la guerre. En France, les ministres communistes sont évincés du gouvernement Ramadier le 4 mai 1947. Il en est de même en Italie le 31 mai 1947. L’agitation se développe avec de grandes grèves à l’automne. Leur caractère insurrectionnel ébranle la centrale syndicale CGT dont les membres réformistes font alors sécession. Partout en Europe, les communistes partent en campagne contre le plan Marshall. Afin de remédier aux problèmes d’approvisionnement, en charbon notamment, les Etats-unis accordent une « aide intérimaire ».
En avril 1948, le Congrès des Etals-Unis vote l’European Recovery program, loi qui doit permettre l’aide américaine, assurée à 10 % sous forme de prêts et à 90 % par des dons en nature, donc des produits américains, livrés aux gouvernements qui les vendent aux industriels. Par exemple, le montant de ces marchandises, libellé en francs et payé au gouvernement français, appelle la «contre-valeur». Grâce à cette contre-valeur, le gouvernement li.lirais peut faire des prêts publics à l’industrie ou à l’agriculture. C’est un système très efficace et très cohérent qui permet le relèvement économique li pays européens.
La coopération des pays européens. En créant le 16 avril 1948 l’Organisation européenne de Coopération économique (OECE) chargée de répartir l aide américaine, les Européens s’engagent dans la voie de la coopération. De 1948 à 1952, l’aide accordée dans le cadre du plan Marshall à l’Europe s’est l’levée à près de 13 milliards de dollars, dont 3,2 pour le Royaume-Uni et 2,7 pour la France.
L’autre grand mérite de l’OECE consiste à libérer les échanges intra-euro- péens qui étaient caractérisés par leur organisation archaïque et l’existence de restrictions aux échanges (prohibitions, contingentements). A partir de 1950 (création de l’Union européenne des Paiements), la politique de libéralisation de l’OECE prend tout son essor. L’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce signé le 1er janvier 1948, désigné par son sigle anglais GATT (Generale Agreement on Tariffs and Trade) est un traité multilatéral conclu entre plus de 80 Etats qui assurent plus des 4/5 du commerce mondial. Il vise à libéraliser le commerce et à l’établir sur des bases stables, par l’abandon de toute discrimination et de la pratique des contingentements. La répartition de l’aide accordée par les Etats-Unis dans le cadre du plan Marshall, comme les différentes institutions créées dans l’après-guerre sont le point de départ d’une
solidarité économique des pays occidentaux dans le cadre d’une ,guerre froide qui coupe l’Europe en deux.