La modification des rapports internationaux dans le Tiers Monde
Le Tiers Monde prend d’autant plus d’importance qu’il devient un enjeu entre l’Est et l’Ouest. La crise des deux blocs est à la fois cause et conséquence de profonds changements dans les rapports Nord-Sud. Tout se passe comme si, dans une atmosphère de détente, les affrontements continuaient par pions interposés dans des zones périphériques, en particulier en Asie et en Afrique, avec la guerre du Viêt-nam et la crise du Proche-Orient.
La carte de l’Asie du Sud-Est est bouleversée par la poursuite de la décolonisation, l’affirmation des nationalismes locaux et l’avancée du communisme. En 1954, les États-Unis tentent de fédérer les États pro-occidentaux, Pakistan, Philippines, Thaïlande, autour des trois grandes puissances occidentales. Mais cette organisation, l’OTASE, dépérit peu à peu. Le Pakistan prend ses distances, en concluant en 1963 un accord avec la Chine pour se prémunir contre la politique de son principal voisin, l’Inde, qui poursuit une politique d’amitié étroite avec l’URSS, inaugurée par la visite de Khrouchtchev et Boulganine en 1955. Quant à la Thaïlande, au fur et à mesure que les Américains s’engagent davantage au Viêt-nam, elle est transformée en une immense base militaire, au grand dam des Thaïlandais.
Les gouvernements philippins successifs, y compris celui dirigé par le président Marcos, ont également tendance à réclamer l’évacuation des bases américaines, mais ils ont besoin de l’appui américain dans leurs revendications sur la région du Sabah, au nord-est de l’île de Bornéo, donnée à la Malaisie. Dans cette région du monde, tout tourne autour de la guerre du Viêt-nam.
La guerre du Viêtnam:
Les accords de Genève de 1954 n’ont pas ramené la paix en Indochine. Deux États se constituent de part et d’autre du 17e parallèle, le Nord-Viêt-nam communiste et le Sud-Viêt-nam qui devient une république après avoir éliminé, par référendum, l’empereur Bao Dai. La clause, qui prévoyait un référendum sur l’unification du Viêt-nam dans un délai de deux ans, n’est pas respectée.
Les États-Unis soutiennent au Sud-Viêt-nam le régime du catholique Ngô Dinh Diêm, le successeur de Bao Dai. Mais le mécontentement d’une population à majorité bouddhiste favorise au sud du 17e parallèle la propagande du Front national de Libération (FNL) et la subversion des Viêt-congs soutenus par le régime du Nord-Viêt-nam. Des unités nord-vietnamiennes s’infiltrent au Viêt-nam du Sud. L’engrenage de la guerre est enclenché. Les Américains estiment essentiel d’intervenir pour maintenir un Viêt-nam du Sud indépendant et libre de toute influence communiste. Des conseillers militaires américains assistent Saigon. En janvier 1961, le président Kennedy décide d’augmenter leur nombre, qui atteint 16 000 à l’automne 1963, au moment de la chute de Ngô Dinh Diêm (le 1er novembre 1963), devenu de plus en plus impopulaire. Le gouvernement américain est alors décidé à prendre directement en charge la guerre du Viêt-nam. L’incident du golfe du Tonkin (août 1964), lorsque des bâtiments de la marine américaine sont attaqués par des vedettes nord-vietnamiennes, lui en donne le prétexte.
L’intervention militaire américaine. Le président Johnson choisit, en août 1964, avec l’accord du Congrès, d’intervenir massivement au Viêt-nam. Dès lors, les effectifs américains ne cessent de croître jusqu’à atteindre 543 000 hommes en 1968. Les bombardements au nord du 17e parallèle visent à partir de février 1965 les objectifs militaires et, en juillet 1966, les abords d’Hanoi et d’Haiphong.
L’aviation opère sans relâche au Nord comme au Sud. Malgré son énorme supériorité matérielle, l’armée américaine s’enlise dans une guerre faite à la fois de guérilla et de batailles de grande ampleur. Au Viêt-nam du Sud, la guerre bouleverse la société et déstabilise le pouvoir ; la population aspire à la paix, les bouddhistes réclament l’ouverture de négociations. Hanoi intensifie, avec l’aide conjuguée de Pékin et de Moscou, son aide au FNL. A la fin de l’année 1967, d’ailleurs, l’opinion américaine évolue. Lors d’un sondage d’octobre 1967, il y a plus d’Américains hostiles à la guerre du Viêt-nam que d’Américains favorables. On voit se multiplier des marches pour la paix dans de nombreuses villes américaines, notamment le 22 octobre à Washington, pour faire cesser les bombardements au Viêt-nam du Nord.
L’offensive Viêt-cong. Les responsables américains croient à une solution militaire jusqu’au 31 janvier 1968 où, à leur totale surprise, le Viêt-cong déclenche « l’offensive du Têt » (nom du Nouvel An vietnamien) : plus de cent villes et bases sont attaquées simultanément, y compris Hué et Saigon. La base américaine de Khesanh est assiégée pendant plusieurs semaines ; la citadelle de Hué est conquise. Des commandos viêt-congs pénètrent jusque dans le centre de Saigon. Une telle offensive montre que la situation est beaucoup plus grave qu’on ne l’avait cru. Les troupes américaines ne peuvent espérer la victoire. Le malaise de l’armée et la résistance croissante d’une partie de l’opinion américaine à l’égard de la guerre du Viêt-nam obligent le président Johnson à annoncer, le 31 mars 1968, l’arrêt partiel des bombardements sur le Nord et le retrait des troupes américaines du Viêt-nam du Sud si le Nord-Viêt- nam en fait autant. Hanoi accepte d’ouvrir en mai des négociations à Paris.
Le retrait américain. Jointe aux autres difficultés du monde occidental, l’affaire vietnamienne provoque aux États-Unis une crise morale d’autant plus profonde qu’ils encourent la réprobation mondiale. La crise souligne les limites de la puissance américaine ; elle soulève également une vive inquiétude dans les régimes anticommunistes de Corée du Sud et du Viêt-nam du Sud, car les Américains évoquent « la viêtnamisation de la guerre » et la nécessité accrue de trouver avec l’URSS un modus vivendi.
Tandis que les bombardements continuent entre le 17 e et le 20 e parallèle et que les manifestations hostiles se développent, les négociations, qui débutent le 13 mai 1968 à Paris, achoppent rapidement. Le 1er novembre 1968, Johnson annonce l’arrêt total des bombardements et l’élargissement de la conférence de Paris au Viêt-cong et au Viêt-nam du Sud, bien que ces deux belligérants refusent de siéger côte à côte.
Dès son entrée en fonction en janvier 1969, le nouveau président des États- Unis, Nixon, met en application ses objectifs : la paix dans l’honneur et la viêtnamisation du conflit qui permettrait de rapatrier progressivement les troupes américaines. Mais en même temps, les États-Unis sont amenés à intervenir contre les sanctuaires nord-vietnamiens du Cambodge et du Laos où Hanoi soutient les Khmers rouges et le Pathet Lao, mouvement nationaliste progressiste né en 1950 qui s’oppose au gouvernement laotien et qui a pris depuis le nom de Neo Lao Hak-sat. Le premier retrait de soldats américains – 25 000 hommes – a lieu dès juillet 1969. Au 1er mai 1971, il ne reste plus que 325 000 soldats américains.
La viêtnamisation du conflit ne signifie pas forcément la fin des hostilités, parce que le Viêt-nam du Nord – dont le dirigeant Ho Chi Minh meurt le 3 septembre 1969 – tient à l’unification du pays et que la péninsule indochinoise est secouée par des bouleversements. Au Viêt-nam du Sud, le FNL crée un « gouvernement révolutionnaire provisoire » (GRP).
Au Cambodge, dont la neutralité avait été louée par le général de Gaulle en 1966, le prince Norodom Sihanouk est renversé le 18 mars 1970 par un coup d’État, fomenté par le général Lon Nol soutenu par les États-Unis. Dans un premier temps, ceux-ci franchissent la frontière et vont intervenir ensuite avec leur aviation pour bombarder des groupes de Khmers rouges qui entretiennent la guérilla.
Pendant ce temps, Norodom Sihanouk crée un gouvernement cambodgien en exil. Communistes cambodgiens et partisans de Sihanouk entament la lutte contre le gouvernement de Lon Nol et contre leurs alliés américains. Le 3 juin 1970, devant la pression de l’opinion américaine, Nixon annonce que les forces d’intervention américaines au Cambodge – soit à peu près 30 000 hommes – seront retirées avant le 1er juillet.
Quant au Laos, le régime neutraliste mis en place au début de 1960 avec l’accord américain, consacré par le traité de 1962 et dirigé par le prince Souvanna Phouma, il est sapé par les interventions de la CIA et attaqué par les révolutionnaires laotiens, groupés autour du Pathet Lao et commandés par le prince Souphanouvong, qui est le demi-frère de Souvanna Phouma.
La «fin » de la guerre et la situation au Cambodge. Une offensive générale de l’armée nord-vietnamienne et de celle du Gouvernement révolutionnaire provisoire (GRP) déclenchée en mars 1972 amène les Américains à reprendre leurs bombardements sur le Nord-Viêt-nam. L’échec de cette offensive facilite la reprise des pourparlers secrets engagés à Paris entre Henry Kissinger, conseiller de Nixon, et le Nord-Vietnamien Le Duc Tho. Américains et Nord-Vietnamiens se mettent d’accord en octobre, mais le général Thieu, qui gouverne le Viêt-nam du Sud, ne veut rien entendre et les bombardements américains reprennent. Le 27 janvier 1973, enfin, est conclu à Paris un accord de cessez-le-feu assorti de dispositions complexes : retrait total des troupes étrangères (c’est-à-dire surtout américaines) du Sud, formation d’un Conseil national de la réconciliation comprenant des membres du FNL devenu GRP et prochaines élections libres. Un accord semblable est conclu au Laos, un gouvernement provisoire d’Union nationale rapidement contrôlé par le Pathet Lao est créé, et un régime communiste instauré. Les accords de janvier 1973, confirmés par la conférence de Paris (mars 1973), mettent théoriquement fin à la guerre du Viêt-nam.
Au Cambodge, le général Lon Nol, proaméricain, est de plus en plus menacé par les Khmers rouges. Au Viêt-nam même, les hostilités se poursui¬vent entre Sud-Vietnamiens, Nord-Vietnamiens et GRP. Mais les États-Unis ont récupéré une liberté d’action diplomatique. Le 29 mars 1973, les troupes américaines ont achevé d’évacuer le Viêt-nam.