Le déclin de l’impérialisme classique
La Première Guerre mondiale marque la fin de l’impérialisme européen du xixe siècle. La proclamation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en 1917 ou plutôt son universalisation au-delà de l’Europe ruine sa légitimité. En 1919, la création des Mandats marque son épuisement. Après cette date, il n’existe plus d’expansion coloniale. La guerre d’Ethiopie en 1935 apparaît sur le plan du droit international comme une agression illégitime.
À l’intérieur, les instruments de la domination collective (capitulations, protections et protectorats religieux) sont progressivement démantelés : la Turquie les a abolis unilatéralement, les Mandats les suspendent, la conférence de Montreux de 1937 les supprime pour l’Egypte. Les pays sous domination reconquièrent leur indépendance intérieure et entreprennent une démarche d’émancipation économique. Passé 1920, une vaste révolution fiscale se déroule dans les pays anciennement dominés collectivement. La taxation passe de plus en plus par une hausse des droits de douane, tandis que l’impôt foncier diminue. On commence à se lancer dans un projet d’industrialisation par substitution des importations, y compris dans les Mandats du Proche-Orient. Les ports chinois connaissent une vraie industrialisation financée en partie par les investissements étrangers.
Dans le domaine colonial proprement dit, c’est le début de la contestation. Les responsables britanniques ont conscience que leur Empire est « sur-étendu » et que l’économie métropolitaine n’a plus les capacités de financer les coûts croissants de l’administration et surtout de la protection. Il n’est pas encore question d’indépendance, mais plutôt de gestion commune avec les élites locales. Le nouvel idéal n’est pas celui du Dominion, toujours réservé à l’homme blanc, mais celui de la dyarchie ou du partage du pouvoir. Les gouvernements conservateurs des années 1930, tant honnis pour leur « appeasement » envers le nazisme, auront à leur actif la remarquable démarche de dévolution progressive des pouvoirs, en particulier en Inde où les législatures d’État seront élues tandis que la haute administration sera hindouisée. Au grand dam de Winston Churchill attaché à une vision victorienne de l’empire, les conservateurs britanniques acceptent l’établissement de barrières douanières destinées à protéger l’industrie textile indienne. C’est la revanche du XIXe siècle et l’annonce de la lente agonie de l’industrie textile britannique.
Dans les colonies de la Couronne, l’évolution vers le self-government est moins marquée, en dépit de la mise en place d’institutions consultatives, mais la vie politique est maintenant ponctuée de dialogues et de confrontations avec les élites locales nationalistes.
Le fait majeur est bien l’apparition de cette élite concurrente qui remet en cause le monopole de la technocratie coloniale. Cette dernière a tendance à se crisper et à se fermer face à ces nouveaux concurrents qui évoquent de plus en plus son éviction alors que les autorités métropolitaines favorisent plutôt cette évolution. Le temps heureux du fardeau de l’homme blanc n’est plus. Néanmoins le racisme exacerbé de la période précédente tend à s’atténuer, en raison du rapprochement des statuts. Les sciences sociales, en particulier l’anthropologie, jouent un grand rôle dans ce sens en revalorisant les cultures indigènes. Celles-ci ne sont plus seulement « authentiques », elles portent des valeurs respectables. On va bientôt parler de « philosophie bantoue ». Les arts que l’on appellera plus tard « premiers » deviennent une source d’inspiration pour l’art occidental. Alors qu’à l’époque précédente le culte de l’authenticité justifiait la différence inégalitaire, il commence maintenant à introduire le relativisme.
Dans l’empire colonial français, la situation reste plus contrastée. La promotion des élites locales, les « évolués », fait partie du discours de la mission civilisatrice, d’autant plus qu’elle correspond à une francisa- lion culturelle. En même temps, on a une conception plus patrimoniale du domaine colonial, d’où le rejet de la perspective de self-government, notion peu compréhensible en français (on le traduit à l’époque par « libre gouvernement »). Le discours oscille entre une perspective d’assimilation et celle d’une association pour définir le futur de la « plus grande France ». La technocratie coloniale a un réel souci du bien-être de la population indigène et son discours passe progressivement du registre de la mise en valeur à celui du développement. Face aux «indigènes», l’école des « libéraux » pousse à une émancipation croissante dans une perspective d’association/assimilation, tandis que les autoritaires ont une vision fondée sur le retour à un passé où les différences étaient plus tranchées. En dehors du Mandat sur les États du Levant, il est plus malaisé d’arriver à un jeu de dialogues/ confrontations avec les premiers mouvements nationalistes.
Les Néerlandais en Indonésie considèrent aussi que le futur de la colonie sera l’indépendance, tout en se disant implicitement qu’elle comprendra une supervision étroite de leur part. Ils abandonnent le discours de l’exploitation pour celui d’une approche « éthique » de la colonisation. Les partis politiques sont autorisés, mais les nationalistes durement réprimés. Des instances consultatives sont mises en place, mais elles n’ont pas de pouvoir de décision.
Telle n’est pas la situation dans le Congo belge après la fin de 1 ’État libre. La terreur du régime du roi Léopold se transforme en paternalisme autoritaire accompagné de la mise en valeur des ressources minières. Si l’amélioration des conditions est incontestable, rien n’est fait pour créer une élite locale moderne. Au moment de l’indépendance, pratiquement aucun Congolais n’a eu accès à l’enseignement supérieur. Contrairement aux autres empires coloniaux, l’idée au moins d’une autonomie prochaine ne semble pas avoir atteint les colonisateurs belges.
L’appareil sécuritaire colonial se renforce durant toute cette période. Il intensifie ses opérations de contrôle des populations rurales et nomades et tente de suivre à la trace les actions des nationalistes urbains. Le renseignement est indispensable pour pouvoir gérer les campagnes et les zones bédouines en voie de « pacification ». On définit des organigrammes des mouvements nationalistes et on recherche particulièrement à déterminer leurs contacts extérieurs dans une perspective prompte à identifier des complots. Aux relations avec l’Union soviétique s’ajoutent celles avec les puissances fascistes et nazies, sans oublier, en tout cas du côté français, la traditionnelle méfiance envers les intentions britanniques (au moins dans l’affaire palestinienne, la réciproque existe). Signe des temps, le travail de renseignement s’étend aux métropoles pour la surveillance des populations immigrées prolétariennes et des étudiants considérés à juste titre comme vecteurs des nouveaux nationalismes.
La législation coloniale se dote de pouvoirs d’exception, d’états d’urgence, afin de lutter contre les violences anticoloniales urbaines et rurales. La responsabilité collective des populations en est le principe essentiel. La lutte contre le terrorisme est fréquemment évoquée clans les années 1930 et le terme entre dans le vocabulaire juridique à cette époque.
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