L'Europe divisée en deux blocs antagonistes: division de l'europe en deux blocs
Depuis 1947, la rupture est consommée, et l’Europe se scinde en deux blocs antagonistes : d’un côté l’Europe occidentale rattachée aux Américains ; de l’autre, l’Europe orientale soumise à l’influence soviétique.
La politique extérieure de l’URSS est fondée sur une obsession de la sécurité, découlant de sa vulnérabilité à une éventuelle attaque atomique amen caine et de sa conviction d’une hostilité fondamentale du monde capitaliste. Elle a le comportement d’une citadelle assiégée et la volonté d’étendre sa zone d’influence sur toute l’Europe orientale, ce qu’elle fait en Allemagne de l’Est, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Yougoslavie, Albanie, Bulgarie el Roumanie. Ces Etats signent avec l’Union soviétique et entre eux des traités dirigés contre l’Allemagne et prévoyant des mécanismes d’assistance. Ces alliances politiques sont renforcées par des mesures militaires comme la nomination du maréchal soviétique Rokossovski en qualité de ministre de la Défense nationale de Pologne (7 novembre 1949) et surtout par l’établissement de régimes communistes, les « démocraties populaires ».
La liquidation des partis non-marxistes s’accélère en Roumanie, Bulgarie, Pologne et Hongrie. Et à Szklarska-Poreba (Pologne) en septembre 1947, les représentants des partis communistes de 9 pays européens (URSS, Pologne, Yougoslavie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Tchécoslovaquie, Italie, France) créent un bureau d’information pour servir d’organe de liaison entre les partis communistes, le Kominform. Cet organisme apparaît, aux yeux des Occidentaux, comme une reconstitution du Komintern (dissous durant l’été 1943) et par conséquent une volonté de durcissement de l’URSS. C’est en fait un instrument de la politique soviétique. Il s’agit de resserrer les rangs autour de l’URSS. Dans son rapport, le représentant soviétique Jdanov explique que le morçde est divisé en deux camps, un camp impérialiste et capitaliste dirigé par les Etats-Unis et un camp anti-impérialiste et anti-capitaliste mené par l’URSS. Et il invite les démocraties populaires à imiter le modèle soviétique.
Toutefois, la Yougoslavie, le plus fidèle des alliés, refuse l’alignement sur l’Union soviétique. Le maréchal Tito, qui s’était imposé comme chef de la Résistance et comme le plus bouillant disciple de Staline, n’accepte pas de se soumettre à ses ordres. La crise éclate au printemps 1948 : le Kominform condamne publiquement Tito et le titisme comme un déviationnisme. Les démocraties populaires rompent leurs relations diplomatiques et dénoncent leurs traités d’assistance avec la Yougoslavie. Isolée dans le camp de l’Est, la Yougoslavie se rapproche de l’Occident, sans toutefois abandonner son engagement marxiste. Mais l’incapacité à mettre au pas la Yougoslavie constitue un échec de la politique soviétique et le premier schisme dans le bloc communiste.
Si la détermination américaine fait lacher prise à la menace soviétique en Turquie, . une guerre civile trés cruelle fait rage jusqu’en octobre 1949 en Grèce ou les troupes gouvernementales commandées par le général Papagos,
aidées par la mission militaire américaine, forcent les guérilleros communistes à se réfugier en Bulgarie et en Albanie.
La finlande réussit à éviter d’être subordonnée à l’URSS ; elle s’accroche à sa neutralité, elle n’est pas gouvernée par le parti communiste et elle tient bon malgré des épreuves de force renouvelées.
Le cas de la Tchécoslovaquie est particulier. C’est d’abord le seul État, d’Europe centrale à avoir expérimenté la démocratie pendant l’entre-deux- guerre. Depuis les élections libres de 1946, remportées par le parti communiste la Tchécoslovaquie est dirigée par un gouvernement de coalition, qui voudrait tenir la balance égale entre les deux camps. Ce gouvernement est divisé sur l’offre du plan Marshall. Les socialistes y sont favorables, les communistes y sont hostiles et, avec l’aide des milices ouvrières, font pression pour renoncer à l’aide américaine et forcer le gouvernement à choisir son camp. L’épreuve de force, voulue par le parti communiste tchécoslovaque, aboutit le 25 février 1948 au contrôle du pouvoir par les communistes. Après cinq jours de crise, le président Bénés accepte le nouveau gouvernement dirigé par le communiste Gottwald. Tous les ministres y sont communistes, sauf le ministre des Affaires étrangères, Jan Masaryk, qui se suicide le 10 mars. Les comités d’action entreprenent l’épuration des administrations. La frontière occidentale est fermée. Le << coup de Prague » a réussi. C’est un moment fort de la guerre froide.
Le pacte de Bruxelles. Le coup de Prague a profondément impressionné les Européens de l’Ouest qui voient soudain la guerre à leur porte. Ils prennent conscience de leur impuissance s’ils restent désunis. A l’issue de la guerre, nul traité ne lie la France et la Grande-Bretagne, divisées par des intérêts contradictoires surtout au Proche-Orient et en Allemagne. Après bien des tergiversations, c’est seulement le 4 mars 1947 que G. Bidault et E. Bevin signent un traité d’alliance et d’assistance mutuelle à Dunkerque, ville symboliquement choisie en souvenir de la bataille de mai-juin 1940. Ces dispositions sont surtout inspirées par la crainte d’une résurrection du danger allemand. Mais la tension internationale croissante amène Français et Anglais a mettre au point avec les Belges, les Hollandais et les Luxembourgeois un traité d’alliance, dit de l’Union occidentale. Le pacte de Bruxelles, signé le 17 mars 1948, est la première des alliances à être dirigée non pas uniquement contre l’Allemagne, mais contre n’importe quel agresseur. Il comporte un engagement d’assistance automatique contre toute agression ; il organise un réseau de relations dans plusieurs domaines. Surtout des instances militaires de F Alliance sont mises en place dès le temps de paix, symbolisées par l’installation d’un état-major interallié à Fontainebleau.
Ainsi en mars 1948, la crainte de la guerre réapparaît en Europe et amène les Européens impuissants à se tourner vers les Américains pour les protéger du danger soviétique.
De fait, cette menace est concrétisée par le blocus de Berlin, <<le petit blocus » qui commence en mars et se termine en juin, suivi du « grand » qui dure un an, du 23 juin 1948 au 12 mai 1949. Ainsi le problème allemand est il au cœur de la guerre froide de 1948 à 1953.
Le problème allemand au cœur de la guerre froide:
Lorsque Anglais et Américains unifient leur zone le 17 décembre 1947, les Soviétiques protestent et réclament leur part de réparations. La France obtient l’approbation des Anglo-Saxons pour un détachement politique de la Sarre par rapport à l’Allemagne et son rattachement économique à la France.
Lors de la rencontre des ministres des Affaires étrangères de France (Bidault), de Grande-Bretagne (Bevin), des États-Unis (général Marshall) et de l’URSS (Molotov), à Moscou (mars-avril 1947), l’impasse est totale, aussi bien sur la dénazification que sur les frontières orientales de l’Allemagne et les réparations.
En ce qui concerne le futur gouvernement de l’Allemagne, les vues des anciens Alliés sont encore plus divergentes. La France désire une Allemagne très peu centralisée à structure fédérale regroupant une douzaine de Länder. L’Union soviétique au contraire réclame un État très fortement centralisé et un contrôle international de la Ruhr, où elle aurait sa part. Les Anglais et les Américains se prononcent pour un gouvernement fédéral fort, contrôlant les Affaires étrangères, l’Économie et les Finances.
L’accord est également impossible sur le traité de paix avec l’Autriche, car les Soviétiques réclament le contrôle d’une grande partie de l’économie, ce que les Occidentaux refusent.
À la conférence de Londres (25 novembre-18 décembre 1947), aucun progrès n’est réalisé. Molotov impute les difficultés à la « mauvaise foi » des Occidentaux et refuse carrément toutes leurs propositions. Il réclame l’organisation immédiate d’un gouvernement central allemand. Décidément, le problème allemand est devenu la pomme de discorde des anciens Alliés, et la question du statut de Berlin en est le point le plus irritant.
Le problème du statut de Berlin et le blocus:
En réalité, les Soviétiques n’avaient pas admis comme une situation normale et définitive le statut de Berlin, avec quatre zones d’occupation. Ils considéraient que Berlin devait faire partie de l’Allemagne de l’Est. Ainsi, en mars 1948, le maréchal soviétique Sokolovski décide d’arrêter les débats du Conseil de contrôle interallié et peu de jours après, les Soviétiques annoncent qu’ils confient à des Allemands de l’Est le contrôle de l’accès à Berlin-Ouest. Devant le refus des Occidentaux, toutes les voies terrestres d’accès à Berlin sont bloquées : c’est le petit blocus de Berlin. Mais une crise plus grave se prépare.
A la suite de la conférence de Londres, en juin 1948, Français, Anglais et Américains tombent d’accord pour unifier leurs trois zones d’occupation, y organiser des élections à une assemblée constituante. Les Français, très réticents à l’unification des zones, n’acceptent de signer qu’en échange de la mise en place d’une autorité internationale de la Ruhr, qui exercerait un contrôle non seulement sur la Ruhr, mais sur toute l’économie allemande. Quoi qu’il en soit, c’est la voie ouverte à la constitution d’un État d’Allemagne occidentale. Pour montrer leur volonté d’unification, les trois puissances occidentales décident de créer une monnaie commune, le Deutsche Mark (DM). Cette réforme monétaire déplaît aux Soviétiques qui, par mesure de rétorsion, organisent un blocus terrestre total de Berlin. C’est l’épreuve de force.
La réaction des Etats-Unis est immédiate. Ils décident de ne pas accepter la situation de fait créée par les Soviétiques et de ravitailler Berlin-Ouest par un pont aérien. Assurée à 95 % par les Américains, cette opération va assurer pendant un an le ravitaillement de la ville et contraindre les Soviétiques à céder. En juin 1949, ils lèvent le blocus de Berlin et acceptent d’ouvrir à nouveau les autoroutes et lignes de chemin de fer qui permettaient de ravitailler Berlin-Ouest, avec des contrôles soviétiques. Le Conseil des ministres des Affaires étrangères, qui se réunit à Paris en mai-juin 1949, sanctionne cet équilibre précaire. Berlin est devenue un symbole du combat pour la liberté.
La constitution des deux Etats:
Conformément aux accords de Londres, se réunit au cours de l’été 1948 la Commission chargée d’élaborer la Constitution de l’Allemagne de l’Ouest. Composée de représentants élus des onze Länder, elle soumet au printemps 1949 un projet de constitution rejeté par les commandants en chef. Un nouveau projet est accepté en mai 1949. Dans l’intervalle, les Occidentaux ont négocié entre eux et ont signé en avril 1949 les accords de Washington. Le but est d’octroyer à l’Allemagne toute l’autonomie compatible avec l’occupation alliée. Une distinction est donc faite entre les larges pouvoirs qui demeurent aux mains des autorités d’occupation (désarmement, démilitarisation, contrôle de la Ruhr, réparations, décartellisation) et les responsabilités qui seront transférées au futur gouvernement d’Allemagne de l’Ouest. La Défense et les Affaires étrangères restent de la compétence exclusive des alliés. L’Allemagne ne peut signer de traité qu’avec leur accord et elle doit rester totalement désarmée. Le gouvernement militaire de l’Allemagne est remplacé par une Haute Commission alliée, composée de John MacCloy (États-Unis), André François-Poncet (France) et du général Robertson (Royaume-Uni).
A la suite des accords de Washington, la Constitution allemande de nature fédérale, « la loi fondamentale », est acceptée par les alliés et des élections générales organisées en août 1949. Ce texte est un compromis entre les thèses fédéralistes et les thèses centralistes. La République fédérale allemande est une fédération de onze Länder, chaque Land ayant sa constitution propre. Le Bundestag désigne un président de la République, sans grand pouvoir, et un chancelier véritable chef du pouvoir exécutif. C’est le leader du parti chrétien démocrate (CDU), l’ancien maire de Cologne, Konrad Adenauer, sorti victorieux des élections. Ainsi naît l’Allemagne de l’Ouest.
Le 7 octobre 1949, l’URSS réplique en faisant de sa propre zone une République démocratique allemande, (RDA, en allemand : DDR), dotée, elle, d’une constitution centralisatrice.
A partir de ce moment, la division de l’Allemagne est institutionnalisée et l’enjeu allemand se complique du problème de la réunification des deux Allemagnes. Tour à tour le chancelier Adenauer (RFA) et le président Grotewohl (RDA) lancent des initiatives spectaculaires tendant à organiser des élections libres dans toute l’Allemagne. Aucun progrès n’est réalisé, d’autant plus que la RDA reconnaît la ligne Oder-Neisse comme sa frontière orientale alors que l’Allemagne occidentale la rejette vigoureusement. Deux États allemands se développent parallèlement, chacun empruntant les méthodes et les objectifs du camp où il se trouve, le capitalisme à l’Ouest, le communisme à l’Est. À la suite des décisions accélérant la collectivisation des terres et relevant les normes de production dans l’industrie, une grève générale et une révolte populaire éclatent le 17 juin 1953 à Berlin-Est. Les manifestants réclament au secrétaire général du parti est-allemand (SED) des élections libres. L’état de siège est proclamé. La répression est terrible.
Mais l’Allemagne n’est plus seulement un enjeu. Elle devient également un acteur. Si le gouvernement de l’Allemagne de l’Est limite ses ambitions à être un satellite de l’Union soviétique, le gouvernement d’Allemagne de l’Ouest manifeste d’emblée plus d’autonomie et signe en novembre 1949 les accords de Petersberg avec les puissances occidentales. Ces accords mettent pratiquement fin aux réparations en Allemagne occidentale. L’admission du nouvel État au Conseil de l’Europe est compliquée par la volonté française d’y faire entrer la Sarre, alors que Adenauer n’entend pas reconnaître l’existence d’une Sarre autonome. Adenauer finit par accepter, sous réserve du gel du statut de la Sarre. Le 2 mai 1951, la République fédérale d’Allemagne (RFA) est admise comme membre de plein droit au Conseil de l’Europe. Entre-temps, elle a été aùtorisée par les accords de Londres (mai 1950) et de New York (septembre 1950) à rétablir un ministère des Affaires étrangères et à reprendre des relations diplomatiques avec tous les pays.
La Sarre est le principal sujet de discorde franco-allemand. Le gouvernement français et le gouvernement sarrois précisent en 1949 et 1950 le statut d’autonomie politique de la Sarre et le rattachement économique de la Sarre à la France en négociant une série de conventions. Tout en ne remettant pas en cause le caractère provisoire du statut de la Sarre, ces conventions accordent plus d’autonomie au gouvernement sarrois par rapport à l’autorité du haut- commissaire. Mais elles renforcent aussi la situation de fait et le rattachement de la Sarre à l’espace économique français, à l’encontre des buts du gouvernement de Bonn dont la protestation prend la forme d’un Livre blanc publié en mars 1950 et qui saisit toutes les occasions pour poser la question de la Sarre, comme en 1952 la nomination du Haut Commissaire comme ambassadeur. La tension croissante entre la France et l’Allemagne à propos de la Sarre et la poursuite de la guerre froide expliquent la multiplication des initiatives prises pour favoriser la construction européenne.