Le gouvernement Balladur (1993-1995)
La deuxième cohabitation et les élections
Le 30, Balladur rend publique la composition de son gouvernement : 29 membres (en dehors de lui-même), sans secrétaire d’Etat. Le gouvernement se réunit pour la première fois le 31. Commence une nouvelle cohabitation. «Jacques Chirac, échaudé par son expérience de 1986-1988, n’étant pas candidat à la relève, c’est à Edouard Balladur qu’elle est échue : c’est lui qui, dès 1985, avait préconisé la cohabitation dans un article du Monde. On le savait
habile, mais pas à ce point. •> Ht, au bout du compte, quel étrange paradoxe a poussé, en cette année 1993, « François Mitterrand, élu du “peuple de gauche”’, à tout laire pour que lui succède ce grand bourgeois libéral |qu’est Balladur], plutôt que Michel Rocard, devenu sur le tard maître d’un Parti social iste déboussolé, ou, à plus forte raison, le maire de Paris… » ?Philippe Séguin (RPR) est le 2 avril 1993 élu président de PAssemblée nationale au second tour, par 389 voix contre 59 à André Labarrère (Parti socialiste) et 26 à Georges liage (PC). Le 6, RPR et UDF se partagent à égalité les présidences des six commis sions permanentes. Le 8, Balladur fait sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Le Premier ministre obtient la confiance par 457 voix contre 81 et 2 abstentions. Le 26, Pasqua annonce le dépôt de deux projets de loi visant à renforcer les contrôles d’identité préventifs et à « maîtriser les flux migratoires ». Le 27, pour combler les déficits sociaux, le gouvernement déclare s’orienter vers une hausse prochaine de la CSG (de 1,1 % à 2,1 %). Le même jour, le conseil national du RPR, dont Alain Juppé reste secrétaire général, élit son nouveau bureau politique.
Du 11 au 13 mai, l’Assemblé nationale examine en première lecture la proposition de loi de 1989 réformant le code de la nationalité, déjà votée par le Sénat en 1989, qui tend à supprimer l’acquisition sans formalité de la nationalité française par les enfants nés en France de parents étrangers. Deux amendements adoptés — l’un remettant en cause l’acquisition de la nationalité française à la naissance par les enfants nés en France de parents nés en Algérie avant l’indépendance, l’autre portant à deux ans au lieu de six mois le délai d’acquisition de la nationalité française pour un étranger à la suite d’un mariage avec un ressortissant français — ouvrent des brèches dans les propositions de la commission Marceau Long. Le projet de loi Pasqua — en date du 2 juin 1993 — modifiant l’ordonnance du 2 novembre 1945 sur « les conditions d’entrée et de séjour des étrangers », adopté par le conseil des ministres, a pour objectif de « tendre vers une immigration zéro ».
Le Parlement adopte le 11 juin 1993 le collectif budgétaire qui fixe le déficit budgétaire à 317,5 milliards de francs en 1993. La proposition de loi portant réforme du code de la nationalité, déjà approuvée par le Sénat en 1990, est définitivement adoptée le 24 juin 1993. Cette réforme soumet l’acquisition de la nationalité française à de nouvelles conditions. Le projet de loi sur les contrôles d’identité de Pierre Méhaignerie est adopté par le Parlement, le 10 juillet 1993. L’emprunt d’État a rapporté quelque 110 milliards de francs à l’État, à la date du 10 juillet 1993.
François Mitterrand, lors de son entretien télévisé du 14 juillet, donne son sentiment sur la cohabitation et les privatisations. Sur la réforme constitutionnelle, il souhaite voir discuter la deuxième partie de la réforme portant sur l’accroissement des compétences du Parlement. Édouard Balladur n’exclut pas (15 juillet 1993) de conduire la liste RPR-UDF pour les élections européennes de juin 1994. En application d’un décret de François Mitterrand (16 juillet
1993) , une journée nationale de commémoration est instituée en hommage aux juifs victimes de la rafle du Vel d’Hiv (rue Nelaton) en 1942. Le projet de loi i onstitutionnelle portant révision de la Constitution du 4 octobre 1958 et modifiant la I laute ( oui de justice ei le Conseil supérieur de la magistrature, voté en termes identiques par les deux Assemblées, est adopté le 19 juillet 1993 par le Congrès du Parlement réuni à Versailles.
Le Conseil constitutionnel annule le 13 août 1993 huit des 51 articles de la loi sur la maîtrise de l’immigration et les conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, adoptée définitivement par le Parlement le I 3 juillet et publiée, pour le reste, au Journal officiel du 29 août. Il a jugé que le texte de Pasqua comportait des « atteintes excessives » aux droits fondamentaux.
1 e 23, Charles Pasqua, dans un entretien au Figaro, estime nécessaire une révision de la Constitution à propos du droit d’asile pour la rendre compatible avec l’application des accords de Schengen.
Le 25 août 1993 Édouard Balladur, dans une conférence de presse, présente son programme gouvernemental pour les cinq ans à venir. 11 annonce un plan de 5 milliards de francs pour relancer la consommation des familles et endiguer le marasme de l’immobilier. Il décide la création d’une chaîne de télévision éducative qui émettra à partir de l’automne 1994 sur le canal laissé vacant par la Cinq jusqu’à 19 heures. Philippe Séguin présente le 15 septembre 1993 des réformes du fonctionnement de l’Assemblée visant à « revaloriser » le rôle du Parlement.
Michel Rocard est élu premier secrétaire du Parti socialiste au terme du premier congrès ordinaire constituant (22-24 octobre 1993). Mais… François Mitterrand est le 25 octobre 1993 l’invité d’une « Heure de vérité » exceptionnelle sur France 2 : il s’exprime sur la situation sociale et la cohabitation. Il pense qu’Édouard Balladur est « un homme d’État » et estime que Michel Rocard a les qualités pour être premier secrétaire du Parti socialiste, mais qu’il faudra « un miracle » (sic) pour qu’il remporte la victoire lors de la prochaine élection présidentielle !
Le Congrès adopte (19 novembre 1993) le projet de loi constitutionnelle relatif aux accords internationaux en matière de droit d’asile par 698 voix contre 157 et 20 abstentions, la majorité requise des trois cinquièmes (513 voix) étant atteinte. La réforme du droit d’asile — dont le principe est inscrit dans le préambule de la Constitution — est ajoutée à l’article VI de la Loi fondamentale : la France ne sera plus contrainte d’examiner les dossiers des réfugiés ayant transité par un autre État européen signataire des accords de Schengen. Édouard Balladur et Charles Pasqua mettent en cause le Conseil constitutionnel, ce qui provoque, le 23, la prise de position publique du président de cette institution, Robert Badinter.
Les députés adoptent dans la nuit du 25 au 26 le nouveau projet de loi sur la maîtrise de l’immigration récrit par Charles Pasqua pour tenir compte de la censure du Conseil constitutionnel, le 13 août. Dans sa déclaration de politique générale du 15 décembre 1993, Édouard Balladur engage la responsabilité du gouvernement devant les députés, selon la procédure de l’article 49, alinéa 1 de la Constitution, sur le GATT et sur l’ensemble de sa politique. Il obtient la confiance, sa déclaration étant adoptée par 466 voix contre 90, sur 571 votants. Il présente « dix réformes d’ensemble » pour orienter l’action du gouvernement.
Le Sénat adopte définitivement le 15 décembre 1993 le nouveau projet de loi sur l’immigration déjà approuvé par les députés dans la nuit du 25 au 25 novembre, après intégration de la réforme du droit d’asile. Le 19 décembre 1993, lançant de concert un appel d’Edouard Balladur à la prochaine élection présidentielle, François Léotard et Simone Veil provoquent une polémique au sein de l’UDF et du RPR.
Aux élections européennes du 12 juin 1994, vingt listes sont en compétition pour les 87 sièges à pourvoir en France. Le taux d’abstention est de 47,29 %. I ,a désaffection à l’égard des listes traditionnelles (25,58 % des suffrages exprimés et 28 sièges pour la liste RPR-UDF de Dominique Baudis, 14,49 % des suffrages et 14 sièges pour la liste socialiste de Michel Rocard) s’opère au profit des listes «protestataires», conduites par Bernard Tapie (MRG, 12,03%, 13 sièges), Philippe de Villiers (UDF-PR, 12,33 %, 13 sièges), Jean-Marie Le Peu (Front national, 10,52 %, 11 sièges) et Francis Wurtz (6,88 %, 7 sièges). Les écologistes perdent leurs 9 sièges au Parlement européen.
Michel Rocard, dans un entretien publié le 29 mai 1994 par le Journal du dimanche, déclare : « Rien ne m’empêchera d’être candidat à l’élection présiden tielle de 1995. » Après avoir déclaré, le 15, ne plus être le « candidat naturel » du Parti socialiste à l’élection présidentielle, il est mis en minorité le 19 juin 1994. Il se démet de ses fonctions de premier secrétaire, où Henri Emmanuelli le remplace. Alain Juppé, déclare, le 24 août, sur RMC, que le RPR devra « choisir » son candidat à l’élection présidentielle. Jacques Chirac, à l’occasion des cérémonies organisées le lendemain pour le cinquantenaire de la libération de Paris, ouvre le débat sur « l’héritage social » du gaullisme. Le 2 septembre, à l’université des jeunes du RPR à Bordeaux, la dernière phrase du discours d’Alain Juppé « Que Jacques Chirac montre le chemin ! », accentue la controverse entre les partisans du maire de Paris et ceux d’Edouard Balladur dans la perspective de l’élection présidentielle de 1995.
Le même jour, le livre de Pierre Péan Une jeunesse française, François Mitterrand, 1934-1947 provoque une polémique dans les milieux politiques et chez les historiens, notamment à propos des relations entretenues par le chef de l’Etat, avant et après son accession à l’Elysée, avec René Bousquet, l’ancien secrétaire général de la police, inculpé en juin 1992 de crimes contre l’humanité et assassiné le 8 juin 1993.
Edouard Balladur, dans Le Figaro du 24 octobre 1994, déclare que Jacques Chirac, « depuis longtemps, est réfugié dans son parti comme dans une citadelle ». Jacques Chirac, en visite dans le Nord-Pas-de-Calais, déclare officiellement dans un entretien (4 novembre 1994) au quotidien régional La Voix du Nord, sa candidature à l’élection présidentielle. Jacques Delors, joint en direct le 14 novembre 1994 de Bruxelles par France 2, déclare que s’il est candidat à l’élection présidentielle, « ce sera par devoir ». Le congrès extraordinaire du Parti socialiste se déroule à Liévin du 18 au 20 novembre 1994 en l’absence de Jacques Delors et Michel Rocard, tandis que François Mitterrand rend hommage, dans cette ville, aux 42 victimes de la catastrophe minière survenue le 26 décembre 1974. Le 20, Henri Emmanuelli, confirmé dans ses fonctions de premier secrétaire du Parti socialiste par 87,57 % des votants exhorte Jacques Alors a se prescience J.uqucs I Jelors, invité a « 7/7 » sur 1 F I, rend officielle le
décembre 1991 sa décision de ne pas faire acte de candidature à l’élection présidentielle, provoquant la déception au sein du Parti socialiste et dans le reste île la gauche. Le 13, Bernard Tapie, sur France 2, et Michel Rocard, à Strasbourg au Parlement européen, déclarent qu’ils ne se présenteront pas, suivis le 11) par Jack Lang et le 21 par Pierre Mauroy.
François Mitterrand présente ses derniers vœux aux Français le 31 décembre 1994. Il mourra le 8 janvier 1996.
Les marges de la cohabitation
La réunion — le 3 avril 1993 — du comité directeur du Parti socialiste entérine la décomposition du parti née de sa déroute aux élections de mars. Michel Rocard est nommé président de la direction provisoire. Pierre Bérégovoy, né en 1925, ancien Premier ministre (avril 1992-mars 1993), ancien ministre de l’Economie, des Finances et du Budget de 1984 à 1986 dans le gouvernement Fabius et de 1988 à 1992 dans les gouvernements Rocard et Cresson, met fin à ses jours le 11 mai 1993, à Nevers, ville dont il est maire depuis 1983. Cet événement soulève une « grande émotion » dans le pays. Le 4, lors de ses obsèques, à Nevers, François Mitterrand dénonce « ceux qui ont pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme ». En effet, le juge Thierry Jean-Pierre, chargé d’instruire au Mans une affaire d’abus de biens sociaux, avait établi le 1er février 1993 qu’un prêt sans intérêt d’un million tic francs a été accordé en 1986 par l’homme d’affaires Roger-Patrice Pelât, décédé en 1989, à Pierre Bérégovoy, alors ministre des Finances, pour l’achat d’un appartement à Paris. Le 15, invité par le parquet et le procureur de la République du Mans à cesser ses investigations, le juge Jean-Pierre avait demandé l’autorisation de se récuser dans l’instruction en cours.
Jacques Médecin, l’ancien maire de Nice, est arrêté le 25 novembre 1993 à Punta-del-Este, en Uruguay, après la demande d’extradition formulée le 10 novembre par le parquet de Nice, dans le cadre de l’affaire de corruption de la SEREL. L’Assemblée nationale vote le 7 décembre 1993 par 432 voix contre 72 la levée de l’immunité parlementaire de Bernard Tapie, député (République et Liberté) des Bouches-du-Rhône, demandée le 8 octobre par les magistrats de Béthune dans le cadre de l’affaire Testut. Bernard Tapie est mis en examen le 22 décembre 1993 pour abus de biens sociaux au tribunal de Béthune, dans le cadre de l’enquête sur l’affaire Testut.
Le 5 septembre 1994, Michel Rocard remet sa démission de maire de Conflans-Sainte-Honorine : Jean-Paul Huchon le remplace le 12. Le 12 octobre 1994, Alain Carignon, mis en examen pour corruption passive, est écroué à Lyon. Le mouvement des radicaux de gauche (MRG, 4-6 novembre 1994) change de nom, devient le « Radical » et reconduit Jean-François Hory à sa présidence. Philippe de Villiers lance le « Mouvement pour la France » (MPF, 20 novembre 1994) . Les conclusions du groupe de travail parlementaire sur les rapports entre la politique et l’argent sont rendues publiques le 24 novembre 1994.
François Bayrou est élu président du CDS (Centre des Démocrates sociaux) le 10 décembre 1994. Le CDS donne naissance, le 25 novembre 1995, à Force démocrate (FD). Par nomination présidentielle, Roland Dumas succède à Robert Badinter à la présidence du Conseil constitutionnel le 22 février 1995.
Pierre Botton est condamné le 20 avril 1995 à quatre ans de prison, dont deux avec sursis, et Michel Noir à quinze mois avec sursis. Alain Carignon, écroué, lui, depuis le 13 octobre 1994, est remis en liberté le 3 mai. Il sera le 14 novembre 1995 condamné à cinq ans de prison, dont deux avec sursis. Mme Tiberi, épouse du premier adjoint du maire de Paris, est mise en examen le 5 décembre 1996 pour recel de détournement de fonds publics. Elle avait signé un rapport pour le conseil général de l’Essonne de vingt pages aux nombreuses fautes d’orthographe et d’un maigre intérêt, et pour cela touché 200 000 francs.
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