La peau du lion
Un rugissement d’une puissance effrayante déchire l’air. Dans la maison du berger Molorchos silence terrifié s’abat. Le lion monstrux hante la forêt de Némée vient encore de faire une victime. Molorchos hoche tristement songeant au fils que l’abominable fauve lui a ravi . Dans la région de Némée, ni les troupeaux, ni les hommes ne sont en sécurité, tant l’animal fait de ravages.
Soudain, une ombre gigantesque apparaît dans l’embrasure de la porte. Molorchos lève les yeux et découvre un colosse, enveloppé dans un épais manteau rouge. “Berger, je suis Héraklès, dit le nouveau venu d’une voix tonitruante. Pourrais-tu m’accorder l’hospitalité pour quelques jours, car je suis ici pour tuer le lion ?” Stupéfait, Molorchos balbutie : “Bien sûr !” Il veut bien accueillir le géant, mais il ne parvient pas à croire qu’un être humain, aussi fort soit-il, ait l’audace de s’attaquer à l’animal qui désole les campagnes. A vrai dire, Héraklès n’est pas un mortel ordinaire : fils de la reine Alcmène, il a pour père Zeus en personne. Néanmoins, même pour un demi-dieu, l’entreprise dans laquelle il se lance est des plus périlleuses. Héraklès n’a cependant pas le choix : la déesse Héra, qui le poursuit de sa haine, a fait de lui l’escla’ve d’Eurysthée, roi de Mycènes, réputé pour sa poltronnerie. Lorsqu’il a vu la puissante stature d’Héraklès, Eurysthée a eu un frémisssement de peur. Pour se débarrasser de son esclave, il lui a ordonné d’accomplir douze exploits, douze travaux où Héraklès risquera sa vie. La première épreuve consiste à triompher du lion de Némée. Voilà pourquoi le colosse s’installe chez Molorchos où il se prépare au combat. Un matin, prenant à part le berger, il déclare : “Je vais partir. Attends-moi trente jours. Si je reviens victorieux, nous sacrifierons un bélier à Zeus ; si je ne suis pas de retour, tu sacrifieras l’animal en mon honneur.”
Parti à l’aube, Héraklès parvient au village de Némée en plein midi. Il arpente les rues désertes, pénètre dans les maisons vides : tous les paysans ont été victimes du lion ou bien se sont enfuis. Le demi-dieu se dirige alors vers la forêt, et recherche des empreintes du fauve. Un peu au hasard, il s’enfonce sous les sombres frondaisons. Plus il avance, plus ses pas se font lents et précautionneux. Soudain, il perçoit, non loin de lui, une sorte de froissement venant de buissons touffus. Caché derrière un arbre, il attend, aux aguets. Un grognement se fait entendre, puis un gigantesque lion s’avance d’un pas à la fois souple et pesant. Alors, bondissant hors de sa cachette, Héraklès bande son arc et avec une impressionnante adresse décoche une volée de flèches. Celles-ci rebondissent sur la peau du lion et se brisent. Le fauve se contente de secouer son opulente crinière et de lécher les emplacements de son corps où il a cru sentir quelques piqûres d’insectes. Jetant son arc désormais inutile, Héraklès saisit son épée, se précipite sur la bête et l’en frappe avec violence.
L’arme solide, offerte au héros par le dieu Hermès, plie, sans entamer le cuir du lion. Ce dernier, furieux, bondit sur le colosse. Héraklès brandit alors sa lourde massue et en assène un coup d’une force prodigieuse, en plein sur la gueule de l’animal. La massue se brise sous le choc, mais cette fois, le lion secoue la tête et déguerpit vers sa tanière. Certes, il n’a pas eu très mal, mais il entend comme un tintement dans ses oreilles. Héraklès jette un regard de tristesse sur ses armes maintenant inutilisables, puis se lance à la poursuite du monstre. Arrivé devant l’antre de ce- lui-ci, il examine attentivement les lieux. Le repaire du lion a deux issues. Le héros déroule un filet qu’il a apporté avec lui, avec lequel il bouche l’une des entrées. Ensuite, il pénètre dans la tanière. Le lion n’a pas le temps de faire face à son adversaire : Héraklès se jette sur son dos. En une fraction de seconde, il a saisi l’animal sous les pattes de devant, le soulève et de ses bras musclés commence à l’enserrer. Le fauve se débat avec rage, mais ses rugissements, ses coups de pattes qui fouettent l’air ne lui servent à rien. L’étreinte mortelle d’Héraklès se resserre et bientôt le lion meurt étouffé. Le vainqueur jette alors le corps sans vie sur le sol et reprend son souffle. Il charge ensuite le cadavre du lion sur ses épaules et retourne sur ses pas.
Trente jours se sont écoulés lorsqu’il arrive chez Molorchos : le berger s’apprête déjà à faire un sacrifice en l’honneur du héros qu’il croit mort. Quelle n’est pas sa joie de revoir Héraklès vivant et victorieux ! Il contemple alternativement le demi-dieu et la dépouille du monstre qui a tué son fils et si longtemps dévasté la contrée. Après avoir remercié Zeus en lui sacrifiant un bélier, Héraklès se taille une nouvelle massue, puis, saluant Molorchos, se met en marche pour Mycènes. Eurysthée, lorsqu’il voit le cadavre du lion est terrorisé. Il chasse Héraklès de sa ville. Le héros est fort embarrassé par son encombrant trophée : il voudrait écorcher le lion, mais ne sait comment s’y prendre, tant la peau de celui-ci est dure. Les dieux qui le protègent lui donnent une inspiration. D’un coup sec, Héraklès arrache une des griffes de l’animal, tranchante et acérée comme une épée. Il s’en sert pour dépouiller le lion, et de sa peau se fait une cuirasse plus résistante que le métal. Dorénavant on verra souvent sur les routes de Grèce la haute silhouette d’Héraklès, revêtue de la peau du lion de Némée.