Jason
Au départ, l’histoire, une fois de plus, est celle d’un trône usurpé. Elle commence en Thessalie, au nord de la Grèce. Fils du roi Éson, qui règne sur un petit royaume, Jason est encore très jeune j lorsque son oncle, Pélias, chasse traîtreusement son père du trône. Pélias, le frère d’Éson, est un I homme fourbe et cruel. Par précaution, Éson choisit de mettre Jason, son fils, en lieu sûr. Il l’emmène sur le mont Pélion où le petit garçon est élevé par un singulier maître d’école, Chiron. Chiron est un centaure, une créature comme les Grecs les affectionnent, dotée d’une tête d’homme et d’un corps de cheval. C’est aussi un excellent maître, qui apprend au jeune prince à jouer de la harpe, à monter à cheval et à manier l’épée. Il lui enseigne aussi la médecine, d’où le nom de Jason qui vient peut-être du verbe grec qui signifie « guérir ».
La revanche de l’homme à l’unique sandale
Chiron a raconté à Jason les mésaventures d’Éson, détrôné par son propre frère. Parvenu à l’âge adulte, Jason n’a qu’une idée, venger son père. Vêtu d’une peau de léopard, armé de deux lances et chaussé de sandales à lacets d’or que lui a autrefois données Éson, il se met en chemin, vers son destin.
Jason arrive au bord d’un torrent bouillonnant. Les neiges du mont Olympe ont fondu et le cours d’eau est sorti de son lit. Pas de pont, comment traverser ? C’est alors qu’Héra surgit derrière lui. Jason ne la reconnaît pas car Héra a pris les traits d’une très vieille dame. Elle demande à Jason qui il est et quel est son projet. Avec fougue, Jason explique qu’il est le fils d’Éson, qu’il va punir Pélias et reconquérir le trône de son père.
Héra ne peut s’empêcher de mettre le héros à l’épreuve :
– Aide-moi à traverser, ordonne-t-elle.
– Comment faire ? répond Jason. Le courant est énorme. À deux, il risquerait de nous emporter.
– Si tu n’es pas assez fort pour traverser ce torrent avec une femme sur tes épaules, comment peux-tu espérer t’emparer d’un royaume ? se moque alors Héra.
Jason est piqué au vif. Il installe la déesse sur son dos, tâte le fond du fleuve avec la pointe de ses javelots et s’avance prudemment. Au milieu de cette équipée, il pousse un cri : il a perdu une sandale à lacets d’or qui est restée coincée entre deux cailloux. Sur l’autre berge, Héra lui apparaît sous ses véritables traits : elle lui explique qu’elle vou-lait tester son courage, et aussi qu’il est normal qu’il arrive en Thessalie avec une sandale unique. En effet, l’oracle a prédit à Pélias qu’il serait puni de sa traîtrise par un homme qui se présenterait devant lui avec un pied nu et l’autre chaussé. Jason est bien celui dont parlait l’oracle. Avec la bénédiction d’Héra, il se remet en chemin, le cœur léger et le courage décuplé.
Le voici parvenu au palais. À sa vue, Pélias pâlit d’effroi. Il a pourtant donné des instructions clai-res pour que l’on chausse correctement, et aux frais du royaume, tout étranger qui se présenterait les pieds plus ou moins nus. Comment celui-ci a- t-il pu parvenir jusqu’à lui ? D’un coup d’œil, Pélias a reconnu son adversaire. Il est jeune, fringant et apparemment valeureux. C’est lui, sans nul doute, dont parlait l’oracle. Prenant bien soin de cacher sa peur, Pélias imagine alors une ruse qui lui permettra de se débarrasser à peu de frais de cet importun qui le menace. Puisque Jason est venu pour récupérer le trône, c’est entendu, il le lui rendra. À une condition, une condition terrible : que Jason aille d’abord chercher la Toison d’or !
Les cinquante héros de l’argo
La Toison d’or est la fourrure d’un bélier fabuleux qui a jadis sauvé deux enfants en les emportant sur son dos. C’est pour le récompenser de cette bonne action que sa toison a miraculeusement été changée en or. ’Cet animal a quitté la Thessalie pour aller mourir dans un pays lointain, sur les bords de la mer Noire, en Colchide. Le roi de cette région, qui détient maintenant cette légendaire et magnifique peau, refuse de la rendre. Pour la récupérer, il faut entreprendre un long et dangereux voyage, affronter le dragon qui garde ce trésor et déjouer les pièges du roi de Colchide, lequel est connu pour être un redoutable jeteur de sorts. Pélias est persuadé que Jason n’en réchappera pas. Et Jason, malgré son appétit de gloire, n’est plus très sûr de lui… Il va donc à son tour consulter l’oracle. Celui-ci l’invite à aller trouver Argos, un célèbre constructeur de navire. Argos lui bâtira un bateau comme on n’en a jamais vu : une galère de cinquante places. Ensuite, il ne restera plus à Jason qu’à aller convaincre les plus grands héros de la Grèce pour qu’ils acceptent de s’embarquer avec lui… à la conquête de la Toison d’or.Quelque temps plus tard, la galère sort des ate-liers d’Argos. Elle est tellement grande, tellement singulière qu’on l’appelle l’Argo (l’œuvre d’Argos) et ses passagers, les Argonautes. Jason a réussi à en convaincre quarante-neuf. Et ils sont tous prêts au départ. Parmi eux, on reconnaît Héraclès (Hercule pour les Romains), bientôt le plus célèbre des héros grecs grâce à ses douze fameux « travaux ». Hercule est celui qui, plus tard,
Némée et tuer l’hydre de Lerne, ce monstre à neuf têtes de serpents. Pour Jason, c’est une aubaine de le compter dans son équipage. Tout comme I hésée, le vainqueur du Minotaure, ou Orphée, qui sait amadouer les bêtes sauvages au seul son i le sa cithare. Désormais, ils sont tous à leur place, rames à la main. Au son de la musique d’Orphée, l’Argo s’élance sur les eaux. De loin, l’odieux Pélias les observe, priant pour qu’ils ne réussissent pas.
éperunes en série
Impossible de raconter toutes les épreuves qui attendent en mer les Argonautes. Ils affrontent d’abord les géants à six bras ; puis les Harpyes, ces femmes ailées au corps de vautour qui enlèvent les enfants et pourvoient en morts le royaume ties Enfers ; sans compter les sirènes, aux corps de requins et aux bustes de femmes, dont la voix terrible donne aux marins l’envie de se jeter à l’eau ; ou encore les Amazones – des femmes cruelles encore une fois, comme si les Grecs assimilaient volontiers les femmes à des monstres ! – qui n’acceptent la présence des hommes qu’une fois par an pour perpétuer leur race.
Enfin, Jason et son équipage arrivent en Colchide où le grand défi les attend. Jason se rend directe-ment à la cour du roi Aétès, qui ressemble un peu à Pélias – malin, perfide et, on l’imagine, assez mal disposé envers Jason. Quel est donc ce jeune présomptueux qui prétend rapporter en Grèce la Toison d’or dont il se sent propriétaire ? Encore une fois, Jason est mis à l’épreuve. S’il veut récupérer la Toison, il n’aura qu’à sortir victorieux des embûches que lui tend Aétès. En plus du dragon furieux auquel il s’attendait, Jason devra maîtriser deux taureaux sauvages qui crachent le feu par leurs naseaux, puis exterminer une armée de farouches guerriers qui aura surgi d’un champ labouré par ces bêtes…
Jason est découragé. Il décide d’aller demander conseils à ses compagnons. C’est Thésée qui lui souffle la solution. N’oublions pas qu’il a lui- même vaincu le Minotaure, en Crète, avec l’aide de la belle Ariane. Sans l’aide de celle-ci, il est probable qu’il aurait échoué. Or, pourquoi ne pas recommencer cette expérience ? Aétès a juste¬ment une fille, Médée, qui, comme son père, est un peu magicienne. Sans doute a-t-elle une idée pour dompter les taureaux fous et parvenir jusqu’à la Toison d’or.
Les taureauxpar les cornes
Alors Jason implore l’aide d’Héra. La grande dame de l’Olympe convainc Éros, le dieu de l’Amour, de percer d’une flèche le cœur de la jeune fille. Voilà : Éros a allumé la passion chez Médée. Séduite par Jason, Médée ferait n’importe quoi pour l’aider. Elle lui confie en particulier un onguent dont elle a le secret. Si Jason s’enduit le corps avec cette crème magique, il pourra traverser les flammes que crachent les taureaux. Elle lui donne aussi une pierre à jeter au milieu de l’armée qu’il affrontera. Les guerriers s’entretueront alors jusqu’au dernier, et Jason pourra conquérir la Toison.
À la stupeur de Jason, tout se passe alors comme l’a annoncé Médée. Insensible au feu, Jason saisit les taureaux par les cornes (est-ce de là que vient l’expression ?) et les force à l’obéissance. Un peu plus tard, sur le champ de bataille labouré par les bêtes, Jason lance la pierre magique et l’armée qui a surgi est totalement anéantie. La voie est libre jusqu’au bosquet de Mars, le petit bois sacré où, dit-on, est étendue la Toison d’or. Une fois de plus, grâce à un philtre magique fourni par Médée l’enchanteresse, Jason endort le dragon qui garde la Toison et s’empare du butin.
Enfin roi
Sur l’Argo qui les ramène vers la Grèce, Jason et Médée parlent d’avenir. Bientôt ils se marieront. De leur union naîtront effectivement, quelques années plus tard, deux fils, Merméros et Phérès. Auparavant, Jason doit rentrer en Thessalie, appor¬ter la Toison d’or à la cour de Pélias et venger l’affront fait à son père. Il ne se doute pas que, dans un ultime accès de mauvaise foi, Pélias refusera de rendre le trône. Une fois de plus, c’est Médée qui lui vient en aide. Elle persuade ses propres filles de tuer Pélias. Et Jason, enfin, récupérera le trône.La suite est moins heureuse. Elle fait même douter du caractère « héroïque » de Jason. Comme Thésée avait jadis abandonné Ariane qui venait de lui sauver la vie, Jason se détourne de Médée, à laquelle il doit pourtant son retour sur le trône, l’ire, il la répudie, car il est tombé amoureux d’une autre femme, Créüse. Médée est folle de rage. Pour se venger, elle décide, non pas de faire périr Jason lui-même, mais de tuer leurs deux fils, Merméros et Phérès, sans épargner sa rivale, Créüse. Selon certaines sources, Jason, désespéré, met alors lui-même fin à ses jours. Selon d’autres, Médée la magicienne disparaît dans les airs, aban-donnant Jason à sa solitude et à son malheur.